Apparemment les chefs [syndicaux] des Teamsters [des salarié·e·s de la logistique, aujourd’hui] veulent avoir leur tranche du gâteau et la manger. Ils ont annoncé dès lors qu’ils considéraient que le contrat collectif de travail d’UPS [1] était ratifié alors que les syndiqué·e·s l’ont rejeté à 54%; mais ne vous faites pas de souci, ils continuent de négocier pour améliorer le contrat.
Lors du décompte des votes, le 5 octobre 2018, les membres du syndicat ont rejeté avec force la tentative d’accord conventionnel controversé couvrant 243’000 travailleurs et travailleuse du géant des colis UPS et 12’000 à UPS Freight [le secteur du groupe chargé du transport de marchandises par camion].
Les concessions formulées autour de l’accord ont suscité une vaste colère et alimenté le mouvement en faveur d’un vote de rejet, le NON. L’entreprise et les fonctionnaires syndicaux menaient toutefois une forte campagne pour le Oui.
La manœuvre de la direction
Le rejet du contrat constitue une grande victoire du mouvement «vote Non», soutenu par le réseau de travailleurs de base, le Teamsters for a Democratic Union (TDU) et des activistes du Teamsters United, une coalition qui est presque arrivée à débarquer le président du syndicat, James Hoffa, en 2016 [dirigeant du syndicat sans discontinuer depuis 1998, fils unique du célèbre dirigeant syndicat des camionneurs, entre 1957 et 1971, connu pour ses liens avec la mafia].
Dans une déclaration confuse du 6 octobre, la direction du syndicat a annoncé qu’elle considérait l’accord d’ensemble comme étant ratifié, sur la base d’une lacune statutaire. Elle ajoutait également qu’elle «a pleinement l’intention de demander à UPS de revenir à la table des négociations pour répondre à certaines préoccupations des membres.»
Plusieurs jours avant le décompte des votes, Denis Taylor, de la division paquet des Teamsters, a menacé d’imposer le contrat même si les membres le rejetaient, à moins que la participation au vote ne dépasse 50% afin que le nombre de «Non» atteigne les deux tiers.
Sur les 92’604 votes valables chez UPS, le décompte final a donné 46% de Oui et 54% de Non. Cela signifie une participation de 44%, ce qui représente une participation bien plus importante que les 64’000 travailleurs qui ont voté pour le contrat 2013 d’UPS.
C’est ça ou non?
Dans la foulée immédiate du vote, la question demeurait de savoir si le syndicat mettrait à exécution la menace brandie par Taylor.
«Honnêtement, je pense qu’ils ont été pris par surprise devant le nombre de Non et le fait que quelques dispositions supplémentaires ont été rejetées», a déclaré Jeff Fretz, un travailleur à plein temps et délégué syndical du centre de l’État de Pennsylvanie.
Même UPS a annoncé sa déception que les contrats n’aient pas pu être ratifiés. Lorsque la nouvelle s’est répandue, les membres qui avaient mobilisé en faveur du Non étaient furieux.
Le TDU a convoqué à une réunion d’urgence de l’exécutif du syndicat afin de résoudre la crise et exigé qu’Hoffa retire Taylor de son poste de négociateur ainsi que de retourner à la table des négociations pour améliorer l’accord avant qu’il ne soit à nouveau soumis au vote.
«Nous devons lancer une campagne afin de maintenir une pression maximale pour qu’il nous rende des comptes, qu’il revienne en arrière, et retourne négocier», a déclaré Fretz.
Dix des 28 avenants et suppléments locaux et régionaux de l’accord ont aussi été rejetés, bien que le syndicat considère que cinq d’entre eux ont été ratifiés.
La règle constitutionnelle n’a pas été interprétée de cette manière pour le contrat de 2013, lorsque 10 dispositions supplémentaires et avenants ont été rejetés, renégociés puis soumis à nouveau vote sans pour autant atteindre le seuil des suffrages que le syndicat exige désormais (50% de participation). Pour le TDU: «Taylor concocte clairement les règles au fur et à mesure».
