Italie. Et si avec le Jobs Act c’étaient aux salariés de payer les entreprises

peruginaPar Alessandro Robechi

Le Jobs Act [le plan du gouvernement Renzi [1] pour officiellement «relancer l’emploi et réformer le marché du travail»] a notamment pris forme chez Nestlé, qui a ainsi anticipé la nouvelle manière de corseter les salariés. Pendant que Matteo Renzi se rendait à Londres  – le 1er avril, pour rencontrer David Cameron – pour dire qu’il veut une organisation du marché du travail plus flexible (c’est là une exclusivité, encore jamais affirmée avant lui!), la multinationale du chocolat (et de bien d’autres choses encore) le disait à ses ouvriers à Perugia [2].

Depuis quelque temps déjà, les attaques contre les salariés se font avec des termes anglais, censés mieux faire passer la pilule. Mais cette fois-ci, on s’est servi de l’italien, ou plutôt d’une sorte de nouvel italien difficile à traduire, d’un langage qui nous parle de «nouveaux paradigmes productifs». En italien cela signifie halte aux contrats de durée indéterminée (CDI), tout le monde sous contrat précaire renouvelable à merci, le profit constituant la variable indépendante, le travail la variable dépendante. Faisant nôtre la proposition de Nestlé, nous nous permettons de suggérer aux entrepreneurs, aux multinationales et – respectons l’ordre décroissant – au gouvernement italien de «nouveaux paradigmes productifs» propices à la relance de l’économie du pays et aux bilans des entreprises.

• Contrat tiré au sort. Chaque entreprise de plus de 300 salariés pourra tirer au sort le matin (avant 7h30) les travailleurs qui auront le privilège de se rendre à l’usine. Concrètement, il s’agira d’être directement connecté à leurs réveils et de les convoquer par ce biais. Il ne faut pas perdre de vue ici le côté humanitaire de l’innovation contractuelle: les autres pourront continuer à dormir, au lieu de devoir, comme autrefois, se lever et se rendre sur le lieu de travail pour trouver porte close.

• Flexibilité horaire. Pourquoi se limiter à des contrats de trois ou six mois? Au nom d’une flexibilité plus productive du marché du travail, des contrats horaires seront introduits. Le salarié signe un contrat à 9h qui échoit à 10h, l’entreprise décide s’il est renouvelé avant midi et, le cas échéant, elle peut le prolonger jusqu’à 15h30. Les plus chanceux auront trois renouvellements en une journée et ceux qui auront signé plus de quinze contrats en une semaine auront droit à un privilège exceptionnel, une équipe de nuit gratuite.

'LEZIONI DI CIOCCOLATO' PER MANAGER, SERVE A FAR GRUPPO• Stage de formation. Les critiques fusent contre le Jobs Act de Nestlé, lui reprochant sa modération et sa prudence excessive. Pourquoi transformer les salarié·e·s sous contrat de durée indéterminée en salariés précaires, alors qu’il serait possible de les transformer en stagiaires non rétribués? Le raisonnement est pourtant simple: forger dans une aciérie d’immenses formes en fonte, toutes identiques, est somme toute un travail du même type que faire des photocopies. Pourquoi donc employer de vrais ouvriers, alors que l’on peut acquérir des stagiaires pour quelques euros la douzaine?

• Contribution de solidarité. Le problème que soulèvent certaines multinationales ayant un siège en Italie ouvre un nouveau débat. Est-il encore permis de penser que les entreprises doivent rémunérer le fait d’offrir à quelqu’un l’opportunité d’apprendre un métier et la chance de faire de nouvelles connaissances professionnelles? La contribution de solidarité, versée par les salariés à l’employeur, résoudrait le problème. La première année le néo-engagé verserait à l’entreprise un petit salaire, sous la forme d’une somme fixe, sans aucune flexibilité possible. A la fin de l’année, l’entreprise aurait tout loisir de décider si elle désire garder le travailleur et le payer ou si elle désire le licencier et en engager un autre qui versera sa contribution pour une année.

Quelques bribes de résistance syndicale ont été opposées à ces «nouveaux paradigmes productifs». Le syndicat a aussitôt été estampillé «conservateur», «suranné», «idéologique». Mais on apprend de source gouvernementale que les autorités évalueront les choses au cas par cas, pour définir à chaque fois et avec précision lequel de ces trois attributs est le plus pertinent. (Article publié dans Il Fatto Quotidiano, Rome, 10 avril 2014; traduction A l’Encontre)

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[1] Voir l’article publié sur ce site résumant le programme de Matteo Renzi en date du 21 mars 2014: http://alencontre.org/europe/italie/italie-le-vrai-programme-de-matteo-renzi.html (Réd. A l’Encontre)

[2] En 1988, Nestlé a racheté la célèbre fabrique de chocolaterie Perugina. Nestlé vient de décider qu’à l’occasion de baisse de production 180 travailleurs auront le statut de «esuberi», c’est-à-dire sont considérés en excédent et seront (peut-être) réengagés lors d’une reprise de la production. Ce vocabulaire est devenu courant depuis quelque vingt ans en Italie. (Réd. A l’Encontre)

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