En Ille-et-Vilaine (France, Rennes) ATD Quart Monde propose de créer des emplois de service financés avec les indemnités chômage.
«J’ai beaucoup d’expériences mais pas de diplôme. Alors je ne trouve rien, comme si je servais à rien»: Delphine Olivier, 39 ans, a travaillé avec des personnes âgées, dans la restauration, la pâtisserie, le démarchage à domicile et même dans une radio locale. Mais elle est au chômage depuis neuf ans, entrecoupés de boulots précaires.
«Plus le temps passe, plus on se sent incapable» : au chômage depuis deux ans, Mireille Robin, 40 ans, «serveuse à la base», a fait des intérims à l’usine, à la Poste, dans une école… sans suite. Pôle Emploi lui a proposé un job dans un restaurant, mais elle ne veut pas travailler le soir. «Mon mari bosse la nuit, pas question de laisser seuls mes enfants. Sinon, je suis prête à tout.»
A 33 ans et déjà trois ans de chômage, Aurélien Chantepie a dû rentrer vivre chez ses parents, à Pipriac (Ille-et-Vilaine). Avec son brevet pro de secrétariat, il n’a pas le bon diplôme. «La dernière proposition que j’ai reçue, c’est agent d’espaces verts. On était 50 à se présenter.»
Ce jour-là, tous trois sont venus dans le bâtiment flambant neuf du Point Accueil Emploi de Pipriac, pour parler de l’expérimentation lancée par ATD Quart Monde et baptisée «Territoires zéro chômeur de longue durée». Une initiative qui leur donne envie d’y croire à nouveau.
L’idée de départ est simple: il s’agit de créer des emplois de proximité, notamment dans les services, avec l’argent dépensé par l’Etat et les collectivités territoriales pour gérer et indemniser les chômeurs. Selon ATD Quart Monde, cela représente 15’000 euros par an. Or un emploi à durée indéterminée, à plein temps et payé au Smic – du type de ceux qui seraient créés – revient à 23’000 euros annuels. Il suffirait de trouver 8000 euros – qui pourraient être le paiement des services fournis à des particuliers ou des entreprises. «On transforme ainsi des dépenses passives en dépenses actives», résume Loïc Dutay, bénévole impliqué dans le projet.
Parmi les quatre lieux où l’initiative se met en place, Pipriac (3650 habitants) et le village voisin de Saint-Ganton (415 habitants) ont été retenus. Le périmètre est limité, ce qui convient à une expérimentation. Loin des régions rurales qui se désertifient, le pays de Redon est, en plus, plutôt dynamique et ouvert aux innovations. Pipriac compte 60 associations ainsi qu’un magasin solidaire. Un garage solidaire s’est aussi monté non loin. Enfin, le chômage ne dépasse pas les 8%, même si la région subit le contrecoup des difficultés des entreprises rennaises.
A Pipriac et Saint-Ganton, le projet est dans sa première phase: la rencontre avec les quelque 150 chômeurs de longue durée répertoriés. Plus de 80 ont déjà été reçus individuellement. A de rares exceptions, tous sont partants. «On leur demande leur parcours, leurs compétences en dehors de leur métier, et ce qu’ils auraient envie de faire, explique Denis Prost, d’ATD Quart Monde. Ils ont perdu l’habitude qu’on les écoute et qu’on leur demande leurs envies.»
David Garcia, 39 ans, chômeur depuis trois ans, ne peut plus être maçon-finisseur en raison de problèmes de santé et perçoit l’allocation de solidarité spécifique – 460 euros par mois. Lors de l’entretien, il a suggéré des boulots utiles en ville: «Il n’y a personne pour faire traverser les enfants devant l’école publique, or les trottoirs sont dangereux.Ensuite on n’a personne pour nettoyer les tags en ville». Ont aussi émergé : organiser des tournées pour les personnes âgées isolées, leur faire la lecture, proposer des gardes d’enfants collectives, aménager le terrain de jeux municipal, rénover des bâtiments, entretenir le patrimoine comme le vieux four à pain municipal…
Les collectivités et les milieux économiques ont été mobilisés. Les maires de Saint-Ganton, Bernard Gefflot, et de Pipriac, Marcel Bouvier, siègent au comité de pilotage. «Au début j’ai trouvé ça un peu utopique, confie l’édile pipriatain, puis je me suis dit que, dans la situation actuelle, on devait tout tenter. J’ai été chômeur une fois dans ma vie, lors du second choc pétrolier, dans les années 80. Heureusement, ça n’a pas duré, je n’aurais pas tenu le coup.»