Chez UPS Freight, avec une participation de 66%, le contrat a été rejeté à 38% de Oui contre 62% de NON. Sans disposition statutaire derrière laquelle se cacher, le syndicat affirme qu’il retournera à la table des négociations pour «répondre aux préoccupations des membres» et qu’une fois que l’accord aura été révisé, les membres auront la possibilité de voter à nouveau.
Derrière Amazon
L’énorme distributeur et expéditeur Amazon a choisi la semaine passée pour annoncer qu’il augmenterait le salaire minimum à 15 dollars par heure.
Cela a mis en évidence une insuffisance de l’accord chez UPS. Au début des négociations, la revendication la plus importante des travailleurs à l’intérieur des centres – qui travaillent largement à temps partiel étant donné le stress, qui trient, chargent et déchargent les paquets – portait sur un salaire initial de 15 dollars, avec des rattrapages pour des gens qui, pendant des années, ont été sous-payés.
Au lieu de cela, ils ont obtenu un minimum à 13 dollars, sans augmentation de rattrapage. UPS prévoit de réaliser 6 milliards de dollars de profit cette année.
Amazon est à la fois un client et concurrent de plus en plus important d’UPS. La nouvelle d’une augmentation chez le premier avait pour signification «qu’il était absolument impossible d’adopter ce contrat» a déclaré Kristan Turns, une travailleuse à temps partiel qui charge des paquets dans des avions dans la chaleur de Dallas depuis 1999 («186 ans en «temps accéléré»)
Elle indique qu’Amazon offre déjà des avantages sociaux comparables à UPS. La différence de salaire signifierait qu’il «faudrait quatre ans et demi pour atteindre le même niveau que l’un de nos principaux concurrents. Les Teamsters doivent fixer le seuil minimal de nos salaires, ce n’est pas à des entreprises non syndiquées [Amazon] qui doivent le faire.»
Pour ceux qui livrent les paquets, le point principal porte sur le fait que cet accord aboutirait à la création d’une catégorie de «livreurs hybrides» pouvant livrer des paquets pour un salaire bien plus bas.
L’accord contesté a pour autre conséquence que rien n’est fait concernant l’une des autres grandes préoccupations des livreurs: les heures supplémentaires excessives, la surveillance technologique [toutes les activités sont contrôlées par GPS et scan devant accompagner le livreur, comme les postiers en Suisse, aujourd’hui] et le harcèlement des superviseurs.
La priorité principale des syndiqués au sein d’UPS Freight visait à éliminer la sous-traitance. L’accord prévu réduirait modestement la proportion des cargaisons pouvant être sous-traitées, mais le tonnage total des marchandises remorquées par des sous-traitants pourra être plus important.
Des menaces pour ignorer le résultat du vote
La menace de Taylor repose sur les statuts des Teamsters – Article XII, section 2 (d) (2) – qui permet aux négociateurs d’accepter un contrat si moins de 50% des membres votent, à moins que deux tiers (sic !) ne vote Non.
Selon UPS Teamsters United, Taylor a affirmé lors d’une réunion des dirigeants d’UPS la semaine dernière que le syndicat devrait accepter l’accord. En réalité, la formulation des statuts dit que le comité de négociation devrait accepter l’offre finale de l’entreprise “ou toute disposition supplémentaire telle qu’elle peut être négociée par le comité”». Bien que maladroitement rédigée, cette disposition indique clairement que les négociateurs ont la possibilité de négocier un meilleur accord.
La loi fédérale ne garantit pas aux membres des syndicats un droit de vote sur leurs propres accords syndicaux. Les Teamsters, toutefois, comme bien d’autres syndicats, ont inscrit ce droit dans leurs statuts, ainsi que les normes régissant ces votes.
Labor Notes [un réseau syndical qui anime le site et la publication Labor Notes] a appelé la semaine dernière la division paquets du syndicat pour qu’elle puisse commenter cette menace. Nous n’avons reçu aucune réponse.
Un double standard
Les représentants de la firme et certains syndicats locaux ont fait pression pour un vote favorable à l’accord sur les lieux de travail, tout en décourageant toute activité pour le NON.
