Par Nicole Colson
Mardi 10 décembre 2013, le président Obama publiait un communiqué dans lequel il se félicitait de l’accord budgétaire intervenu, qualifié de «bonne première étape» pour ne pas retomber dans les crises récurrentes qui secouent le législatif des Etats-Unis depuis 2011. Or, on sait que lorsque le préféré du Tea Party conservateur, Paul Ryan [négociateur pour le Parti républicain et président de la Commission du budget de la Chambre des représentants], fait une déclaration triomphale il ne peut s’agir de quoi que ce soit de bon pour l’ensemble des salarié·e·s – et, cela même si Patty Murray, négociatrice du budget, sénatrice démocrate de Washingon et qui a la réputation d’être «liberal» [au sens de sociale-démocrate], se tient à ses côtés.
Ryan et Murray, respectivement président·e du Commission du budget de la Chambre des représentants et du Sénat, ont annoncé la semaine dernière lors, d’une conférence de presse, être tombés d’accord, entraînant des soupirs de soulagement sur le fait qu’un autre «shutdown» de l’Etat [suspension des dépenses de l’Etat fédéral en raison de l’impossibilité d’un accord sur le budget] serait évité après la précédente débâcle, qui frappa non seulement la paie des salarié·e·s fédéraux mais menaça aussi des services sociaux vitaux pour les membres les plus vulnérables de la société des Etats-Unis.
Les médias ont immédiatement déclaré que le Grand Vieux Parti [le Parti républicain] avait cédé lors des négociations uniquement parce que les représentant·e·s républicains décrivaient quelque chose – quoi que ce soit – comme étant un «compromis». Mais les personnes qui travaillent seront les véritables perdants de ce dernier accord, qui échoue à prolonger l’assurance chômage complémentaire pour les chômeurs de longue durée et qui évite tout nouvel impôt concernant les personnes aisées.
Selon le New York Times: «L’accord, qui financera les dépenses étatiques jusqu’au 30 septembre 2015, éliminera environ 63 milliards de dollars de coupes systématiques militaires et nationales. Mais il fournira 23 milliards de dollars de réduction du déficit en prolongeant une coupe de 2% des fournisseurs de soins du Medicare [la couverture de soins pour les personnes âgées] jusqu’en 2023, deux ans au-delà des coupes prévues par le Budget Control Act de 2011.» [1]
Les démocrates affirment toutefois qu’ils ont gagné sur l’accord budgétaire. Ils ne parleront pas de dispositions comme celles de l’augmentation de la contribution pour les retraites des salarié·e·s de l’Etat fédéral, pour au moins 6 milliards de dollars. En d’autres termes, l’attaque en cours contre les retraites des travailleurs du secteur public au niveau de l’Etat figure tranquillement dans les clauses en petit caractère du budget fédéral [2].
Il est vrai que des politiciens de premier plan du Tea Party et d’autres groupes ultra-conservateurs caractérisent l’accord comme un retournement de veste de leur garçon chéri d’hier, Paul Ryan. Le New York Times signale que «Heritage Action, le bras politique de l’Heritage Foundation et un groupe disposant d’influence parmi les républicains de base de la Chambre des représentants, s’est prononcé contre l’accord avant même qu’il ait été annoncé, ainsi que le fit également Americans for Prosperity, le lobby soutenu par les frères milliardaires Charles et David Koch».
Mais pourquoi Ryan et les républicains se précipitèrent sur l’accord que leur offraient les démocrates? Il contient à peu près exactement ce qu’ils réclamaient: pas d’impôts sur les hauts revenus, des augmentations des dépenses militaires et une austérité continue pour les travailleurs et les pauvres.
