En Autriche, l’expérience de coopération menée à Linz [ville de 200’000 habitants, capitale du Land de Haute-Autriche] avec l’extrême droite [FPÖ, Parti libéral d’Autriche] qui pourrait réaliser de bons scores aux élections législatives du 15 octobre, suscite à nouveau la curiosité. Bien avant la percée du parti AfD [Alternative pour l’Allemagne] en Allemagne, la crise des migrants avait déjà provoqué une explosion des scores de l’extrême droite. En 2015, dans la région frontalière de la Haute-Autriche, le FPÖ de Heinz-Christian Strache y était arrivé en deuxième position, aux municipales comme aux régionales.
Et dans un pays où le système électoral à la proportionnelle intégrale oblige les formations politiques à construire des alliances – et où toute idée de cordon sanitaire n’aura jamais été qu’une douce chimère –, les sociaux-démocrates (SPÖ) et les conservateurs-chrétiens (ÖVP), respectivement au pouvoir dans le chef-lieu de Linz et au conseil du Land (1,4 million d’habitants), n’avaient pas mis longtemps avant de s’entendre avec cette formation controversée, plutôt que de se résoudre à rejoindre les rangs de l’opposition.
Deux ans plus tard, les élus des trois partis concernés ne regrettent pas leur choix. «Nous avons valeur d’exemple pour tout le pays et prouvons tous les jours ici notre capacité à gouverner», énonce Elmar Podgorschek, conseiller régional FPÖ.
Du côté des sociaux-démocrates, on ne dit pas autre chose. Peter Binder est un membre du parti SPÖ à Linz, une ville industrielle dont Adolf Hitler, enfant du pays, avait souhaité faire la capitale culturelle de son Reich. M. Binder ne peut que constater que les représentants du FPÖ, longtemps cantonnés à une position d’obstruction et d’invective dans l’opposition, jouent désormais le jeu. Et ce, selon lui, pour peaufiner leur image nationale. «Il est évident que leur comportement maîtrisé fait partie d’une stratégie globale visant à couper l’herbe sous le pied de tous ceux qui voudraient les disqualifier pour une coalition gouvernementale à Vienne», juge-t-il.
Dans les rangs de la gauche, toutefois, il y a en a que la situation indigne. C’est le cas de Fiona Kaiser, qui milite aux Jeunesses socialistes (SJOÖ). «Il est tout à fait problématique que nous normalisions une offre politique à l’opposé de la feuille de route des sociaux-démocrates, affirme-t-elle. Depuis qu’on a donné au FPÖ des postes stratégiques, les décisions qui sont prises par le conseil municipal sont tout sauf progressistes. Interdire la mendicité, multiplier les caméras de surveillance, démanteler un programme de soutien aux minorités sexuelles, ce ne sont pas vraiment des décisions très glorieuses.»
«Pas une femme»
Ces évolutions, l’élue écologiste de Linz Eva Schobesberger les critique également. «Le premier gouvernement régional FPÖ-ÖVP ne comptait pas une seule femme, rappelle-t-elle. La réduction des budgets culturels est en préparation. Et au niveau municipal, avec la gauche, ce n’est pas mieux.»
Elmar Podgorschek [depuis 1972, il est en lien avec le courant identitaire lié aux organisations étudiantes d’extrême-droite; ses positions récentes ont été saluées par la feuille Aula d’extrême-droite «extrême»], lui, se réjouit d’infléchir la politique locale. «Nous n’allons pas nous plaindre de constater que nous pesons sur les décisions», dit-il dans un sourire. «Mais ce dont nous nous félicitons le plus, c’est d’avoir réussi à convaincre les conservateurs, au niveau de la région, de restreindre les aides sociales pour les citoyens non européens. Elles sont passées de 900 à 500 euros par mois. C’était absolument nécessaire afin de dissuader les réfugiés économiques de venir s’installer ici.»
Arrivée aux manettes, l’extrême droite n’oublie pas qu’elle doit son succès dans les urnes à sa promesse de limiter l’immigration. Et surtout «l’islamisation», précise M. Podgorschek. Il se dit absolument certain que sa formation ne rencontrera aucun obstacle à convaincre le SPÖ ou l’ÖVP de lui faire une place dans les meilleurs ministères de Vienne, si elle arrive en deuxième ou troisième position aux législatives, comme les sondages le lui promettent.
«Il est hors de question pour nous de renouveler les concessions que nous avions effectuées en 2000, du temps – du dirigeant du FPÖ Jörg Haider [décédé en 2008] – tranche M. Podgorschek. Notre chef [depuis 2005], M. Heinz Christian Strache, doit obtenir des responsabilités à la hauteur de son poids politique. Et ce n’est pas le président écologiste, Alexander Van der Bellen [élu en décembre 2016 avec 53,8% des suffrages Président fédéral de la République d’Autruche], qui choisira non plus le nom des militants FPÖ autorisés à obtenir un portefeuille ministériel.»
En 2000, l’Autriche avait été le premier pays de l’Union européenne à faire entrer l’extrême droite dans un gouvernement. Sous la pression de Bruxelles, le président conservateur, Thomas Klestil, usant de ses droits constitutionnels, avait rayé de la liste des ministrables le nom de deux poids lourds du FPÖ en raison de leurs déclarations xénophobes. (Article publié dans le quotidien Le Monde daté du 8 octobre 2017; titre de la rédaction de A l’Encontre)
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