La direction Hoffa du syndicat et l’UPS ont bombardé les membres du syndicat de plusieurs courriers insistant sur la nécessité de voter en faveur de l’accord. En tout, au moins 1 million d’e-mails ont été envoyés.
«C’était comme être frappé par une batte de baseball à chaque fois que j’ouvrais ma boîte mail», indique Turns. «Je ne peux imaginer les sommes d’argent qui ont été gaspillées dans cette campagne. Si l’accord qu’ils veulent que l’on accepte est si bien, pourquoi donc font-ils autant d’effort pour nous le vendre?»
Parmi les envois figuraient des cartes postales avertissant qu’un vote Non entraînerait «le risque d’un arrêt de travail sans pouvoir être discuté par les membres». La possibilité d’ignorer un vote négatif n’a toutefois jamais été mentionnée.
On rapporte qu’en Pennsylvanie, des superviseurs ont conduit des travailleurs individuellement vers des ordinateurs pour les faire voter et leur faire lire la déclaration d’UPS en faveur de l’accord. D’autres ont été mis sous pression pour qu’ils téléchargent l’application de l’entreprise sur leurs téléphones portables afin de voter par ce moyen.
A Los Angeles, des Teamsters ont été jetés hors d’un parking UPS parce qu’ils distribuaient des tracts pour le NON. A New York, on leur a dit qu’ils ne pouvaient pas parquer sur le parking de l’entreprise si un autocollant NON était fixé à la fenêtre de leur voiture.
A Dallas, au moins deux employés ont reçu un courrier disciplinaire leur avertissant que la politique contre «les sollicitations au travail» interdisait toute conversation orale à propos du contrat. Au même moment, des superviseurs, sur leur temps de travail, coinçaient individuellement des travailleurs pour leur parler de la nécessité de voter OUI.
La dernière fois, un contrat à peine accepté
L’accord national UPS précédent, en 2013, est passé à la limite, face à 47% de Non. Le rejet des membres de plusieurs dispositions régionales a fait traîner les discussions pendant près d’une année.
Les statuts des Teamsters ont été révisés en 1991 pour donner aux membres de plus importants droits démocratiques, dans le cadre d’un accord homologué par les tribunaux que des réformateurs de la base du syndicat ont défendu en tant que remède aux liens du syndicat avec le crime organisé [allusion au rôle de James Hoffa].
Les membres ont obtenu le droit de voter sur des dispositions et des avenants locaux aux contrats nationaux. Le statut stipule que l’accord national n’entre pas en vigueur tant que toutes les dispositions supplémentaires ne sont pas ratifiées.
Les Teamsters en 2013 étaient en colère contre les concessions en matière d’assurance maladie, parmi d’autres questions. Après que plusieurs dispositions supplémentaires ont été rejetées, les négociateurs sont retournés à la table et ont négocié sur une amélioration des avantages sociaux ainsi que sur une diminution des dépenses personnelles à prendre en charge. Pourtant, des membres dans certaines régions ont maintenu leur opposition jusqu’à ce qu’Hoffa et le secrétaire-trésorier Ken Hall imposent les dispositions supplémentaires de manière unilatérale.
Pour ce faire, Hall s’était apparemment appuyé sur des formulations permettant à l’exécutif national du syndicat d’amender l’article de ratification des statuts «si chaque fois qu’il estime qu’une telle action va dans les intérêts du syndicat international ou de ses organes inférieurs», bien qu’ils n’aient pas formellement amendé les statuts.
Plusieurs dirigeants locaux ont recommandé le vote négatif, y compris dans des bastions de l’opposition à l’accord de 2013 et où s’était manifesté un soutien aux listes syndicales d’opposition en 2016.
Vague de colère
Si les dirigeants du syndicat imposent l’accord qui a été rejeté sans améliorations substantielles, une vague de colère des Teamsters contre leurs dirigeants nationaux est prévisible, ainsi que contre les dirigeants locaux qui ont soutenu Hoffa.
