«Existe-t-il des bidonvilles à Choubra?», se demandent les uns et les autres lorsqu’on leur demande où se trouve le bidonville de Ezbet Al-Assal. Après de vaines tentatives, nous trouvons notre chemin. Ezbet Al-Assal est un bidonville situé à Choubra, quartier populaire du nord du Caire.
En effet, Choubra est l’un des quartiers les plus peuplés d’Egypte. Pour accéder à ce bidonville, on peut passer par trois avenues principales: rue Ahmad Helmi, une partie de la rue Al-Terea et la rue d’Al-Attar.
De petites maisons en briques rouges avec un mur d’enceinte accueillent le visiteur de ce quartier informel. Les fenêtres sont recouvertes de papier cartonné pour protéger les habitants de la chaleur et du froid. Les façades des maisons sont lézardées et des tôles ondulées servent de toits. Des crottes d’animaux jonchent le sol à l’entrée des maisons et des tonnes d’immondices s’amoncellent. L’odeur fétide des détritus se mêle à celle des excréments des équidés et empeste l’air. Ici, il n’existe aucun service de voirie pour assurer le ramassage des ordures. Les plafonds des chambres de 6 m2 sont délabrés et recouverts de moisissure. Il n’y a aucun moyen de transport pour lier les habitants de ce bidonville au reste de la ville. La nuit, l’absence d’éclairage dans les ruelles plonge le bidonville dans l’obscurité et l’insécurité la plus totale. Les ruelles étroites et boueuses rendent l’accès difficile au commissariat de police.
Am Meneim, 75 ans, est le cheikh de la hara (ruelle). Il est né à Ezbet Al-Assal, et ne l’a jamais quittée. Il dit que ce bidonville est constitué de 40 ruelles et 50 atfahs (ruelles fermées), et regroupe environ 2000 familles. «Chaque famille est composée de 7 à 10 enfants en plus des parents», confie-t-il.
Ce bidonville abrite principalement des ouvriers et des journaliers qui travaillent dans les usines et les ateliers environnants. «Personne ne pense à régler nos problèmes. On n’a pas de revenus stables. La plupart d’entre nous sont journaliers. Avant la révolution du 25 janvier, la personne qui travaillait une quinzaine de jours par mois pouvait gagner 700 ou 800 L.E. [93 à 116 CHF]. Aujourd’hui, elle ne gagne que 300 ou 350 L.E. Ajouté à cela, les promesses faites par les responsables ne sont jamais tenues. Nous avons le droit de vivre dans des conditions normales et saines», se plaint Eid Atris, un menuisier de 47 ans, en ajoutant que les prix ne cessent d’augmenter.
Le quotidien des habitants de ce bidonville est un véritable calvaire. «Pour acheter un kilo de pommes de terre, il faut compter entre 6 à 7 L.E. Jadis, la boîte de fèves se vendait à 25 ou 50 piastres, aujourd’hui, elle coûte entre 2 ou 3 L.E. Dix L.E. par jour ne suffisent plus pour nourrir ma femme et mes 6 enfants», lance avec amertume Abou-Achraf, un fraiseur. La seule chambre qu’il possède, il la partage avec ses enfants et leur maman.
Les dernières décisions du gouvernement concernant l’augmentation du salaire minimum (SMIC) des fonctionnaires de l’Etat ne concernent pas ces laissés-pour-compte. «Le fonctionnaire qui ne travaille que 8 heures par jour aura droit à un salaire de 1200 L.E. Tous les employés du secteur public et privé profiteront de ce privilège, quant à nous qui travaillons toute la journée et sans relâche dans des métiers à risque, nous n’avons droit à rien», dit Chaabane, un journalier.
