Nous publions ci-dessous la déclaration de DEA et du Red Network publiée à l’occasion des manifestations nationalistes qui ont été organisées le 21 janvier à Thessalonique et le 4 février à Athènes. Nous avons déjà commenté les traits politiques particuliers de la manifestation de Thessalonique dans la note 1 de l’article d’Antonis Ntavanellos publié sur ce site le 1er février 2018.
Formellement, ces manifestations ont trait au nom attribué à la Macédoine après le processus de dissolution de la République fédérative socialiste de Yougoslavie en 1991-1992. En se référant à la Macédoine, le nom utilisé actuellement par la Grèce est le suivant: Former Yougoslav Republic of Macedonia (FYROM). Parfois est utilisée la simple dénomination de la capitale: Skopje. Le nom Macédoine n’est jamais utilisé par les forces politiques institutionnelles. Des négociations, comme indiqué dans l’article déjà cité, ont été rouvertes entre Alexis Tsipras et le premier ministre macédonien Zoran Zaev.
C’est dans ce contexte qu’a été organisée la manifestation du 4 février à Athènes. La police a estimé la participation à 150’000, des observateurs indépendants à 200’000, les organisateurs à 1,5 million! La police a dénombré l’arrivée de 300 bus à Athènes, en provenance de diverses parties de la Grèce. Les haut-parleurs sur la place Syntagma débitaient des slogans du type: «Aujourd’hui nous sommes venus de diverses parties de la Grèce pour affirmer clairement: chaque Grec est macédonien et chaque Macédonien est grec».
Parmi les organisateurs se trouvaient: l’Eglise, les organisations de Macédoniens immigrés, l’extrême droite (entre autres Aube dorée), des organisations paramilitaires, les dits Patriotes issus du Pasok, les Grecs indépendants (ANEL, membre du gouvernement), et des chaînes de TV comme Sky qui disposent d’une audience et se sont exprimées en faveur des mémorandums austéritaires.
A la différence de la mobilisation de Thessalonique, il faut noter à Athènes la participation officielle de la Nouvelle Démocratie de Samaras et son effort pour s’affirmer comme direction de la manifestation. Toutefois, pour la Nouvelle Démocratie, la manœuvre est compliquée. En effet, elle doit laisser ouverte la possibilité d’un compromis sur le nom –selon les exigences de l’OTAN et de l’UE – mais, conjointement, elle doit stimuler un courant fortement nationaliste contre Tsipras. Ce qui se répercute par des tensions au sein de la Nouvelle Démocratie entre, d’un côté, Kyriakos Mitsotakis, qui est à la tête de ND depuis janvier 2016, et, de l’autre, Antonis Samaras et Adonis Georgiadis (issu du LAOS, l’ultra droite Alerte populaire orthodoxe), figures de la droite extrême de la ND.
La présence comme orateur emblématique du compositeur et chanteur Mikis Theodorakis, opposant de relief à la dictature et député du Parti communiste entre 1981 et 1990, a non seulement fait la une de la presse, mais a été utilisée avec enthousiasme par la droite extrême et l’extrême droite. Il faut rappeler que Mikis Theodorakis avait soutenu le gouvernement Konstantinos Mitsotakis en 1989, avait à juste titre manifesté son opposition au bombardement de la Serbie par l’OTAN, mais, conjointement, avait exprimé son soutien à Milosevic. Le 4 février, il a affirmé une position nationaliste dure – lors de son discours une énorme banderole s’est dépliée derrière lui avec comme inscription «La Macédoine est la Grèce» – et a réclamé un référendum sur le nom. Ilias Kasidiaris, âgé de 37 ans, porte-parole d’Aube dorée – cette organisation néonazie a fait attention de ne pas apparaître avec ses drapeaux, ses t-shirts habituels, mais a déployé une grande banderole ayant pour slogan «La Grèce appartient aux Grecs» –, s’est empressé d’applaudir l’intervention de Theodorakis en affirmant qu’elle permettait d’oublier toutes les autres initiatives qu’il avait prises dans sa vie, car il la terminait comme un nationaliste et «parlait aujourd’hui comme nous».
