Suite au Compte rendu fait par un copain de «Là qu’on vive» d’une réunion de préparation des gilets jaunes de Commercy du 17 Novembre, dans lequel on pouvait souligner l’émergence d’idées bien plus réjouissantes que le simple fait de combattre la taxe des carburants, nous continuons avec leur appel à constituer des assemblées populaires quotidiennes. (Manif.Est.Info)
Le texte de l’appel:
APPEL DES GILETS JAUNES DE COMMERCY À DES ASSEMBLÉES POPULAIRES PARTOUT
REFUSONS LA RÉCUPÉRATION! VIVE LA DÉMOCRATIE DIRECTE!
PAS BESOIN DE «REPRÉSENTANTS» RÉGIONAUX!
Depuis près de deux semaines le mouvement des gilets jaunes a mis des centaines de milliers de personnes dans les rues partout en France, souvent pour la première fois. Le prix du carburant a été la goutte de gasoil qui a mis le feu à la plaine. La souffrance, le ras-le-bol, et l’injustice n’ont jamais été aussi répandus. Maintenant, partout dans le pays, des centaines de groupes locaux s’organisent entre eux, avec des manières de faire différentes à chaque fois.
Ici à Commercy, en Meuse, nous fonctionnons depuis le début avec des assemblées populaires quotidiennes, où chaque personne participe à égalité. Nous avons organisé des blocages de la ville, des stations-service, et des barrages filtrants. Dans la foulée nous avons construit une cabane sur la place centrale. Nous nous y retrouvons tous les jours pour nous organiser, décider des prochaines actions, dialoguer avec les gens, et accueillir celles et ceux qui rejoignent le mouvement. Nous organisons aussi des «soupes solidaires» pour vivre des beaux moments ensemble et apprendre à nous connaître. En toute égalité.
Mais voilà que le gouvernement, et certaines franges du mouvement, nous proposent de nommer des représentants par région! C’est-à-dire quelques personnes qui deviendraient les seuls «interlocuteurs» des pouvoirs publics et résumeraient notre diversité.
Mais nous ne voulons pas de «représentants» qui finiraient forcément par parler à notre place!
À quoi bon? À Commercy une délégation ponctuelle a rencontré le sous-préfet, dans les grandes villes d’autres ont rencontré directement le Préfet: ceux-ci font DÉJÀ remonter notre colère et nos revendications. Ils savent DÉJÀ qu’on est déterminés à en finir avec ce président haï, ce gouvernement détestable, et le système pourri qu’ils incarnent!
Et c’est bien ça qui fait peur au gouvernement! Car il sait que s’il commence à céder sur les taxes et sur les carburants, il devra aussi reculer sur les retraites, les chômeurs, le statut des fonctionnaires, et tout le reste! Il sait aussi TRÈS BIEN qu’il risque d’intensifier UN MOUVEMENT GÉNÉRALISÉ CONTRE LE SYSTÈME!
Ce n’est pas pour mieux comprendre notre colère et nos revendications que le gouvernement veut des «représentants»: c’est pour nous encadrer et nous enterrer! Comme avec les directions syndicales, il cherche des intermédiaires, des gens avec qui il pourrait négocier. Sur qui il pourra mettre la pression pour apaiser l’éruption. Des gens qu’il pourra ensuite récupérer et pousser à diviser le mouvement pour l’enterrer.
Mais c’est sans compter sur la force et l’intelligence de notre mouvement. C’est sans compter qu’on est bien en train de réfléchir, de s’organiser, de faire évoluer nos actions qui leur foutent tellement la trouille et d’amplifier le mouvement!
Et puis surtout, c’est sans compter qu’il y a une chose très importante, que partout le mouvement des gilets jaunes réclame sous diverses formes, bien au-delà du pouvoir d’achat! Cette chose, c’est le pouvoir au peuple, par le peuple, pour le peuple. C’est un système nouveau où «ceux qui ne sont rien» comme ils disent avec mépris, reprennent le pouvoir sur tous ceux qui se gavent, sur les dirigeants et sur les puissances de l’argent. C’est l’égalité. C’est la justice. C’est la liberté. Voilà ce que nous voulons! Et ça part de la base!
Si on nomme des «représentants» et des «porte-parole», ça finira par nous rendre passifs. Pire: on aura vite fait de reproduire le système et fonctionner de haut en bas comme les crapules qui nous dirigent. Ces soi-disant «représentants du peuple» qui s’en mettent plein des poches, qui font des lois qui nous pourrissent la vie et qui servent les intérêts des ultra-riches!
Ne mettons pas le doigt dans l’engrenage de la représentation et de la récupération. Ce n’est pas le moment de confier notre parole à une petite poignée, même s’ils semblent honnêtes. Qu’ils nous écoutent tous ou qu’ils n’écoutent personne!
Depuis Commercy, nous appelons donc à créer partout en France des comités populaires, qui fonctionnent en assemblées générales régulières. Des endroits où la parole se libère, où on ose s’exprimer, s’entraîner, s’entraider. Si délégués il doit y avoir, c’est au niveau de chaque comité populaire local de gilets jaunes, au plus près de la parole du peuple. Avec des mandats impératifs, révocables, et tournants. Avec de la transparence. Avec de la confiance.
Nous appelons aussi à ce que les centaines de groupes de gilets jaunes se dotent d’une cabane comme à Commercy, ou d’une «maison du peuple» comme à Saint-Nazaire, bref, d’un lieu de ralliement et d’organisation! Et qu’ils se coordonnent entre eux, au niveau local et départemental, en toute égalité!
