Dans les entreprises de la métallurgie italienne, les femmes représentent environ 20% de la force de travail, y compris dans les secteurs directement productifs. S’il est vrai qu’il est rare d’en trouver sur une chaîne de montage de gros engins (camions, tracteurs), ou encore dans une fonderie et dans la construction de grands navires, on ne peut pas dire la même chose d’autres secteurs – avant tout dans les manufactures – où les ouvrières de production constituent la majorité ou la quasi-majorité. Il suffit de penser à l’électrodomestique, à l’électronique, à la fabrication de scooters, y compris d’automobiles. Et cette présence se note, en particulier, sur les chaînes de montage. Où les opérations sont considérées comme relevant d’un travail moins qualifié et de salaires plus bas. En outre, le milieu de la métallurgie et de la mécanique est, traditionnellement, lié à une sorte d’ambiance machiste et masculine dans laquelle les revendications et les combats des femmes réussissent rarement à émerger.
Ne serait-ce que pour cette raison, l’initiative prise par les ouvrières de la FCA-Fiat de Melfi [Melfi se situe dans la province de Potenza, dans le Basilicate] face à la couleur imposée de l’habit de travail est belle et importante.
Sur la proposition de quelques déléguées audacieuses et courageuses, les ouvrières de la FCA de Melfi ont réuni des centaines de signatures pour changer les habits de travail blancs avec ceux, classiques, de couleur plus sombre. Depuis toujours, le terme les «bleus de travail» est synonyme de travailleurs [aussi les «cols bleus»]. Mais ce n’était pas le cas dans les établissements de la Fiat (aujourd’hui la FCA: Fiat Chrysler Automobiles), où l’on travaille dans un milieu où l’huile et les graisses règnent. Mais la direction fait semblant de rien dans le but que les spots publicitaires télévisés donnent l’impression que l’on se trouve dans une salle d’opération chirurgicale des plus modernes.
Outre l’aspect absurde du blanc pour toutes, qui est à l’opposé de conditions de travail proches du début de XXe siècle, le problème pour les ouvrières réside dans un fait simple: durant le cycle de travail toutes les combinaisons de travail deviennent sales. Car elles travaillent dans de mauvaises conditions, toujours debout, et avec très peu de possibilités de faire une pause (et cela dans un système de travail par équipe, le samedi et le dimanche compris).
A la suite des signatures réunies, sur l’initiative de nos camarades, la direction de l’entreprise a répondu d’une manière qui relève du ridicule. Une commission (composée, cela va sans dire, uniquement d’hommes) a décidé que toutes les ouvrières continueraient à porter les habits de travail blancs parce que les changer coûterait trop cher et qu’aux femmes qui ont des menstrues, une «culotte» leur serait donnée. Ce n’est pas un gag! Immédiatement, les ouvrières ayant lancé l’initiative ont déclaré qu’elles n’accepteraient pas cette «proposition», car elles se sentaient deux fois insultées et qu’elles continueraient leur mobilisation.
Leur lutte est juste et exemplaire et doit être soutenue. Ne serait-ce que pour des raisons plus générales. Autrement dit: savoir rester fermes sur des revendications justes et justifiées concernant une amélioration des conditions de travail pour tous et toutes, hommes et femmes. Cette mobilisation est aussi un exemple magnifique d’autodétermination des femmes portant sur leurs conditions de travail, sur leur dignité et sur l’exploitation de leurs corps dans l’entreprise. Elles se sont décidées de leur propre chef de dire les choses en les nommant précisément: «Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus» («C’est par son nom que demeure la rose d’autrefois. Nous ne conservons que des mots vides»). Croyez-moi, il est difficile de parler de menstrues en usine! D’autant plus que durant des années, les ouvrières de Melfi ont tout supporté sans se rebeller. En outre, dans l’imaginaire publicitaire de ce pays, l’Italie [pas seulement], arriéré et machiste, les femmes qui ont leurs menstrues s’habillent de manière élégante, quasi pour un cocktail, avec des talons de 12 centimètres. Elles ne sont pas sur des lignes de montage tout en blanc.
Au même titre, il n’est pas facile de parler en usine de santé reproductive, de fertilité et d’impuissance. Des questions qui sont, par contre, fortement en relation avec les conditions de travail et avec les risques liés aux conditions ergonomiques de l’organisation du travail, avec les rythmes et, plus en général, avec le stress psychophysique lié au travail. De cela on ne parle pas ou on n’en parle que très peu. Et il est difficile de faire apparaître un point de vue de genre sur ces thèmes.
Ce serait pourtant le moment que l’on affronte tous ces problèmes, les appelant par leur nom – même comme dans ce cas précis cela peut susciter l’embarras – et les déclinant selon les rapports de genre qui n’est jamais neutre. Parce que les conditions de travail, la sécurité, la santé ne sont pas neutres! Il y a des différences entre les corps des hommes et des femmes. Il ne s’agit pas seulement de la couleur (et de la forme!) des habits de travail, mais aussi des DPI (dispositifs de protection individuelle: gants, lunettes de protection, coiffe, etc.). Et quand on dit que ces questions sont neutres, c’est-à-dire sans faire de différence entre hommes et femmes, on affirme en réalité qu’elles sont pensées par des hommes, pour les hommes et que, par la suite, les femmes s’adapteront. Une logique erronée et, plus d’une fois, dangereuse pour la santé, la sécurité, et pas seulement pour la situation de femmes enceintes.
Pour cette raison, la bataille des femmes de Melfi est belle et juste et doit être soutenue à chaque pas qu’elles entreprendront pour la poursuivre.
Et, enfin, parce que manque, y compris dans le syndicat, la capacité d’exprimer son point de vue, au moyen d’une pratique collective et de genre. Quand cela arrive, comme c’est le cas ici, il faut appuyer celles qui engagent ce type de pratiques et prendre exemple sur elles. Pour cette raison il me plairait de connaître l’opinion des syndicalistes et comment ces derniers pensent apporter leur soutien à ces syndicalistes qui ont des responsabilités bien supérieures aux miennes et qu’il me semble ne pas avoir entendus jusqu’à maintenant. (Traduction A l’Encontre; article publié sur le site Sinistra Anticapitalista, en date du 16 octobre 2015)
Eliana Como est syndicaliste de la FIOM et active dans le secteur industriel.
____
Deux clips de pub pour la Fiat X500 (Melfi FCA)
Soyez le premier à commenter