Les quartiers orientaux de la ville, tenus par les rebelles, ont été visés par des raids aériens, vendredi. Trois des quatre centres des «casques blancs», la défense civile, ont été touchés. [Voir de même l’article de Gilbert Achcar et les notes d’actualisation informatives.]
De mémoire d’habitants d’Alep, la journée du vendredi 23 septembre a été l’une des pires, sinon la pire, jamais vécues par les quartiers orientaux de la ville, depuis leur conquête par les rebelles en 2012. Un déluge de bombes et de roquettes, d’une férocité inouïe, s’est abattu sur ces secteurs au lendemain de l’annonce par l’armée syrienne d’une offensive visant à les reprendre.
Le bilan de vingt-sept morts, donné par l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), a été contredit par plusieurs sources locales, comme le docteur Hamza Al-Khatib, directeur d’un des hôpitaux d’Alep-Est, qui a fait état de 91 morts. L’ONG Médecins sans frontières a pour sa part annoncé, en fin de journée, que les établissements médicaux qu’elle soutient avaient reçu 145 blessés en l’espace de quarante-huit heures.
Selon des rebelles et l’OSDH, ces raids ont été menés par des avions aux technologies de pointe ne pouvant appartenir qu’à la Russie. Des habitants ont également évoqué la présence d’hélicoptères larguant des barils d’explosifs, une tactique habituellement utilisée par les troupes du régime de Damas.
«Opération d’anéantissement»
«Ce qui se déroule actuellement est une véritable opération d’anéantissement, dans tous les sens du terme», a déclaré Ammar Al-Selmo, le chef de la branche locale des «casques blancs», la défense civile des zones contrôlée par l’opposition syrienne.
L’homme sait de quoi il parle. Vendredi, trois des quatre casernes de fortune dont son organisation dispose à Alep ont été touchées par des tirs de l’aviation russe ou syrienne. Deux d’entre elles sont désormais hors service. Aucun des secouristes n’a été touché, mais une partie de leur équipement, indispensable au sauvetage des victimes des bombardements, enfouie dans les gravats, a été détruite. Compte tenu du siège imposé à Alep-Est par les forces pro-Assad, le remplacement de ce matériel promet d’être très difficile.
Il en va aussi du ravitaillement en essence. Les «casques blancs» ont indiqué à l’Agence France-Presse que leurs réserves de carburant se montent à 2000 litres, ce qui les oblige à limiter leurs interventions, alors même que les besoins explosent. Selon Ammar Al-Selmo, une quarantaine de bâtiments ont été soufflés durant la seule journée de vendredi, entraînant, dans leur effondrement, de nombreux habitants.
La défense civile syrienne a été créée en 2013, à l’initiative d’un consultant britannique travaillant auprès de l’opposition syrienne, James Le Mesurier, et avec l’aide d’une ONG turque de premiers secours, Akut. La formation et l’équipement de ses membres, qui font vœu de neutralité et ne portent pas d’armes, sont financés par plusieurs pays occidentaux, dont la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
Héros ordinaires de la tragédie syrienne
L’efficacité de ces quasi-bénévoles, toujours les premiers à se ruer sur le site d’un bombardement, leur a conféré une visibilité immédiate sur le terrain syrien. Selon leur site, les quelque 3000 «casques blancs», dispersés sur tout le territoire syrien, ont d’ores et déjà permis de sauver 60’000 vies.
Le soin donné à la médiatisation de leurs exploits, au moyen de vidéos virales comme celle montrant l’un d’eux extirpant un nourrisson d’un amas de gravats, a achevé d’en faire les héros ordinaires de la tragédie syrienne. Cent quarante et un d’entre eux ont d’ailleurs été tués dans l’exercice de leur mission, souvent par des avions retournant, après quelques minutes, sur le site d’une première frappe.
Ces actes de courage leur ont valu de recevoir, jeudi 22 septembre 2016, le «Right Livelihood Award», plus connu sous le nom de «prix Nobel alternatif», conjointement avec trois autres lauréats, une féministe égyptienne, une Russe qui défend la cause des droits de l’homme dans son pays et un quotidien turc.
Engouement croissant suscité par les secouristes
Les «casques blancs», qui ont fait l’objet d’un documentaire élogieux, disponible sur Netflix, ont également été nominés pour un – véritable – prix Nobel, celui de la paix, qui sera décerné le 7 octobre, parmi 376 candidats. Un sacre à Oslo constituerait une aubaine inespérée pour l’opposition anti-Assad, qui a toujours peiné à faire émerger de ses rangs des figures fédératrices, capables de «parler» aussi bien à sa base qu’à l’opinion publique occidentale.
Preuve de l’engouement croissant suscité par les secouristes, dans un entretien donné jeudi 22 septembre à l’agence Associated Press, Bachar Al-Assad a cherché à minimiser leurs succès. «Qu’ont-ils réalisé en Syrie?», a-t-il répondu au journaliste lui demandant s’il était disposé à soutenir leur candidature devant le comité norvégien. «Et à quel point le prix Nobel est-il non politisé?»
Deux jours plus tôt, dans le but de contrer les accusations imputant à ses avions la destruction d’un convoi humanitaire, dans la banlieue d’Alep, le ministère russe de la défense avait glosé sur la présence, à proximité des camions, des casques blancs «proches du Front Al-Nosra», une formation djihadiste, considérée comme terroriste par Moscou et par Washington. Une insulte gratuite, qui a été traduite en permis de détruire, par les pilotes russes survolant Alep ce vendredi. (Article publié dans Le Monde daté du 25-26 septembre 2016, mis en ligne le 24 septembre 2016; Benjamin Barthe est correspondant à Beyrouth)
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