Pour les habitants de ce bidonville, les régimes successifs n’ont rien fait pour améliorer leurs conditions de vie. Pourtant, certains considèrent que sous le régime de Morsi, les Frères musulmans ont déployé de grands efforts pour aider les gens qui habitent ces bidonvilles. Et ce, pour être sûrs d’avoir leurs voix aux élections législatives. Les associations financées par les Frères musulmans ont dépensé beaucoup d’argent. «Ils nous donnaient de l’huile, du riz, du sucre, des lentilles et même de la viande et des vêtements avant les fêtes du petit et du grand Baïram [deux fêtes solennelles suite au jeûne du Ramadan, l’une immédiatement après, l’autre 70 jours après]. Je me rendais à n’importe quelle mosquée pour empocher 50 L.E. par mois et d’autres sommes d’argent que nous offraient des associations ou des établissements appartenant aux Frères… A présent, on ne reçoit plus rien», relate Oum Hend. Bien qu’elle n’éprouve aucune sympathie à l’égard des Frères musulmans, elle regrette l’absence de tous les avantages qu’ils lui offraient. Pour d’autres, le régime des Frères n’a pas réussi à régler leurs problèmes. «Sous Morsi, nous avons passé des jours bien difficiles. Il a coupé l’eau et l’électricité, il manquait juste qu’il nous coupe l’air qu’on respire», lance Fathi, l’un des habitants de ce bidonville.
Ici, les gens pensaient que la révolution du 25 janvier allait tout changer: «Nous avons réclamé: pain, liberté et justice sociale, mais rien n’a changé.»
Même constat après le 30 juin. «On est encore à la case départ. Notre seul rêve est de pouvoir gagner 20 L.E. par jour pour arriver à subvenir aux besoins de nos familles», confie Gaber, père de famille.
Et le gagne-pain n’est pas leur seul problème. Le manque d’infrastructures et de services rend la vie encore plus dure. Il n’existe qu’une seule école expérimentale. «Notre joie était immense en apprenant que les responsables ont décidé de construire une école dans notre bidonville. Nous avons pensé que cette école allait accueillir nos enfants, ce qui n’était pas le cas. La direction de l’école a refusé les enfants issus du bidonville pour la simple raison que leurs parents sont analphabètes. Au lieu de régler le problème de l’analphabétisme, ils ne font que l’aggraver», se plaint Fahmi, père de 4 enfants et qui a été obligé de les envoyer dans des écoles situées dans des quartiers avoisinants.
Mais, d’autres parents n’ont pu donner cette chance à leurs enfants.«Si mes enfants vont à l’école, cela veut dire que je dois payer les frais de scolarité, acheter les uniformes, les livres et les cahiers. Et si l’enfant est faible, il doit également payer pour les leçons particulières. Je ne peux pas assumer de telles dépenses», dit Oum Nasra, qui a 5 enfants et dont le mari est ouvrier.
Une situation qui oblige la plupart des enfants du bidonville à travailler à un âge précoce. «Au lieu d’aller à l’école, ils commenceront à travailler dès leur jeune âge et ne seront plus un fardeau pour la famille. L’enfant qui abandonne l’école s’habitue avec le temps à mendier, à voler, à se droguer ou à commettre des délits», explique Réda Choukry, chercheuse spécialisée sur la «vie» dans les bidonvilles.
Mais, malgré ces conditions de vie difficiles, certains ont de l’espoir en l’avenir. «Il est impossible de régler tous les problèmes en 2 ou 3 mois. Il nous faudra attendre 5 ou 10 ans pour constater le changement, c’est le cas, après toutes les révolutions survenues dans le monde. Il faut juste que nous soyons plus patients», dit Tareq Moustapha, 44 ans.
D’après lui, c’est le moment ou jamais pour ce nouveau gouvernement de prouver qu’il se soucie réellement des problèmes des habitants des bidonvilles.
Des chiffres révélateurs
Un sondage, effectué par le centre Bassira, a révélé que 74% des Egyptiens se plaignent de la hausse des prix des produits de première nécessité. Ce sondage effectué au cours des 3 derniers mois a, en fait, interrogé des citadins, des villageois et des habitants de bidonvilles. Cette étude a été effectuée sur un échantillon de 1724 citoyens, âgés de plus de 18 ans, dans les divers gouvernorats égyptiens les 18 et 19 septembre dernier. La méthode s’est basée sur la collecte d’informations recueillies par téléphone portable ou fixe. Ce sondage a révélé que les habitants des bidonvilles sont les moins satisfaits de leurs conditions de vie et souffrent le plus de la cherté de la vie.
D’après le Dr Magued Osmane, directeur du centre Bassira, 3 personnes sur 4 des habitants des bidonvilles pensent que les prix augmentent de façon anormale. 71% dans les villages, contre 77% dans les villes d’Egypte. Cela veut dire que 73% des villageois, qui habitent dans le Delta du Nil, souffrent de l’augmentation des prix contre 78% des habitants de Haute-Egypte. (Publié par Al Ahram, 19 novembre 2013)
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