Tunisie. Ils veulent un autre ordre social. Eux, veulent l’ordre

protest-kasserine-map-frPar Henda Chenaoui

Le Conseil de sécurité nationale de Tunisie s’est réuni, le 25 janvier 2016, au Palais de Carthage sous la présidence du président de la République, Béji Caïd Essebsi (BCE), pour l’évaluation de la situation sécuritaire dans le pays.?La réunion s’est déroulée en présence du président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Mohamed Ennaceur, du chef du gouvernement Habib Essid, des membres du Conseil supérieur des armées, ainsi que de plusieurs hauts cadres sécuritaires, outre des membres du gouvernement et des députés de l’ARP, indique un communiqué de la présidence de la République. Autrement dit, face au mouvement social, «l’ordre» est réclamé par les sommets de l’armée, par les ex-bénalistes, ainsi que par ceux (Ennhada) qui «négocient» avec le pouvoir, tant l’ordre social est propre à leur programme socio-économique, Dès novembre 2015, la vieille garde se retrouve à la Sécurité nationale: Abderrahmane Belhaj Ali.

Abderrahmane Belhaj Ali
A. Belhaj Ali

Ce dernier, très tôt, a attiré l’attention Zine el-Abidine Ben Ali, ancien directeur de la Sûreté devenu ministre de l’Intérieur. A sa prise de pouvoir, le 7 novembre 1987, Ben Ali fait de Belhaj Ali son directeur de la sécurité présidentielle. Ironie de l’histoire: déjà, à l’époque, il succède à Rafik Chelly, resté fidèle à Habib Bourguiba. Belhaj Ali officie à ce poste jusqu’en 2001, quand Leïla Ben Ali (femme influente de Ben Ali, du clan Trabelsi) commence à éloigner le premier cercle formé, depuis 1987, autour de son époux. «Déplacé» en Mauritanie il va compléter sa formation dans ce pays. Il sera aux premières loges du nouvel ordre que vise à imposer ECB qui doit faire face à une résistance sociale d’ampleur que décrit Henda Chenaoui. (Rédaction A l’Encontre)

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Entre Kasserine, Sidi Bouzid et Tunis, le mouvement social revendiquant travail et développement régional continue à rassembler des milliers de citoyens. Ce lundi, 25 janvier, les manifestations ont eu lieu à Kasserine, Sidi Bouzid, Regueb, Jebeniana, Hamma, Gafsa, Jendouba, Ghardimaou, Tibar, Siliana, Beja, Jendouba, le Kef et Tunis. Les manifestations et rassemblements ont conservé leur aspect pacifique dans toutes les régions.

Là où tout a commencé le 16 janvier 2016 les jeunes chômeurs continuent leur sit-in au siège du gouvernorat pour revendiquer le développement régional et l’emploi. Dans un communiqué publié hier dimanche 24 janvier, ils se réjouissent «de l’échec des tentatives d’infiltration et de récupération des demandes légitimes du sit-in et de tout le mouvement social pacifique». Les chômeurs ont condamné «la surdité du gouvernement face à nos demandes d’ouverture d’un dialogue». Ils ont exprimé leur refus catégorique du «traitement hautain et centralisé des problématiques de la région de Kasserine et de sa jeunesse». Ils rappellent enfin leur détermination à affronter «le système de la corruption et de la bureaucratie qui a marginalisé depuis des années notre région et qui essaie à nouveau d’ignorer notre existence dans les programmes de développement».

Dans les régions, la dignité passe par le travail et le développement

A Sidi Bouzid, une manifestation a eu lieu ce matin, lundi 25 janvier, rassemblant des dizaines de personnes. Organisée par l’Union des diplômés chômeurs, le bureau régional de l’UGTT et le bureau régional de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, la manifestation s’est dirigée vers le siège du gouvernorat où les manifestants ont demandé à rencontrer le gouverneur. «Ce dernier nous a promis, la semaine dernière, une réunion pour recevoir nos demandes de développement et d’emplois. Mais il a tout annulé à la dernière minute sans explications», selon Atef Affi, membre de l’UDC (Union des diplômés chômeurs) à Sidi Bouzid. Le bureau régional de l’UDC a appelé le pouvoir central à régler la question de l’emploi précaire et à confier la gestion des concours publics à une commission indépendante où la société civile doit être représentée.

