A Genève la police et les agents municipaux marquent les passeports des roms d’inscriptions dénonciatrices.
Vendredi 20 mars 2009, le quotidien Le Courrier dénonce « les pratiques douteuses » des forces que certains nomment de l’ordre, à Genève, envers les Roms: « L’association Mesemrom accuse aujourd’hui les forces de l’ordre de se prêter à une pratique douteuse et strictement illégale: celle d’inscrire des commentaires manuscrits sur les papiers d’identité des personnes interpellées. » Mesemrom dénonce cette pratique strictement illégale. Elle souligne que cet acte abject a été perpétré tant par des Agents de sécurité municipale (pas uniquement de la Ville de Genève, mais aussi d’autres communes) que par des fonctionnaires de police cantonale. Et en outre cela s’est passé de très nombreuses fois (Mesemrom a connaissance plus de 20 cas).
Dernièrement l’affaire est sortie à nouveau, le 1er et le 2 mai, par les quotidiens locaux ainsi qu’avec une affichette du quotidien gratuit 20 Minutes: « Mendiant» écrit sur le passeport de Roms ». Un article précise, dans le même journal, que des agents municipaux ou policiers ou les deux ont inscrit « Contrôlé par la police. Genève [avec mention du lieu et de la date] pour mendicité » ou plus laconiquement « Mendiant » dans des passeports de Roms.
Interrogé à l’émission Forum (RSR, 2 mai 2009), le conseiller d’Etat «socialiste» aux Institutions (la justice et la police), Laurent Moutinot, a déclaré cette pratique « totalement inacceptable », « totalement illégale ». Il a affirmé qu’une enquête est en cours pour statuer sur ce « comportement inadmissible ». Pour ce qui est de la Ville de Genève et des autres communes impliquées, notamment Onex, vraisemblablement Lancy et peut-être d’autres encore, les responsables ne se sont pas exprimés. L’acte sera puni des « sanctions d’usage » déclare Moutinot. Il ajoute « nous rembourserons le prix d’un nouveau passeport » aux victimes. Jusque-là l’affaire pourrait sembler claire et avoir un heureux dénouement. Mais il n’en est rien.
Nous ne pouvons pas en rester là
Non seulement cela rappelle les agissements nauséabonds des autorités suisses, – cantonales et fédérales – qui faisaient figurer, en d’autres temps pas si éloignés, dans les documents d’identités des Roms, des indications stigmatisantes pour leurs détenteurs. Mais en outre se posent deux questions. Pourquoi de tels agissements, actuellement, à Genève ? Pourquoi un tel sentiment d’impunité de la part des forces dites de l’ordre ?
Moutinot et les autorités s’arrêtent à l’aspect inacceptable de ces actes commis par des individus. Ils auraient outrepassé leurs prérogatives ; de ce point de vue ils se mettaient en dehors de la loi et des règlements. Du coup, les autorités inversent les rôles. Elles se déchargent de leur responsabilité. Tout est mis sur le dos de fonctionnaires, des subordonnés, au comportement, certes inadmissible. Toutefois, ces derniers ne sauraient être tenus pour seuls responsables.
En effet, si l’on tisse une petite histoire des «événements» analogues qui se sont produits, ces dernières années et de ces derniers mois, uniquement à Genève – sans mentionner les campagnes immondes du plus grand parti politique suisse: l’UDC, ni des lynchages collectifs de Roms en Italie, ni de leur fichage ethnique par le gouvernement de la péninsule, ni de l’épuration ethnique contre eux au Kosovo, etc. – la question se pose en d’autres termes que ceux qu’entendent présenter le chef de la police du canton de Genève et les autorités cantonales.
• D’abord il y a, depuis 2006 et jusqu’à ce jour, un véritable harcèlement de la police cantonale. Elle n’a cessé et ne cesse d’infliger aux Roms des amendes pour mendicité (les rendant par là même plus pauvres). En outre le 99 % des amendes infligées à ce titre en 2006 et 2007 uniquement et qui étaient connues par Mesemrom n’ont pas été notifiées, amendes qui du coup ressemblent à du racket plus qu’à autre chose. En 2008, 1100 amendes leur ont été infligées. Même le quotidien Le Matin du 6 novembre 2008 dénonce les malversations de la police, qui confisque, par exemple, 90 centimes à un mendiant (sic !). En outre les policiers font très souvent, et de force, les poches des Roms qu’ils contrôlent, pour leur prendre ce qu’ils ont en poche sous prétexte « d’avance » pour l’amende.
• Puis, de 2006 à fin 2007, un «débat politique» s’est déroulé au Grand Conseil genevois. Où chaque député intervenant a rivalisé de préjugés, de mépris, de considérations vexatoires et humiliantes, mais aussi d’accusations criminalisantes contre les Roms en les comparant à des trafiquants de drogue, des mafieux, des clans délinquants, etc. Les partis les plus réactionnaires – UDC et MCG – ont la palme de ces insanités, mais de loin pas le monopole, les libéraux, radicaux, démo-chrétiens et «socialistes» ne sont pas en reste.
