Par Daniel Tanuro
Fin décembre, Daniel Tanuro établissait un bilan des semaines de mobilisation sociale en Belgique et du succès de la grève générale du 15 décembre 2014. Actuellement s’ouvre une période de négociation dans le cadre du «Groupe des dix» comme le décrit le journaliste du quotidien Le Soir, du 15 janvier 2015. Nous publions ci-dessous l’article de Daniel Tanuro et, par la suite, l’article d’information rapportant la relance officialisée de la «concertation sociale», placée sous la houlette du gouvernement de Michel Albert. (Rédaction A l’Encontre)
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C’est la question que des milliers de militant.e.s se posent en Belgique, en cette période des fêtes de fin d’année. Comme prévu, la grève de 24 heures du 15 décembre a été un énorme succès. [Voir à ce sujet les divers publiés sur de site en date des 7-8-10-11-15-16-17 décembre 2014] Tout le pays a été paralysé. La mobilisation des dizaines de milliers de syndicalistes a été très impressionnante…
Mais les anciens le disent : «Nous ne sommes pas en décembre 1960» [référence à l’imposante grève générale qui paralysa durant six semaines en priorité la Wallonie suite à l’imposition d’un plan d’austérité du gouvernement du Gaston Eyskens, libéral du Parti social-chrétien].
La grande masse n’est pas prête aujourd’hui (cela peut changer) à entamer une lutte au finish. Elle suit ses délégué.e.s, et ceux-ci suivent les mots d’ordre de leurs organisations… tout en exerçant au sein de celles-ci une pression qui, si elle est assez forte, pèse sur le sommet.
Cette dialectique interne au mouvement syndical est typique de la Belgique, avec ses organisations peu politisées, mais très massives et bien structurées, reposant sur un réseau de dizaines de milliers de militant·e·s actifs participant à quantité d’instances intermédiaires.
La grève du 15 décembre était la dernière étape du plan d’action adopté par le front commun syndical (entre CSC et FGTB). Dès le lendemain, le Premier ministre, Charles Michel, confirmait le maintien de ses mesures d’austérité. Mais aucune entreprise, aucun secteur n’a débordé les consignes syndicales. Même pas dans le secteur public, où un préavis de grève illimité avait été déposé.
Plusieurs ministres l’ont dit: les alternatives que formuleraient éventuellement les «partenaires sociaux» devraient s’inscrire dans le cadre de l’accord de gouvernement, et celui-ci tranchera en dernière instance. N’empêche que les responsables syndicaux se sont précipités à une «concertation» avec les patrons, deux jours après la grève. Ce n’est que le 13 janvier qu’ils se reverront pour décider – ou pas – un deuxième plan d’action.
La concertation a porté sur des questions pendantes depuis de longs mois et qui n’ont pas de rapports directs avec le programme de la coalition de droite. Un mini-accord a été conclu, qui sera soumis au gouvernement pour approbation. Celui-ci se félicite évidemment de la reprise du dialogue, et les représentants syndicaux font de même. Du coup, la tension semble diminuer. Mais cet apaisement est trompeur.
Il est trompeur parce que la question décisive est de savoir si les syndicats s’inclineront face aux diktats du gouvernement des patrons: la pension à 67 ans et les autres mesures sur la fin de carrière, le saut d’index et le blocage des salaires, les coupes dans le secteur public, la déstabilisation de la Sécu, pour ne pas parler des mesures contre les femmes, les jeunes et les sans-papiers.
Le mouvement entamé le 6 novembre 2014 a mis la pression sur le parti démocrate-chrétien flamand (CD&V). Incluant en son sein des représentants du Mouvement Ouvrier Chrétien (dont le syndicat chrétien fait partie), le CD&V est le maillon faible de la coalition. Rompu à la collaboration de classe, il propose une ponction fiscale limitée sur les revenus du capital, dans l’espoir de briser le front commun syndical… et de sauver son électorat populaire.
Il est douteux que cette ligne l’emporte au sein de la majorité, où les partisans d’une ligne à la Thatcher tiennent le haut du pavé. De plus, la marge de manœuvre est extrêmement réduite, voire nulle. La Commission européenne et le FMI encouragent le gouvernement à aller plus loin dans ses attaques. Les tensions dans la majorité sont une source d’espoir pour le PS dans l’opposition, pas pour la masse des travailleurs.