Le rassemblement des jeunes chômeurs de la région a été réprimé par la police qui «a aspergé les manifestants de gaz lacrymogène et a attaqué même les passants à coups de matraques», témoigne Atef Affi. En même temps, des jeunes chômeurs ont entamé, ce matin, un sit-in au siège de la délégation de Regueb (40 km de Sidi Bouzid) pour demander le développement régional, l’emploi et l’ouverture du dossier de la corruption.

À Jebeniana (Sfax), une grande manifestation a eu lieu, cet après-midi, au centre-ville, appelant à ouvrir le dossier du développement et de l’emploi mais aussi à la démission du gouvernement actuel. Deux sit-in se poursuivent aux sièges de la municipalité et de la délégation depuis mardi 19 janvier.

hammaÀ El Hamma (Gabes), les manifestants ont barré la route nationale n°16 qui relie Gabes à Kebili pour exiger d’être reçus par les responsables locaux. Selon radio Tatouine toutes les administrations locales ont été fermées durant la journée.

À Gafsa, plusieurs manifestations pacifiques ont eu lieu, aujourd’hui, rassemblant les diplômés chômeurs et les ouvriers des chantiers. Toujours avec les mêmes demandes, les manifestants ont appelé à l’application de la discrimination positive envers les régions défavorisées.

Au nord-ouest, plusieurs délégations dans les gouvernorats de Jendouba, Siliana, Béja et le Kef ont continué à manifester pour les mêmes raisons. À Jendouba, des sit-in ont démarré, dès ce matin, dans de nombreuses délégations. À GharDimaou, Tibar et Siliana, les diplômés chômeurs ont manifesté pour rappeler leur droit à l’emploi et au développement régional.

Deux grèves de la faim à Tunis

Quinze employés diplômés de la Société Tunisienne de l’Électricité et du Gaz continuent leur 22e jour de grève de la faim devant le siège de la compagnie, rue Kamel Ataturk à Tunis. Un rassemblement de soutien, organisé par les militants de Manich Msamah, a eu lieu ce midi. Les grévistes de la faim demandent de régler leurs situations financière et administrative.

À la Kasbah, une dizaine de jeunes diplômés chômeurs se sont rassemblés pour rappeler les demandes du mouvement social revendiquant travail et développement. Malgré la forte présence policière, aucune agression n’a été enregistrée durant ce rassemblement pacifique.

Le samedi 22 janvier, huit jeunes de Bouzayane (Sidi Bouzid) ont entamé une grève de la faim au siège de la Ligue tunisienne des droits de l’homme. à Tunis. Les grévistes demandent la mise en application immédiate d’un accord de l’année dernière pour l’emploi. Un sit-in a eu lieu à Bouzayane durant 47 jours suivi d’une grève de la faim du 22 avril au 4 juin 2015. Les deux actions ont débouché sur un accord d’embauche pour 64 jeunes de la région dans la fonction publique.

L’accord a été signé par le ministère des Affaires sociales, le secrétaire général adjoint de l’UGTT (Union générale tunisienne du travail), Bouali Mbarki, un membre de la LTDH et deux députées de la région Mbarka Aouinia (Front Populaire) et Nozha Bayaoui (Initiative Nationale). «Mais la liste a été modifiée et les autorités locales ont supprimé huit noms. Nous continuerons notre grève de la faim jusqu’à l’application de l’accord du 4 juin 2015 dans son intégralité», nous explique Akram Dhif Allah, un des grévistes de la faim. (25 janvier 2016, dans nawaa)

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Henda Chenaoui est journaliste indépendante, spécialiste en mouvements sociaux et nouvelles formes de résistance civile. Elle s’intéresse à l’observation et l’explication de l’actualité sociale et économique qui passe inaperçue.

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