Par Juan Arias
Les protestations de rue agitées du Brésil ont connu en événement inédit: alors que jusqu’à maintenant cette révolte était organisée plutôt par des gens de la classe moyenne [1], les habitants pauvres des favelas ont cessé d’en être des témoins muets et ont commencé à se joindre aux manifestants.
Un millier de personnes provenant d’une des favelas les plus emblématiques de Rio de Janeiro, celle de la Rocinha, est descendu dans le quartier huppé de la ville, Leblon, accompagné par des policiers qui n’avaient pas besoin d’intervenir car avec leur marche pacifique, les habitants de la favela ont donné un exemple de citoyenneté. Au millier d’habitants de Rosinha se sont ajoutés encore 1500 venant d’une autre favela, et, ensemble, ils se sont dirigés vers la résidence du gouverneur de Rio, Sergio Cabral, lequel ne dort plus chez lui [2]. Là, un groupe de manifestants ont installé leurs tentes de campagne.
Les magasins de luxe de Leblon et les bureaux des patrons fermés
Lorsqu’ils ont entendu la nouvelle que la favela «était en train de descendre», les magasins de luxe de Leblon [3] et les bureaux des patrons ont fermé leurs portes. Ils avaient été pris par surprise, car les habitants des favelas, habitués à être pris entre la violence des narco-trafiquants et celle de la police, ont néanmoins mené la marche la plus pacifique parmi les protestations actuelles.
Avec leurs pancartes qui demandaient la paix, ces habitants ont transmis leurs revendications et sont rentrés pacifiquement chez eux sans avoir brisé une assiette. C’est une jeune étudiante de 21 ans, Erica dos Santos, qui a présenté leurs revendications, qui sont venues s’ajouter à la mer de pétitions de la protestation nationale.
On prétendait que l’Etat avait déployé beaucoup d’œuvres sociales dans la favela de Rosinha, qui serait devenue aujourd’hui une destination touristique, même à un niveau international. A cette occasion les habitants de la favela ont démenti cette version gouvernementale idyllique:
«Lorsque Dilma est venue dans la favela, elle a promis des améliorations dans les infrastructures de santé publique, mais elles n’ont pas été réalisées, la garderie ne fonctionne pas et les soins aux malades prodigués dans le poste de santé publique sont de très mauvaise qualité», a déclaré l’étudiante au nom de la favela.
Des revendications concrètes, ponctuelles
L’éveil à la protestation nationale par les habitants de la favela est un fait nouveau, qui peut faire peur à la classe politique. En effet, il dément la fiction qui veut que les pauvres – qui seraient reconnaissants de tout ce qu’ils ont reçu ces années des gouvernements progressistes de Lula et de Dilma – ne viendraient pas ajouter leurs revendications aux griefs de la «classe moyenne».
Ils ont commencé à le faire. Ce sont des gens durs, habitués à entendre des balles siffler par-dessus leurs têtes. Ils ont pourtant surpris par leur attitude pacifique et de dialogue. Si ces habitants des favelas n’étaient pas écoutés, ils pourraient montrer avec plus de vigueur que la «classe moyenne» leur colère accumulée au cours du long abandon historique qu’ils ont subi. Actuellement, leur première action a été un exemple pour tous. Une leçon de protestation pacifique est arrivée de là où on s’y attendait le moins. Un des nombreux paradoxes de ce réveil du Brésil. (Traduction A l’Encontre)
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[1] La notion de «classe moyenne» a envahi les articles et une prétendue sociologie. On la trouvait par exemple en première du numéro hors-série du Courrier international, juin-juillet-août 2013, avec comme titre en première page «Une société réconciliée» (sic), cela quelques jours avant l’explosion sociale, socialement diversifiée, qui marque le champ politique brésilien. Quiconque connaît le Brésil, ses grandes villes, se pose une question élémentaire: comment vivre avec 427 euros par mois pour un ménage. La dite classe C est décrite ainsi: «Avec les 1300 reais [500 euros] qu’elle touche en faisant le ménage chez des familles de la classe moyenne supérieure [théorie de la stratification de la société par revenus selon les canons de la sociologie américaine dominante] de São Paulo, Raimunda fait partie de cette nouvelle force économique» (article paru dans Courrier international le 30 septembre 2010 et traduit de l’hebdomadaire Istoé). Selon les «études» diffusées par la presse, le Brésil compterait quelque 90 millions de personnes qui appartiennent à des ménages ayant un revenu mensuel compris entre 427 et 1843 euros. Elles sont même considérées «comme la classe dominante» (resic) au Brésil (cf. Istoé). La farce voisine, ici, le cynisme et l’imbécillité, deux qualités répandues parmi des «acteurs» du journalisme ou les sociologues au service des classes effectivement au pouvoir. Voir à ce sujet l’article publié en date du 18 juillet 2012 par Paulo Passarinho: «Brésil: le miracle propagandiste de l’explosion de la “classe moyenne”». (Rédaction A l’Encontre)
[2] Sergio Cabral, du PMDB, a été dénoncé par l’Ordre des avocats de Rio comme ayant une politique de «criminalisation de la pauvreté». Ce «centriste» a toujours été reconnu pour sa politique répressive moderne (Unités de Police pour la Pacification), combinée avec des dimensions «charitables» s’inspirant des méthodes de la Banque mondiale. Il convient (convenait?) parfaitement au gouvernement fédéral du PT pour «préparer le terrain», à Rio, de la Coupe du monde et des Jeux olympiques. Les lignes de métro à Rio ne sont pas «polluées» par les pauvres. Le maire de Rio, Eduardo Paes, a été aussi soutenu par le PT lors des élections à la mairie de Rio en 2008 et en 2012. Comme le souligne un article du quotidien Le Monde, du 8 octobre 2012: «L’homme, âgé de 42 ans, cheveux poivre et sel, col de chemise ouvert, ferait presque figure d’antithèse de Lula Da Silva, l’ouvrier syndicaliste devenu président, respecté des classes aisées… s’il ne partageait avec le plus populaire des Brésiliens un sens aigu des alliances électorales. Les premiers mots de M. Paes après sa victoire ont d’ailleurs été pour «remercier la présidente Dilma Rousseff et Lula pour leur amitié et leur engagement» à ses côtés.?«Nous allons continuer ensemble pour les quatre prochaines années», a déclaré M. Paes, membre du PMDB, parti de la coalition gouvernementale, qui a aussi bénéficié du soutien du gouverneur de l’Etat de Rio, Sergio Cabral du même parti que lui, et a rallié le vote massif des favelas.» (Rédaction A l’Encontre)
[3] Quartier «chic» de Rio situé entre Ipanema, le Jardin botanique, le Lagoa et les Deux Frères; son nom vient de l’ancien propriétaire de ces terres; ce quartier «possède» une galerie commerciale luxueuse: le Shopping Leblon. (Rédaction A l’Encontre)
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Article publié dans El Pais Internacional, Rio de Janeiro, 26 juin 2013
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