Les acteurs économiques sont apparus intéressés. «Notre crainte était que les emplois créés viennent concurrencer nos entreprises, mais on nous a vite rassurés», explique Nicolas Cottais, président de l’Union des artisans et commerçant de Pipriac. Chefs d’entreprise et artisans vont être consultés sur les emplois, ou les tâches à temps partiel, dont ils auraient besoin.
Pour que le projet ait une chance d’aboutir, il reste un obstacle de taill : le vote d’une loi permettant de transférer des fonds publics – ceux du chômage – à une structure privée, l’entreprise qui créerait les emplois et embaucherait. Elu PS au conseil général, chaud partisan du projet, Franck Pichot a mobilisé ses réseaux pour qu’un texte soit examiné durant une «niche» parlementaire, autour de mars-avril 2015.
A Pipriac, l’équipe n’a aucun doute : ça marchera. Les besoins existent et on sait, au plus près du terrain, les repérer. Une première bataille est déjà gagnée: les chômeurs ont fait la preuve qu’ils voulaient travailler. Cetim Sagel, 37 ans, ne rêve que de ça: «Le système nous encourage de fait à rester chez nous. Or il y a plein de choses utiles à faire. Tout ça est une affaire de cœur.» De volonté politique aussi. (Publié dans Libération du 24 décembre 2014)
Utiliser l’assurance chômage pour “remettre les chômeurs au travail”(fraction du salaire des salariés en activité), le Medef en rêve depuis longtemps. En France, l’assurance chômage (mise en place en 1958) est financée par les cotisations sociales ; cet argent appartient aux salariés.
Depuis des années, l’État ne cesse d’allonger la liste des exonérations de cotisations sociales (les patrons sont dispensés de verser une fraction des cotisations aux caisses d’assurance chômage); c’est une des raisons essentielle de l’asphyxie de l’assurance chômage. Les diverses mesures pour mettre en cause l’assurance chômage se sont accompagnées de la création d'”aides” financées par les impôts.
L’assurance chômage repose sur le principe suivant : le patronat est responsable du chômage; il doit donc payer (cotisations chômage proportionnelles au salaire brut de chaque salarié). Le salarié au chômage perçoit une allocation chômage. (lorsqu’il était en activité, une fraction de son salaire a été versée aux caisses de chômage). Conséquences : le salarié chômeur ne doit rien à personne (l’allocation perçue est l’expression de la solidarité entre salariés).
Aujourd’hui, le patronat veut imposer le principe selon lequel, c’est le salarié qui est responsable de son “employabilité”. Et en échange des “aides” accordées s’il perd son emploi, il doit travailler.
Pour le salarié, c’est la soumission à une forme “moderne” de charité, de dépendance.
Pour l’employeur, c’est le moyen de disposer d’un travail gratuit!
On doit constater que “christianisme social” a de grande capacité d’adaptation…
Les revendications ouvrières expriment, elles, les intérêts contradictoires entre le capital et le travail (à l’opposé de la conciliation/soumission du salariat au patronat) :
Défense de l’assurance chômage! Diminution du temps de travail sans diminution du salaire et sans flexibilité (partage du travail entre tous les salariés).
La rédaction A l’Encontre partage le point de vue de cette contribution. Nous voulions montrer, en publiant cet article, combien l’ampleur de la crise durable en France – qui n’est pas toujours perçue en Suisse – pousse des structures bien intentionnées (ATD) à proposer des bricolages qui font, en dernière instance, le jeu du patronat et du gouvernement. Rédaction A l’Encontre