Syrie. Un «processus de négociations» frère jumeau de celui Israël-Palestine

Les «premières négociations de paix», en janvier 2014, à Montreux-Genève, sous l'égide Lakhdar Brahimi et Ban Ki-moon
Les «premières négociations de paix», en janvier 2014, à Montreux-Genève, sous l’égide Lakhdar Brahimi et Ban Ki-moon

Par Sharif Nashashibi 

Le président syrien Bachar al-Assad s’est inspiré des manœuvres de diversion israéliennes en matière de négociation: rien que du processus et pas de paix.

Jusqu’ici, rien de remarquable n’est ressorti de la dernière conférence sur la Syrie qui se déroule actuellement à Genève [article écrit le 3 février 2016, avant que l’ineffable Staffan de Mistura n’annonce la suspension jusqu’au 25 février 2016]. Ce n’est pas surprenant, non seulement en raison des conditions spécifiques de ces négociations, mais parce que celles-ci sont l’extension d’un «processus de paix» redondant qui partage des caractéristiques significatives avec son pendant israélo-palestinien.

Le cadre du «processus de paix» syrien est resté sensiblement le même depuis son lancement en 2012 [1]. En dépit de ses défaillances évidentes et prévisibles, à Genève et à Vienne, la conférence actuelle en Suisse s’obstine à réinventer une roue qui n’a jamais fonctionné. On est alors en droit de se demander si le processus est conçu pour gérer le conflit plutôt que de le résoudre.

Voilà comment le «processus de paix» israélo-palestinien moribond a longtemps été considéré, étant donné qu’il en reste à ces recettes qui échouent depuis son début il y a un quart de siècle. Israël l’utilise comme couverture pour ancrer encore davantage son occupation et la colonisation de la Palestine, fidèlement assisté et encouragé par les Etats-Unis qui sont censés jouer les intermédiaires entre les deux parties.

En ce qui concerne la Syrie, c’est la Russie qui soutient activement le régime par le massacre et l’assujettissement des Syriens tout en prétendant être un médiateur en quête de paix. Dans les deux cas, cette duplicité sert à soutenir leurs alliés respectifs et les protéger de la critique dans un Conseil de sécurité de l’ONU paralysé principalement par les droits de veto américain et russe.

Les Syriens connaissent ce que les Palestiniens endurent depuis longtemps: du processus et pas de paix; négocier pour négocier, pas pour trouver une solution juste et durable à leur détresse. Dans les deux cas, il s’agit pour certains protagonistes de ces conflits, et la communauté internationale dans son ensemble, d’être vus en train de faire quelque chose, peu importe la sincérité et l’efficacité de ces efforts – en d’autres termes, les relations publiques et l’apparence priment sur le fond.

Fin de l’occupation israélienne/du règne d’Assad

Lorsque les Palestiniens disent que les discussions doivent aboutir à la fin de l’occupation israélienne, ou lorsque les Syriens disent que les discussions doivent aboutir à la démission du président Bachar al-Assad, ils sont raillés comme obstructionnistes pour ces conditions préalables. Toutefois, les négociations doivent avoir un objectif final clairement défini, sinon elles se perdent indéfiniment dans les méandres et donnent le temps et la possibilité de remettre à plus tard, de duper et d’avorter.

Israël et le régime d’Assad sont les causes de leurs conflits respectifs, quoi qu’on puisse penser des méthodes utilisées pour leur résister et des groupes impliqués dans la résistance. Quel est l’intérêt de négocier pour les Palestiniens si Israël ne s’engage pas à mettre fin à son occupation, ou pour les Syriens si Assad refuse de démissionner?

La belligérance d’Israël et du régime d’Assad repose sur un déséquilibre fondamental du pouvoir vis-à-vis de leurs ennemis, ce qui rend les négociations vides de sens sans la pression nécessaire parce que la partie la plus forte n’a ainsi aucune raison de chercher une solution juste – et donc viable.

Staffan Mistura annonce, le 2 février 2016 «l'ouverture officielle des négociations de Genève»
Staffan Mistura annonce, le 2 février 2016 «l’ouverture officielle des négociations de Genève»

Le régime d’Assad a détruit le pays, a commis des crimes de guerre et contre l’humanité et il est responsable de la grande majorité des centaines de milliers de victimes civiles à ce jour – rien que pour conserver son monopole brutal sur le pouvoir. Pourtant, comme dans l’ensemble du «processus de paix» syrien, le sort d’Assad ne sera pas discuté à Genève.

