Tunisie: révolte de la jeunesse marginalisée

Un jeune Tunisien emmené après une tetntative de suicide  le 22 janvier 2016 à Kasserine
Un jeune Tunisien emmené après une tetntative de suicide
le 22 janvier 2016 à Kasserine

Par Alain Baron, le 24 janvier 2015

Depuis le 17 janvier, des explosions de colère secouent une partie de la jeunesse tunisienne. Elles se traduisent notamment par des manifestations, des sit-in devant ou à l’intérieur de bâtiments de l’Etat, des barrages routiers à l’aide de pneus enflammés, quelques pillages et même la mort d’un policier.

Les raisons de la colère

Tout a commencé à Kasserine, une ville déshéritée de l’intérieur du pays où un jeune chômeur est mort électrocuté le 16 janvier. Il était monté sur un poteau électrique pour protester contre son retrait arbitraire d’une liste d’embauches dans la fonction publique.

Dès le lendemain, des affrontements avec la police ont eu lieu sur place. Ce mouvement s’est ensuite étendu dans une série de localités et certains quartiers de grandes villes. Le 22, le couvre-feu entre 20h et 5h a été décrété sur l’ensemble du pays [1].

Les causes de ces mouvements ne sont pas nouvelles. Depuis des années des milliers de jeunes, souvent titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, réclament un emploi. C’était déjà le cas lors du soulèvement du bassin minier de Gafsa en 2008, puis de l’immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 qui a été le signal du début de la révolution.

Mais cinq ans plus tard, la situation de l’emploi n’a pas changé, elle s’est même détériorée. Le nombre de suicides est en augmentation parmi les jeunes, et des explosions locales de colère ont périodiquement lieu. Cela a par exemple été le cas en 2015 dans le sud du pays ainsi que dans la région de Gafsa où des jeunes chômeurs ont paralysé plusieurs mois le bassin minier.

Une des raisons pour lesquelles la tragédie de Kasserine a été le point de départ d’une vague nationale de mobilisations, est l’aggravation de la crise globale que traverse la Tunisie.

Accentuant la politique néo-libérale en vigueur du temps de Ben Ali, le pouvoir est incapable d’apporter la moindre solution aux jeunes réclamant un emploi.

Simultanément Nidaa Tounès, le parti arrivé en tête aux élections d’octobre 2015 a explosé. Un de ses députés a comparé les clans rivaux à « une dispute entre coqs pour une poubelle ».

Résultat, Ennahdha est redevenu le premier parti représenté à l’Assemblée. Avec un ministre de la Justice et un ministre de l’Intérieur réputés proches d’Ennahdha, les dossiers des exactions commises lorsque ce parti dirigeait le gouvernement en 2012-2013 ne sont pas près d’avancer.

L’absence d’alternative crédible

La création rapide de milliers d’emplois durables serait pourtant possible. Pour financer une telle mesure, le Front populaire propose par exemple un impôt exceptionnel sur les grandes fortunes, ainsi qu’un moratoire de trois ans sur le remboursement de la dette, qui représente 18 % du budget et la principale dépense de l’Etat.

Mais le Front populaire, qui rassemble l’essentiel des organisations de gauche, ne dispose que de 7 % des sièges au Parlement. Il peine également à se structurer et à définir une stratégie globale à la hauteur des enjeux.

Plusieurs associations, dont la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (LTDH) ont appelé «à l’adoption d’un modèle économique dont l’objectif est la réduction des disparités régionales et des inégalités sociales», en disant leur «déception» face à l’inaction des différents gouvernements.

En ce qui la concerne, l’UGTT a appelé le gouvernement à trouver des solutions «urgentes et efficaces» pour résoudre rapidement les problèmes du chômage et du développement dans les régions défavorisées. Elle a réitéré les projets alternatifs, qu’elle avait déjà proposés aux gouvernements précédents.

Une solidarité hésitante

Même si la grande majorité de la population reconnaît la légitimité des revendications des chômeurs, beaucoup sont choqués par les violences commises ces derniers jours. Ils craignent que des djihadistes se mêlent aux manifestants afin de développer le chaos. Suite au traumatisme causé par les exactions de Daech en Tunisie, la crainte existe que les tâches supplémentaires confiées à la police et l’armée se fassent au détriment de leurs autres tâches : la lutte contre les réseaux et maquis islamistes ainsi que le trafic d’armes en provenance notamment de Libye.

En ce qui les concerne, les organisations de jeunes ont du mal à mobiliser. Les rassemblements et manifestations de solidarité organisés dans les grandes villes par l’Union des diplômés-chômeurs (UDC) et l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET) n’ont jamais rassemblé à ce jour plus de 300 participant-e-s.