C’est comme ça qu’on va gagner, parce que ça, là haut, ils n’ont pas l’habitude de le gérer! Et ça leur fait très peur.
Nous ne nous laisserons pas diriger. Nous ne nous laisserons pas diviser et récupérer.
Non aux représentants et aux porte-parole autoproclamés! Reprenons le pouvoir sur nos vies! Vive les gilets jaunes dans leur diversité!
VIVE LE POUVOIR AU PEUPLE, PAR LE PEUPLE, POUR LE PEUPLE!
Si vous vous retrouvez dans les bases de cet appel chez vous, dans votre groupe local de gilets jaunes, ou autre, contactez-nous sur giletsjaunescommercy@gmail.com et coordonnons-nous sur la base d’assemblées populaires et égalitaires! (Appel publié sur le site Manif-Est.Info)
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Le quinquennat suspendu
Par Frédéric Says
Vers quoi nous emporte cette crise des gilets jaunes? Il est impossible d’en mesurer pour l’heure les conséquences à moyen terme, mais on peut déjà en dresser un bilan provisoire. A l’heure qu’il est, c’est un pouvoir exécutif sur la défensive qui tente de surnager. On ne s’est peut-être pas assez attardé sur le symbole terrible d’hier après-midi. Une visite surprise d’Emmanuel Macron à la préfecture de la Haute-Loire, incendiée samedi dernier. L’on voit bien l’objectif, louable – essentiel même –, celui de réparer par sa présence, par son soutien, les lieux symboliques des institutions et de la Nation qui ont été attaqués. Il en allait de même avec la visite à l’Arc de triomphe. Il fallait montrer que l’Etat avait le dernier mot.
Mais dans les deux cas, le président a dû se rendre sur place en catimini, entouré d’un fort dispositif policier, et essuyer de loin des interjections diverses. On est loin de la République fière et triomphante face aux casseurs. Le président ne s’est pas imposé, il s’est tout au plus interposé, entre deux images de défiance vis-à-vis de l’exécutif.
Quelque chose s’est à l’évidence brisé dans la perception du personnage d’Emmanuel Macron… [intervention de Guillaume Erner]
Au terme de sa campagne, il était le surdoué de la politique, capable d’avoir terrassé des concurrents installés depuis des décennies; capable d’avoir vaincu des formations politiques centenaires, capable d’avoir humilié l’extrême-droite en débat avant le 2ème tour.
C’est d’ailleurs cette fascination qui a expliqué le début de mandat relativement facile du président le plus jeune de l’Histoire. Un chef de l’Etat qui réussit à faire passer la refonte du code du travail et le changement de statut de la SNCF: des réformes qui donnaient des insomnies à ses prédécesseurs.
Depuis l’affaire Benalla, le charme est comme rompu. Le pouvoir a été montré dans sa trivialité, dans son embarras, dans son insuffisance. Et depuis, chaque semaine apporte son lot d’embrouilles.
Il serait cependant injuste de personnaliser à l’excès le début de chaos politique que nous sommes en train de vivre. Certes, c’est bien Emmanuel Macron qui a provoqué de lui-même une partie de la hargne qui s’exprime aujourd’hui; avec ses sorties verbales plus ou moins provocantes [extrait sonore «pognon de dingue», «traverser la rue pour trouver un boulot»].
Au passage, on peut d’ailleurs observer que dans ces deux extraits qui ont suscité la polémique, c’est le président lui-même qui se met tout seul dans la panade. L’épisode du «pognon de dingue» est filmé et diffusé par sa propre équipe, lors d’une réunion à huis clos à l’Elysée. Quant au fameux «travail à l’autre bout de la rue», la phrase est prononcée benoîtement lors d’une réception dans les jardins de l’Elysée.
Tout cela est vrai, mais pour avoir une approche plus juste, sans doute faut-il dézoomer un peu. Toutes les démocraties sont ballottées par le flot des angoisses populaires. De plus en plus violemment. En Belgique, le gouvernement de coalition est sur le point de rompre, autour non pas des carburants, mais du pacte de l’ONU sur les migrations. En Espagne, l’extrême-droite fait son entrée au parlement en Andalousie, nourrie là aussi par la crainte de l’immigration et des poussées indépendantistes. En France, historiquement, culturellement, la colère s’exprime davantage à travers la passion égalitaire. Emmanuel Macron en avait eu l’intuition durant toute sa campagne. Dix-huit mois après, les murs épais de l’Elysée lui en ont sans doute atténué l’écho. (Billet politique de Frédéric Says sur France Culture, le 5 décembre 2018, à 8h15)
“Du pain et des roses”. La journaliste Léa Salamé observait récemment ce que subitement tant de gens expriment: “les médias ont changé, ils donnent la parole aux gens”. Aux hommes et femmes, aux personnes âgées et aux sans travail, aux travailleurs.euses qui disent ce qu’ils, elles vivent, qui déclassent en un tournemain les propos des représentant.e.s des pouvoirs. A la faveur d’une même colère, par millions, ils se sont réuni.e.s pour la dire, pour découvrir ensemble tous ces obstacles à la possibilité de vivre que des commentateurs stupides présentent comme des revendications hétéroclites. Non, ce n’est pas un couvercle que la vapeur a fait sauter. C’est la lumière qui entre.