Par Rédaction A l’Encontre
Le Royaume des Saoud – client militaire des Etats-Unis, de la France, du Canada, de la Grande-Bretagne et soutien de la dictature Sissi en Eygpte – bombarde le Yémen, depuis le 26 mars 2015, sous un logo militaire que l’on dirait cousu au Pentagone: «Tempête décisive». Plus exactement, les bombes royales – aux prix somptueux – devaient viser les positions des tribus Houthis, assimilées très rapidement au pouvoir de Téhéran [1]. Un Iran concurrent du Royaume dans cette région où les livres sacrés sentent le pétrole. Et une aire constituant une articulation géopolitique de première importance au même titre, dans les temps présents, qu’un champ de guerres agies par de nombreuses puissances impérialistes et sous-puissances impérialistes régionales dans un Moyen-Orient où les Etats-Unis ont perdu la main.
Le type de coalition formée pour la «Tempête décisive» – qui a fait des milliers de morts civils, détruit des villes historiques et provoqué une des dites crises humanitaires les plus terribles, pour reprendre le langage orwellien de l’ONU – parle d’elle-même: 30 avions de combat fournis (initialement) par les Emirats Unis; 15 par le Bahreïn, où la majorité chiite est réprimée fermement; 15 par le Koweït et 10 par le Qatar. Des bombardiers gérés par les firmes les ayant vendues qui assurent le service dit «technique».
Dans la foulée, les «combattants» de cette coalition sous-traitent «leur» guerre sur le terrain yéménite – qui est à la jonction d’une nappe pétrolière ne respectant pas les limites des cartes de géographie – à des mercenaires colombiens qui ont fait leur apprentissage dans une armée ayant combattu les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et l’ELN (Armée de libération nationale) et aussi ayant servi de tueurs pour permettre aux grands propriétaires de Colombie – parmi lesquels de nombreux militaires haut gradés – d’étendre leur propriété en expulsant des paysans pauvres. Le New York Times du 25 novembre 2015 en donnait une bonne description.
La firme organisant cette sous-traitance militaire pour des princes «guérilleros» était dirigée par un ancien de Blackwater, rebaptisée depuis les scandales trop médiatisés Academi (sic), Erik Prince. Depuis lors, cette firme privée de mercenaires est passée sous la direction de l’armée émiratie. Les salaires sont à hauteur de 3000 dollars. Pour ce qui est du personnel inclus dans les «contrats d’assistance» garantis par les vendeurs d’armes et l’appareil militaire des pays livreurs, les salaires ne sont pas mentionnés dans les comptes du Royaume des Saoud. Il est vrai qu’ils sont aussi transparents que ceux de Nestlé ou d’Amazon. Car, sur la voie de la démocratie, le Royaume des Saoud a pris le risque de permettre aux femmes de conduire et même de voter pour des élus: des mercenaires galonnés d’un pouvoir qui leur échappe). Sans oublier d’infliger, en 2014, des peines capitales, exécutées proprement, à la hauteur de tête de 135 personnes (Les Echos, 15 octobre 2015).
Ce pouvoir des Saoud a annoncé, le samedi 2 janvier 2016, l’exécution de 47 personnes condamnées pour «terrorisme». En dehors du caractère massif de ces exécutions, c’est un nom parmi tous les suppliciés qui fait l’effet d’un «baril d’huile enflammé» sur une région en feu: celui du cheikh al-Nimr. Un chef religieux chiite, opposant acharné et non-violent au régime saoudien incarné par la dynastie sunnite des Al-Saoud. Aussitôt rendue publique, son exécution a provoqué des manifestations à Bahreïn, des condamnations au Liban ainsi qu’en Irak. La réaction de Téhéran ne s’est pas fait attendre: «Le gouvernement saoudien soutient d’un côté les mouvements terroristes et extrémistes [allusion à la Syrie et au Yémen, ici Al-Qaida au sud Yémen] et dans le même temps utilise le langage de la répression et la peine de mort contre ses opposants intérieurs (…) il paiera un prix élevé pour ces politiques.» Ces paroles ont été prononcées par le ministre des Affaires étrangères Hossein Jaber Ansari; un dirigeant qui ne prononce pas de tels termes sans l’accord des plus hautes instances de la mollarchie.