Les difficultés d’une jonction avec le mouvement ouvrier organisé

Comme souvent en Tunisie, la possibilité d’un réel mouvement de solidarité va largement dépendre du positionnement du mouvement syndical. Mais de ce côté-là, rien n’est en ce moment très simple.

Sous l’impulsion de la gauche de l’UGTT, le mouvement syndical sort en effet d’une année de mobilisations intenses.

Celles-ci ont permis au premier semestre une victoire historique dans l’enseignement secondaire, et des avancées appréciables dans le reste du secteur public ainsi que dans certaines entreprises privées.

La vague de grèves générales régionales dans le secteur privé au second semestre a par contre été brutalement interrompue le 25 novembre après l’attentat de Daech à Tunis.

Après des mois de tensions, le risque existe aujourd’hui que les syndicalistes les plus combatifs relâchent la pression. Cela accentue au sein de l’UGTT le danger d’un retour de balancier vers la routine et la recherche de consensus avec les adversaires des intérêts des salariés et des chômeurs [2].

Un compromis à minima avec le patronat a par exemple été trouvé en catastrophe le l9 janvier au sujet des augmentations salariales dans le secteur privé.

Du coup, la reprise des grèves générales régionales dans le privé a été annulée, dont celle prévue le 21 janvier dans la région de Tunis. (24 janvier 2016)

_____

[1] Une série d’articles sur ces mobilisations est disponible sur le blog tunisien Nawaat :

– Kasserine : après le deuil, l’embrasement (19 janvier)
http://nawaat.org/portail/2016/01/19/kasserine-apres-le-deuil-lembrasement/

– Reportage à Kasserine : « Personne ne saura calmer la colère de la faim » (21 janvier)
http://nawaat.org/portail/2016/01/21/reportage-a-kasserine-personne-ne-saura-calmer-la-colere-de-la-faim/

– Ridha Yahyaoui : Un stylo m’a tué (22 janvier)
http://nawaat.org/portail/2016/01/22/ridha-yahyaoui-un-stylo-ma-tuer/

[2] Le 20 janvier, au premier rang des invités à la cérémonie des 70 ans de l’UGTT, figuraient les porte-parole de l’ensemble du spectre politique tunisien, dont le Président d’Ennahdha, ainsi qu’un représentant du syndicat patronal UTICA.

 

A Kasserine, le 21 janvier 2016: la police affronte les jeunesse. Le Premier ministre exige la «patience» et n'annonce aucune mesure contre le chômage. Selon l'AFP, Inès Bel Aiba: «Le ministre Kamel Jendoubi (société civile et droits de l'Homme) a, lui, affirmé que le chef du gouvernement ne tarderait pas à annoncer des mesures pour "la jeunesse, l’emploi et la prise en charge des situations difficiles». Interrogé par l'AFP, l'analyste Selim Kharrat ne s'est pas montré «étonné» de l'absence d'annonces immédiates. «Si le gouvernement avait des solutions à proposer, il l'aurait fait bien avant l'éclatement de cette crise. Il ne faut pas oublier que sa marge de manœuvre est très réduite»", notamment financièrement, a-t-il dit. Mais il "aurait pu prendre des mesures non coûteuses" contre la corruption et a "manqué une occasion de donner un signal positif", a ajouté M. Kharrat. Selon lui, «ce que réclament les manifestants, c'est non seulement du travail mais aussi des dirigeants intègres et au service des populations». La réponse du gouvernement, de facto, les ex-Benaliste et Ennhada: le couvre feu! (Réd. A l'Encontre)
A Kasserine, le 21 janvier 2016: la police affronte les jeunesse. Le Premier ministre exige de la «patience» et n’annonce aucune mesure contre le chômage. Selon l’AFP, Inès Bel Aiba: «Le ministre Kamel Jendoubi (société civile et droits de l’Homme) a, lui, affirmé que le chef du gouvernement ne tarderait pas à annoncer des mesures pour la jeunesse, l’emploi et la prise en charge des situations difficiles».
Interrogé par l’AFP, l’analyste Selim Kharrat ne s’est pas montré «étonné» de l’absence d’annonces immédiates.
«Si le gouvernement avait des solutions à proposer, il l’aurait fait bien avant l’éclatement de cette crise. Il ne faut pas oublier que sa marge de manœuvre est très réduite», notamment financièrement, a-t-il dit. Mais il «aurait pu prendre des mesures non coûteuses» contre la corruption et a «manqué une occasion de donner un signal positif», a ajouté M. Kharrat. Selon lui, «ce que réclament les manifestants, c’est non seulement du travail mais aussi des dirigeants intègres et au service des populations». La réponse du gouvernement, de facto, les ex-Benalistes et Ennhada: le couvre feu! (Réd. A l’Encontre)

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