• A la fin de l’année 2007, la police publiait un fichage des mendiants de Genève (« Monitoring mendicité ») sur Internet, sans qu’aucune des autorités de surveillance – qui existent pourtant – ne remette en cause cet acte liberticide et stimulant la délation dans une tradition sentant les années trente. Peu après les autorités politiques ont fait évacuer (liquider) par la police – assistée par le Service social de la Ville de Genève et d’autres potiches humanitaires – des lieux (notamment sous des ponts) où campaient des Roms.
• Fin 2008, sont publiés un projet de loi de la droite contre la « mendicité » et un « plan anti-mendicité » de la gauche et du conseiller d’Etat socialiste à la police, dans les deux cas « mendicité » signifiant Roms en langage politically correct. Du même coup, la « mendicité » a été interdite à Genève. Autrement dit l’extrême pauvreté dans laquelle sont précipités des démunis par une des plus riches «places bancaires» de la planète – spécialisée aussi dans la mise en œuvre de mécanismes sélectifs d’exclusion qui plongent, certes, leurs racines dans le système capitaliste lui-même – est considérée et jugée: illégale.
• Dès février 2008 le «délit de dénuement» est combattu, y compris par le Procureur général. Depuis mai 2008, cette interdiction cantonale reçoit la bénédiction du Tribunal fédéral. Soulignons que tout au long de ces attaques contre l’extrême pauvreté, les Roms étaient et sont prioritairement visés dans le but non déclaré mais évident – et cela apparaît bien lorsqu’on lit les mémoriaux du Grand Conseil – de s’attaquer, dans la foulée, aux victimes «locales» de l’extrême pauvreté, quelle que soit leur nationalité: suisse, européenne ou autre. L’essentiel est de contraindre les pauvres et les miséreux à rester dignes, discrets, à ne pas étaler leur malheur devant tout le monde… c’est-à-dire, non seulement devant les «riches», mais aussi devant les salarié·e·s dont bon nombre sont des pauvres ou des miséreux potentiels. La «chute dans la misère» ne doit pas être évoquée, à Genève et ailleurs, en Suisse: «ordre, propreté, travail et dignité», voilà les valeurs qui doivent être «partagées» par tous, surtout en période de crise.
• En décembre 2008 la Tribune de Genève titrait: « Des Roms venus de toute l’Europe affluent à Genève ». Ils étaient 130 à Genève à ce moment. C’est un tout petit peu moins que les 10 à 15 millions de Roms « de toute l’Europe », mais la Tribune n’a pas dû le remarquer…
• En janvier 2009, avant les votations fédérales du 8 février sur l’extension de l’accord sur la libre circulation à la Roumanie et à la Bulgarie, l’autorité politique cantonale a lâché 30 policiers et 4 fourgons pour une partie de chasse contre les Roms – volontairement très visible – sur la voie publique. Après quoi le conseiller d’Etat «socialiste» à la police, Moutinot, a déclaré à l’émission Forum (RSR) que cette opération avait un lien avec la votation.
• En février 2009, l’hebdomadaire gratuit Genève Home Information (le plus grand tirage de la presse du canton) mettait les miséreux roms en opposition avec les miséreux locaux en titrant: « Misère. La concurrence des Roms fait souffrir les SDF ». L’hebdomadaire reprend aussi, comme la Tribune de Genève peu avant, le thème de l’« arrivée massive » des Roms venus à Genève.
• Récemment, en mars 2009, une mendiante rom s’est fait infliger 90 jours-amende pour n’avoir présenté qu’une carte d’identité lors d’un contrôle de police. Étant roumaine, elle aurait dû présenter un passeport, qu’elle détenait pourtant. Mais la police a fait semblant de ne pas comprendre qu’elle ne parle pas français, lui infligeant cette amende après l’avoir embarquée et mis aux arrêts au poste. Un juge ayant encore un cœur et un cerveau l’a acquittée. Mais pour un tel cas acquitté, combien y a-t-il de dizaines de cas muets ?
• A chaque fois, à part l’association de défense des Roms Mesemrom, il n’y a que très peu ou pas de dénonciations…
Après tout ça, le fait que les flics cantonaux ou municipaux se croient libres d’user de procédés aussi abjects que celui de mettre des inscriptions sur les passeports des Roms, se sentant impunis au point de perpétrer un acte raciste et contrevenant au droit international, ne saurait surprendre. Les responsables directs de ces actes ne doivent pas être libres de pratiquer ainsi. Mais le Conseil d’État, le conseiller d’État «socialiste» à la police et la cheffe de la police portent une responsabilité au moins aussi grave ! Ils ne devraient pas s’en sortir en faisant simplement porter le chapeau de leur politique à des «subordonnés obéissants», peut-être imbéciles (mais qui ont été sélectionnés par les autorités et ont reçu une «formation»).
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