Israël-Palestine. «Les cicatrices du mois de mai 2021 ne sont toujours pas guéries»

(Jamal Awad/Flash90)

Par Amjad Iraqi

Des titres des journaux aux fils des médias sociaux, l’intensification de la violence en Israël-Palestine ces dernières semaines a été largement comparée aux scènes qui ont conduit aux événements de mai 2021, lorsqu’un soulèvement palestinien massif, une campagne de répression israélienne et une guerre vicieuse ont dévoré la terre entre le fleuve et la mer [voir à ce propos les articles publiés sur ce site au mois de mai 2021].

Les comparaisons sont tentantes, et les questions fondamentales qui sous-tendent cette période restent certainement inchangées. Mais interpréter les développements actuels à travers le prisme de mai dernier n’est pas seulement prématuré – cela obscurcit notre compréhension de ce qui se passe sur le terrain aujourd’hui, et même peut nous rendre aveugles à ce dont les Palestiniens ont besoin en ce moment.

L’«Intifada de l’unité» était à bien des égards le résultat d’une tempête parfaite, créant une synchronisation rare de la répression israélienne et de la résistance palestinienne qui n’avait pas été vue à une telle échelle depuis la deuxième Intifada [2000-2004/2005]. Malgré des éclairs d’activités similaires ces dernières semaines, cette synchronisation à grande échelle ne s’est toujours pas reproduite. Il y a de nombreuses explications à cela, et les développements en cours – notamment à la lumière de la brutalité de la police israélienne et des provocations des extrémistes juifs à Jérusalem [qui défilent sur le «Mont du Temple» sous protection militaire] – pourraient encore prendre une tournure plus grave. Mais il y a un facteur important qui ne recueille pas l’attention qu’il mérite: les Palestiniens ne se sont pas encore remis de ce qui s’est passé en mai dernier.

Malgré le défi et l’indignation populaire exprimés dans les rues et sur les médias sociaux, une grande partie de la société palestinienne ne s’est pas encore remise de la violence d’Etat et collective qu’elle a subie l’année dernière. Ce sentiment est particulièrement aigu dans la bande de Gaza, où deux millions de personnes ont été soumises à de lourds bombardements israéliens pendant 11 jours, et qui restent privées de la possibilité de se reconstruire et de se réhabiliter, sous un siège étouffant qui dure depuis 15 ans.

Cet épuisement est également ressenti, à un degré très différent, parmi les citoyens palestiniens d’Israël, qui ont été la cible d’une campagne policière agressive dans les mois qui ont suivi le soulèvement, et qui sont encore sous le choc de l’horreur de bandes juives armées attaquant les quartiers et les résidents arabes. En Cisjordanie également, les efforts visant à canaliser l’énergie de l’Intifada contre l’Autorité palestinienne (AP), largement considérée comme l’exécuteur local de l’occupation, ont été violemment réprimés par les forces de sécurité de l’AP et les voyous loyalistes.

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La principale raison de cette absence de reprise du type de mobilisation de mai 2021 est très simple: la brutalité israélienne n’a jamais cessé. Depuis le mois de mai, les communautés palestiniennes ont dû faire face à des incursions militaires, des agressions de colons, des démolitions de maisons, des refus d’autorisations médicales, des tirs de l’armée, des arrestations massives, des saisies de terres, une surveillance intrusive, et bien plus encore. Tous ces événements se sont certainement intensifiés ces dernières semaines, mais leur gravité a fluctué tout au long de l’année, sous couvert de la doctrine orwellienne du gouvernement consistant à «réduire le conflit».

En effet, si les médias grand public se sont empressés de couvrir les récents actes de violence sporadique commis par des Palestiniens – y compris les attaques meurtrières dans trois villes israéliennes, les jets de pierres sur les bus, et maintenant des roquettes tirées depuis Gaza – ils ont largement fait l’impasse sur la violence constante et structurelle infligée aux Palestiniens au nom de la préservation de la «tranquillité» des Juifs israéliens. Il est révélateur que les médias n’aient commencé à remarquer que la violence était en train de «monter en flèche» que lorsqu’elle a soudainement touché les Israéliens. Sinon, la violence a été rendue invisible: un simple détail discret dans le paysage.

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Cela ne signifie pas que les Palestiniens ont abandonné leur cause. Au contraire, la résistance persiste sous de multiples formes, et le souvenir de l’Intifada de l’unité continue d’alimenter un sentiment de conscience nationale renouvelée. Mais de nombreux Palestiniens admettront également que, même s’ils étaient capables de se mobiliser comme l’année dernière, ils ne sont pas certaines de ce qu’ils pourraient obtenir en ce moment. Toujours affaiblis par des leaderships fracturés et autoritaires, et sans vision politique claire pour les guider, de nombreux Palestiniens ont dû se replier sur leurs batailles fragmentées et localisées pour repousser les politiques implacables d’Israël. Aussi inspirant qu’ait été le soulèvement de mai 2021, il est difficile de dire dans quelle mesure il a modifié la capacité des Palestiniens à démanteler leur oppression.

Cette vulnérabilité peut souvent être masquée par les vivats par l’«unité» et pour la «fermeté» entendus lors des manifestations et montrées en ligne. Ces exclamations aplatissent malencontreusement les expériences et les débats complexes au sein de la communauté qui nous rappellent que, malgré toute leur extraordinaire résilience en tant que peuple, les Palestiniens restent humains. Nous ne nous sentons pas toujours forts, héroïques ou résolus. Nous sommes une société marquée par des cicatrices, des traumatismes et des craintes pour l’avenir. Nous ne sommes pas des machines automatisées qui oscillent entre une victimisation sans défense et une rage ardente. Notre énergie fluctue et nous avons besoin, nous aussi, de temps pour guérir, réfléchir et reconstruire.

Avec l’orgueil grandissant d’Israël et les blessures palestiniennes qui s’enveniment, une autre guerre ou un autre soulèvement pourrait bien se profiler à l’horizon. Mais un mouvement sans ressources est voué à s’étioler, et une lutte sans leadership est vouée à être perdue. Nous savons que les slogans ne suffisent pas: seul un sérieux rééquilibrage du pouvoir – par le biais de l’organisation de la base, de l’action gouvernementale, de l’indépendance économique, de la pression médiatique, et plus encore – peut renverser la vapeur contre notre condition coloniale. L’Intifada de l’unité a été un élément essentiel de cet effort. Mais nous avons encore un long chemin à parcourir.

Amjad Iraqi est rédacteur du magazine israélien +972. Il est un citoyen palestinien d’Israël, basé à Haïfa.

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