«Il est inacceptable que l’ensemble de la crise syrienne et la solution à cette crise doivent dépendre du sort d’un seul homme» (17 décembre 2015), déclarait le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon en décembre, comme si une solution pouvait être trouvée en balayant tout simplement cette question capitale sous le tapis taché de sang.

Au lieu de cela, la première phase des négociations (qui sont censées durer six mois) se concentrera uniquement sur la conclusion d’un cessez-le-feu (qui exclura certaines des forces au sol les plus redoutables), la fourniture d’une aide humanitaire et la lutte contre l’Etat islamique. Cependant, régler tout ou partie de ces questions – qui sont des effets du conflit, non sa cause – ne mènera pas à une transition du pouvoir qui n’est pas encore matière à discussion et n’apportera donc pas la paix en Syrie.

L’utilisation des tactiques israéliennes par Assad

Au contraire, le régime continuera à qualifier toute opposition de terrorisme, de sympathie terroriste ou d’ingérence étrangère, tout comme le fait Israël. La semaine dernière, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a accusé le secrétaire général de l’ONU d’«encourager le terrorisme» (BBC 27 janvier 2016) après que ce dernier a déclaré qu’«il est dans la nature humaine de réagir à l’occupation» (The Guardian, 26 janvier 2016),

Le régime d’Assad continuera à utiliser les négociations comme une plate-forme pour amplifier son discours déformé et veillera à ce qu’elles s’enlisent sur les questions de «sécurité» plutôt que sur le traitement de la cause du conflit et donc de sa solution – encore une fois, comme le fait Israël.

Les deux parties et leurs alliés respectifs mettent la futilité des négociations sur le compte de la désunion de leurs adversaires, disant qu’il leur manque un «partenaire pour la paix», mais font tout leur possible pour maintenir et exacerber les divisions.

Israël a longtemps attisé les flammes de la rivalité entre le Hamas et l’Autorité palestinienne. En parallèle, les discussions à Riyad en fin d’année dernière qui ont conduit à une unité diplomatique sans précédent entre les groupes de l’opposition syrienne se sont heurtées à des efforts extérieurs visant à dicter quels sont ceux qui sont autorisés à participer à des négociations – une tentative évidente de créer de nouvelles divisions.

Le président syrien Bachar al-Assad s’est inspiré des manœuvres de diversion israéliennes en matière de négociation. Cela n’a rien de surprenant, car cette tactique est très familière, ayant été utilisée efficacement pour maintenir l’occupation par Israël du plateau du Golan syrien depuis un demi-siècle. N’est-ce pas cruel que les Syriens soient une fois de plus la cible de telles tactiques – cette fois par leur propre gouvernement? (Publié par MEE, le 3 février 2016)

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[1] Pour ce qui a trait à la facette dite du «combat prioritaire», se ce n’est unique, contre Daech, cette brève chronologie permet de faire le point.

2014 (15 septembre) : Formation de la coalition internationale contre l’État islamique (frappes aériennes en Irak)

2015 (27 septembre) : Frappes aériennes françaises contre la Syrie.

2015 (28 septembre) : Discours de Poutine sur la nécessité d’une grande coalition internationale.

2015 (30 septembre) : Début de l’intervention militaire russe.

2015 (30 octobre) : Conférence de Vienne (incluant Iran et Arabie Séoudite).

2015 (13 novembre) : Attentats en France et revirement diplomatique français.

2015 (20 novembre) : Résolution ONU (« éliminer le sanctuaire terroriste », Irak + Syrie)

2015 (10 décembre) : À Riyad, les oppositions syriennes d’accord pour des négociations avec le régime.

2015 (15 décembre) : Lancement par Riyad par d’une large coalition de 34 pays musulmans, arabes et non arabes, « contre le terrorisme ».

2015 (18 décembre) : Résolution ONU n° 2254 sur un processus de paix.

2016 (4 février) : L’Arabie saoudite annonce qu’elle est prête à participer au sol à la coalition conduite par les États-Unis.

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Sharif Nashashibi collabore régulièrement avec Al-Arabiya News, Al-Jazeera English, The National et The Middle East Magazine. En 2008, il a reçu une distinction de la part du Conseil international des médias «pour avoir réalisé et contribué à des reportages systématiquement objectifs» sur le Moyen-Orient.

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