Ainsi que l’écrit l’économiste Paul Krugman, chroniqueur au New York Times, l’accord des démocrates d’abandonner une prolongation des allocations [benefits] pour les chômeurs de longue durée était la clé de ce «marché»: «Les allocations étendues n’ont pas été renouvelées, ainsi 1,3 million de travailleurs et travailleuses auront leurs allocations coupées à la fin de ce mois de décembre et bien d’autres verront leurs allocations expirer le mois suivant. Et si vous placez cela dans une perspective plus vaste – si vous regardez ce qui s’est passé depuis que les républicains ont pris le contrôle de la Chambre des représentants en 2010 – ce que l’on constate est le triomphe de l’idéologie anti-étatique qui a eu des effets énormément destructeurs pour les travailleurs américains.» [3]
Mark Pocan – l’un des 32 représentants [députés] démocrates qui ont voté «non» à cet accord budgétaire – décrit la réalité de ce «compromis»: «A la fin de la négociation, la loi abandonne 1,3 million d’Américains qui ont un besoin urgent d’assurance chômage et ne fait rien pour promouvoir la croissance économique ou la création d’emplois. En outre, cette loi se paie sur le dos de la classe moyenne et des familles de soldats, alors qu’elle ne touche pas les plus fortunés parmi nous et permet aux entreprises de continuer à profiter des lacunes dans la législation fiscale.»
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Barack Obama, de son côté, a exprimé de la sympathie pour ceux qui sont en colère au sujet de cet accord budgétaire.
Correction: pour les républicains fâchés par l’accord budgétaire. Obama a déclaré: «Cet accord ne comprend pas tout ce que je voudrai – et je sais que de nombreux républicains pensent la même chose. C’est la nature des compromis.»
Mais, tout au long de sa présidence, Obama a été d’accord pour que les personnes qui travaillent – qui ont été atteintes le plus fortement par des coupes budgétaires sans précédent – de faire la plus grande part du «compromis». Une fois encore, pour obtenir un accord budgétaire, les démocrates ont accepté des coupes profondément impopulaires – malgré des sondages montrant que les Américains prioriseraient plutôt une augmentation du budget des services sociaux et d’assurance chômage plutôt que des réductions budgétaires. Une solide majorité, en outre, se déclare en faveur d’une augmentation des impôts sur les hauts revenus [4]. En lieu et place d’œuvrer en faveur de ces idées populaires, les démocrates se sont toutefois mis d’accord sur un budget qui est très proche de ce que Paul Ryan a toujours défendu.
Ainsi que l’a souligné Krugman, en opposition à ce que l’on pense largement, l’Etat fédéral est devenu plus réduit sous Obama: «Les chiffres réels indiquent qu’au cours des trois dernières années nous avons vécu dans une époque de réduction sans précédent de la taille de l’Etat. L’emploi de l’Etat fédéral a baissé de manière aiguë, il en est de même pour les dépenses étatiques (y compris les dépenses des Etats et au niveau local), ajusté à l’inflation, qui a baissé de presque 3% depuis 2010 et d’environ 5% par tête.
Et lorsque je dis sans précédent, je pense exactement cela. Nous n’avons jamais rien vu de semblable à ces diminutions récentes des effectifs et des dépenses de l’Etat depuis les années 1950, et probablement depuis la démobilisation qui a suivi la Seconde Guerre mondiale.
Qu’est-ce qui a été coupé? Il en ressort une image complexe, mais les coupes les plus manifestes ont été réalisées dans l’éducation, les infrastructures, la recherche et la protection de l’environnement.»
En d’autres termes, les coupes sont réalisées dans des secteurs où les républicains ont depuis longtemps exigé des «réductions du déficit» – à l’opposé, par exemple, du budget gonflé du Pentagone. Et à chaque nouvelle «crise» à Washington, les démocrates opèrent une retraite supplémentaire, permettant aux républicains de placer toujours plus vers la droite le curseur.
Les dernières coupes encastrées dans l’accord budgétaire se déroulent après que les travailleurs ont été défaits. Ainsi que l’explique dans une déclaration Jean Ross, coprésidente de National Nurses United, l’accord est «une approbation de l’austérité au détriment de nous tous»[5]. Selon Ross: «Il n’y a aucune raison de saluer un accord qui exige des coupes injustifiées dans les retraites pour les travailleurs fédéraux, y compris les infirmières attachées aux anciens combattants qui reçoivent cette retraite, des programmes alimentaires sous-financés et qui échoue à étendre une aide aux chômeurs de longue durée […].