La coalition Teamsters United a obtenu des résultats particulièrement bons en 2016 parmi UPS Teamsters, où 70% ont voté contre Hoffa. Les prochaines élections nationales se tiendront en 2021. Certaines sections tiendront toutefois des élections dès cet automne.
Des candidats portés par le mouvement de rejet de l’accord se sont présentés pour des postes au sein des plus importantes sections UPS, dans le Nord-est (section 804, New York City), dans le Sud (section 767, Dallas). A l’échelle locale, les membres sont souvent autant en colère contre la mise en vigueur d’un mauvais accord qu’avec la possibilité de l’élimination d’avantages conquis précédemment.
A New York, les dirigeants syndicaux se précipitent pour prendre le pouls des membres. L’actuel président de la section 804 a annoncé lors d’une réunion prendrait le concept d’un livreur hybride «et mener campagne sur ce sujet», mais devant l’opposition des membres il a fait marche arrière, affirmant que ses commentaires avaient été mal interprétés.
Au cours de la dernière semaine du vote sur l’accord, la section 804 a même commencé à envoyer des distributeurs de tract à l’entrée des lieux de travail – «un peu trop tard…» a dit Mark Cohen, un livreur de 21 ans.
Cohen et d’autres constituant une liste d’opposition dans la section 804 ont passé des semaines sur leur propre temps de vacances pour créer un élan en faveur du Non ainsi qu’une approche syndicale plus militante.
«S’il y a une violation que la firme ne résout pas, il faut que beaucoup de gens s’impliquent, pas seulement un agent particulier», indique Cohen. «Il s’agit de faire des choses qui fassent peur à l’entreprise».
Il y a cinq ans, le vote sur l’accord à Dallas était largement favorable. Mais les temps ont changé.
Des membres de la section 767 ont soutenu la liste des Teamsters United contre Hoffa en 2016 et Turns avait confiance sur le fait qu’une majorité voterait Non à l’accord 2018. Elle participe à la coordination d’une campagne d’une liste d’opposition, Teamsters United for Change, au sein de la section 767, en vue des élections le mois prochain.
«Nous avons toujours été un centre de soutien important à Hoffa», ajoute-t-elle. «Si on n’était pas du côté d’Hoffa, on ne pouvait dire les choses de vive voix – c’est ça qui a changé. On peut désormais le dire haut et fort.» (Article publié le 8 octobre 2018 sur le site labornotes.org, traduction A l’Encontre)
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[1] United Parcel Service (UPS, est aussi connu sous le nom, aux Etats-Unis, de Big Brown, à cause de la couleur des camionnettes et de l’uniforme des salarié·e·s. UPS est mondialisé et est présent en Europe, entre autres. (Réd. A l’Encontre)
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Le débat continue dans les rangs de l’opposition à l’appareil des Teamsters. Ainsi, le local 705 (section) syndical de Chicago, qui représente plus de 8000 travailleurs, envisage l’organisation d’une grève lors de Thanksgiving, soit lors de la fête familiale traditionnelle aux Etats-Unis et au Canada, ce 22 novembre, fête qui renvoie la «fête pour la récolte». Autrement dit, une période qui mobilise énormément une firme comme UPS. Une renégociation doit avoir lieu les 25 et 26 octobre. Toutefois, entre la déclaration de «faire grève» et la faire effectivement chez UPS, il y a une distance, comme l’a démontré ce qui s’est passé en 2008.
Le local 705 exige aussi un salaire minimum horaire de 15 dollars pour les travailleurs et travailleuses à temps partiel, ainsi qu’une meilleure assurance maladie et une augmentation des retraites. Etant donné le bas niveau de chômage, actuellement aux Etats-Unis, existe le sentiment que le rapport de forces est plus favorable pour des actions revendicatives. De plus, les revendications avancées, pour donner un exemple, par le local 705 de Chicago renvoient à des sentiments revendicatifs largement répandus dans la population laborieuse. En effet, se fait jour la tension sociale entre, d’un côté, l’accumulation massive de richesses au sein de la classe dominante et, de l’autre, la précarisation des emplois et la stagnation des revenus directs comme des retraites. A suivre. (Réd. A l’Encontre)
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