Une exécution strictement politique
Agé de 56 ans, al-Nimr était un ardent défenseur de la minorité chiite dans ce pays où la population est à 90% sunnite. Le dignitaire avait notamment mené, en 2011, la contestation populaire qui avait éclaté dans l’est du royaume, dans la foulée des «printemps arabes». «Cheikh al-Nimr était l’une des responsabilités religieuses les plus respectées de la communauté chiite. Il était un opposant assez déterminé. Contrairement à d’autres dirigeants qui avaient à partir de 1993 ouvert un dialogue avec les autorités, il était hostile à ce dialogue. Mais autant que l’on sache, il n’était pas impliqué dans des actions violentes contre le régime», décrit Alain Gresh, directeur du journal en ligne Orient XXI et journaliste du Monde diplomatique.
Lors de son arrestation Cheikh al-Nimr – non-violent reconnu – avait été accusé d’avoir ouvert le feu sur les forces de l’ordre, sans que ces assertions soient vérifiées. Lui-même avait été blessé par balle entraînant plusieurs mois d’hospitalisation. Les autorités saoudiennes lui reprochaient «essentiellement de provoquer la division entre les musulmans et de mettre en cause l’unité nationale [..] on lui reprochait évidemment d’avoir des relations avec l’Iran, ce qui était sans doute le cas, mais au sens où de nombreux religieux chiites ont des relations avec ce pays», ajoute A. Gresh.
Ce chef religieux avait ensuite été condamné en 2014 à la décapitation suivie de crucifixion pour «terrorisme», «sédition», «désobéissance au souverain» et «port d’armes» par un tribunal de Riyad spécialisé dans les affaires de terrorisme. «Lors de son procès, l’accusation s’est essentiellement appuyée sur ses prêches. Donc, il a surtout été condamné pour ses sermons», fait remarquer Adam Coogle, spécialiste du Moyen-Orient auprès Human Rights Watch (HRW).
Selon HRW: «Son procès a été entaché de nombreuses irrégularités. En outre, il n’a pas eu de représentation légale lors de ses interrogatoires et les autorités ne lui ont pas donné l’opportunité de bénéficier d’une défense digne de ce nom. On ne peut pas considérer qu’il ait eu droit à un procès équitable.»
Faire taire toute opposition
L’exécution du cheikh al-Nimr exprime les prétentions régionales du nouveau roi Salman. Une décision propre, selon Gresh, à ceux qui ont «pris le pouvoir depuis la mort du roi Abdallah, avec notamment le roi Salman et surtout son fils et le ministre de l’Intérieur Mohammed Ben Nayef. Donc on a deux des trois principaux dirigeants qui sont très jeunes et qui ont fait preuve d’une agressivité sur le plan régional qui n’était pas habituelle chez les Saoudiens. On l’a vu lorsqu’ils ont déclenché la guerre contre le Yémen (…). Beaucoup s’interrogent, y compris parmi les alliés de l’Arabie saoudite, comme les Etats-Unis, sur la sagesse de cette équipe.»
Washington marche sur un tapis de verres, sans être exactement un fakir. John Kirby, ancien contre-amiral de la marine des Etats-Unis et porte-parole du Pentagone, fait savoir: «Nous avons maintes fois fait connaître au plus haut niveau des autorités saoudiennes nos inquiétudes, et appelons à nouveau le gouvernement à respecter les droits de l’homme et à garantir des procès honnêtes.» Comme à Guantanamo? Salman a appris la leçon. Au-delà de la déclaration, le Département militaire comprend que le Royaume des Saoud est englué au Yémen, «mal pris» en Syrie et que Daech appelle la population à se soulever contre le pouvoir. Cela dans un contexte où la chute drastique des cours du pétrole a poussé les nouveaux dirigeants à imposer une politique d’austérité à laquelle la population saoudienne n’est pas accoutumée, pour utiliser un euphémisme. La crise régionale, redoublée de guerres, frappe à la porte du dit Occident. (3 janvier 2016)
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[1] Nous reviendrons sur les traits et l’évolution de ce conflit. (Réd. A l’Encontre)
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