Des prévisions budgétaires d’austérité, telles qu’elles sont reflétées dans le dernier accord, sont la continuation de l’obsession inquiétante des deux partis à Washington [de réaliser des coupes] alors qu’ils devraient se battre pour des emplois à salaire décent, le rétablissement des dépenses dans le secteur des bons alimentaires, qui ont été coupés de manière dégoûtante, des services de santé pour tout le monde, une aide au logement et d’autres besoins humains et non de trouver comment plaire Wall Street et les banques.»
Tout cela arrive, ainsi que l’indique le journaliste John Nichols de l’hebdomadaire The Nation, avec le «sceau d’approbation démocrate» sur «les pires idées des républicains alignés sur Wall Street»[6].
L’ironie de cela est qu’au moment où la fin du shutdown de l’Etat, en octobre 2013, a été saluée comme un triomphe sur les obscurantistes du Tea Party et les républicains de droite de manière plus générale, Washington poursuit les coupes budgétaires les plus profondes de toute la Great Recession [terme qui désigne la crise qui a débuté en 2007-8 et qui fait écho à la «Great Depression» des années 1930]. L’accord budgétaire Murray-Ryan laissera en fait moins de liberté d’opérer des dépenses en 2014 que la proposition budgétaire originale de Paul Ryan d’il y a moins de quatre ans, lorsque les républicains obtinrent le contrôle de la Chambre des représentants – une proposition vilipendée par les démocrates comme étant l’œuvre de maniaques des coupes budgétaires [7].
Matthew O’Brien, de la revue Atlantic, écrit qu’il s’agit «de faire des compromis au nom du compromis. Ainsi, si l’une des parties se déplace de plus en plus vers, disons, la droite, ils peuvent finalement obtenir un «compromis» qui leur donne plus que ce qu’ils demandaient au début».
C’est là désormais le modèle en œuvre depuis plusieurs années. Si l’on revient en septembre, avant le shutdown de l’Etat, Michael Linden et Harry Stein du Center for American Progress montraient que ce que les démocrates proposaient alors comme étant un «compromis» était en fait ce que les républicains exigeaient depuis longtemps: «La mesure passée au Sénat pour permettre à l’Etat de continuer à fonctionner représente un compromis énorme de la part des progressistes pour éviter un shutdown de l’Etat aux effets désastreux. Le Sénat contrôlé par les démocrates a accepté temporairement des niveaux de financement qui sont bien plus proches du plan budgétaire de la Chambre des représentants contrôlée par les républicains que du budget même du Sénat pour l’année fiscale 2014.» [8]
Pour ce qui concerne le dernier accord en date, la seule chose que les démocrates ont «négociée» est quelle sera la force du coup porté contre la population laborieuse dans le dernier tour de vis des mesures d’austérité. Et ce n’est pas, non plus, le dernier «compromis». Les républicains auront une chance d’exiger plus de coupes encore en mars lorsque le pouvoir dont dispose le gouvernement d’emprunter de l’argent pour payer ses dettes s’épuisera à nouveau – plantant le décor d’une autre «crise» potentielle qui appellera de nouvelles concessions.
La population laborieuse a besoin de plus et non de moins. Et nous ne l’obtiendrons pas si ce sont les démocrates qui nous représentent à la table des négociations. (Article publié le 17 décembre 2013 sur le site SocialistWorker, traduction A l’Encontre)
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[1] http://www.nytimes.com/2013/12/11/us/politics/party-leaders-indicate-deal-is-reached-on-budget.html
[2] http://www.suntimes.com/news/otherviews/24278422-452/state-pensions-were-anything-but-too-rich.html
[3] http://www.nytimes.com/2013/12/13/opinion/krugman-the-biggest-losers.html
[4] http://politicalticker.blogs.cnn.com/2012/12/06/trio-of-polls-support-for-raising-taxes-on-wealthy/
[5] http://www.nationalnursesunited.org/press/entry/national-nurses-statement-on-federal-budget-deal/
[6] http://www.thenation.com/blog/177582/house-democrats-and-republicans-mostly-agree-austerity#
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