Confrontés à une violente campagne médiatique, et incapables d’assumer la portée politique de leur action, les syndicats ont décidé abruptement de lever le pied «pour donner une chance à la concertation». Ce repli est dangereux. Car les appareils ne tarderont pas à se retrouver devant le choix: soit mobiliser plus largement leurs 3,5 millions d’affilié.e.s, soit laisser la classe dominante gagner une bataille stratégique. Plusieurs secteurs ont annoncé que, pour eux, le combat continue. (27 décembre 2014)
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L’agenda de la concertation sociale
Par Bernard Demonty
Les partenaires sociaux composant le Groupe des 10 [1] et le Conseil des ministres restreint se sont rencontrés ce jeudi matin (15 janvier) au Lambermont [résidence du Premier ministre] à Bruxelles afin de déterminer l’agenda de la concertation sociale. Manifestement, le dialogue a repris et semble s’inscrire dans la durée.
Sur Twitter, le Premier ministre, Jacques Michel, a parlé de réunion constructive.»
Son cabinet a ensuite diffusé un communiqué, balisant les discussions de ces prochaines semaines.
Salaires. Comme nous l’annoncions, le gouvernement laisse aux partenaires sociaux la liberté de négocier l’évolution des salaires. « Les partenaires sociaux fixent de manière autonome la marge salariale, tout en gardant en vue l’objectif de résorber à court terme le handicap salarial.» Concrètement, cela signifie que patrons et syndicats doivent déterminer si et dans quelle mesure les salaires peuvent augmenter cette année et l’année prochaine. Les hausses sont donc possibles. Théoriquement, patrons et syndicats peuvent même revenir sur le saut d’index, mais cette option est peu probable. D’abord parce que les patrons n’y sont pas favorables. Ensuite parce qu’il est probable que le gouvernement n’avaliserait pas un hypothétique accord des partenaires sociaux supprimant le saut d’index [la non-indexation automatique des salaires].
Hausses des allocations. Le gouvernement va allouer aux partenaires sociaux une enveloppe d’un montant de 319,5 millions en 2015 et 627,7 millions en 2016 pour revaloriser les allocations les plus basses. Patrons et syndicats doivent en négocier la répartition, toujours pour la fin du mois. Les syndicats entendent en consacrer une partie aux allocations de chômage. Mais le gouvernement a mis une balise: il faut éviter les pièges à l’emploi. Cela signifie que cette répartition ne peut avoir pour effet que le chômeur gagne autant ou davantage qu’une personne qui travaille.
Rééquilibrage de la fiscalité. Les syndicats attendaient une promesse de taxation du capital. Ils ne l’ont pas. Le gouvernement a décidé de ne pas s’avancer sur ce terrain miné, car il n’y a pas d’accord au sein de la coalition. Mais le gouvernement fédéral s’engage à «faire glisser les charges sur le travail vers d’autres revenus.» Engagement aussi sur le calendrier : «Ces mesures doivent être élaborées afin que les premiers effets puissent avoir lieu sur la période 2015-2016.»
Les pensions. Le gouvernement va mettre en place un organe de concertation, le «comité national des pensions», qui devra, avant la fin de cette année, se saisir de la définition des métiers lourds (qui permettent à leurs titulaires d’effectuer une carrière plus courte) et de la pension partielle (qui permet, en fin de carrière, de ne plus travailler à temps plein en, en touchant une partie de sa pension).
Paix sociale. Les syndicats ne s’engagent pas à ne pas déclencher d’action, mais le gouvernement estime que «la réalisation de cet agenda ambitieux part du principe qu’il règne une paix sociale et que les négociations se déroulent dans un climat de stabilité sociale.»
Patrons et syndicats vont à présent rentrer dans un round de négociations délicat sur les salaires. Ils doivent aboutir pour la fin du mois, faute de quoi le gouvernement tranchera d’autorité, au risque de provoquer des grèves. Le gouvernement reverra patrons et syndicats à la fin de ce mois de janvier. (Le Soir, 15 janvier 2015)
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[1] Le groupe des 10 réunit les instances dirigeantes des organisations syndicales et patronales. On y retrouve cinq représentants des trois syndicats (CSC, FGTB et CGSLB) et cinq représentants des fédérations patronales, FEB, mais aussi des classes moyennes et Boerenbond (Ligue des paysans).
Ce groupe des 10 réunit en réalité 11 personnes puisqu’il est présidé par la présidente, Michèle Sioen, de la FEB (Fédération des entreprises de Belgique). Au sein du groupe des 10 se négocient tous les deux ans les accords interprofessionnels, concernant les salaires, les conditions de travail pour l’ensemble des travailleurs du secteur privé. Ces accords fixent les lignes directrices pour les différents secteurs.
Le groupe des 10 est aussi un lieu de contact avec le gouvernement de plus en plus présent. Une illustration du néocorporatisme à la belge. (Rédaction A l’Encontre)
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