Zoé Konstantopoulou, qui anime actuellement le mouvement Cap sur la liberté, a appelé à la manifestation et a affirmé (sur le site www.inewsgr.com) qu’aujourd’hui une page avait été écrite dans l’histoire grecque, qu’elle avait été écrite par le peuple, «ce peuple fier et inoubliable».
Par contre, Manolis Glezos, figure de la lutte contre l’occupation nazie, a refusé d’appeler à cette mobilisation nationaliste, à la fois en se démarquant de la politique du gouvernement en direction de l’OTAN et en refusant le piège nationaliste mis à profit, à propos de la Macédoine, par les forces conservatrices, la droite et l’extrême droite.
Sous peu, nous traiterons du scandale Novartis qui occupe, durant ce mois de février, les médias grecs; alors qu’une part croissante de la population est broyée par la politique d’austérité ainsi que par la paupérisation accrue. (Réd. A l’Encontre)
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Déclaration de DEA et du Réseau rouge
En ce qui concerne l’évolution récente de la situation dans les Balkans, DEA (Gauche ouvrière internationaliste) et le Réseau rouge déclarent ce qui suit:
1.- L’arrière-plan pour comprendre les événements récents réside dans l’initiative des USA-OTAN et de l’UE d’imposer une nouvelle «stabilité» et un nouveau contrôle sur la région, en établissant une relation immédiate de tous les pays avec les principales organisations impérialistes. Le calendrier qui a déjà été annoncé (le sommet de l’UE à Sofia fin mai 2018 et le sommet de l’OTAN fin juin). Ces dates soulignent qu’il avance à un rythme rapide pour aborder les difficultés auxquelles l’impérialisme occidental est confronté au Moyen-Orient et le revirement de la Turquie vers une possible rupture avec l’OTAN ainsi que les Etats-Unis.
• Leurs objectifs sont les suivants:
– Réglementer les relations entre la Grèce et la République de Macédoine, afin que le «veto» grec soit retiré et que la République de Macédoine puisse adhérer à l’OTAN.
– Réglementer les relations entre la Grèce et l’Albanie (annuler l’«état de guerre» – convenir de zones économiques exclusives mutuellement acceptées dans les mers) afin de parvenir à une coopération plus étroite entre les deux pays sur le plan militaire et diplomatique.
– Consolider une coopération militaire stable avec la Bulgarie, afin d’inclure ce pays dans l’«axe» de la Grèce-Chypre-Israël (avec l’objectif évident d’encercler la Turquie).
– Augmenter la pression sur la Serbie, pour qu’elle entre dans l’UE et l’OTAN.
• Ces plans, à l’exception du domaine militaro-diplomatique, s’étendent à d’importantes initiatives dans le domaine économique, comme la mise en place de nouvelles «routes énergétiques» ou la liaison du port de Thessalonique avec l’Europe centrale et l’océan Atlantique.
Ces plans sont extrêmement dangereux pour la paix. Ils conduisent à un renforcement majeur de l’impérialisme dans tous les pays, et ils sont liés à la perspective d’un contrôle plus strict par les grandes puissances impérialistes de l’Occident de la vie politique et sociale dans les pays des Balkans.
2.- La Grèce (son gouvernement) participe activement à ces plans, de sa propre volonté, en associant la recherche d’une issue à la crise à une nouvelle pénétration des Balkans ainsi qu’à sa montée en tant que «partenaire local» des grandes puissances occidentales, en tant que puissance «sous-impérialiste» dans la région.
• L’Etat grec, ses forces armées, sa diplomatie assument un rôle important dans la coordination de ces plans – ils sont à l’avant-garde de cet effort.
La théorie qui prétend que la Grèce est un «Etat vassal» est une fois de plus prouvée erronée.
• La lutte nécessaire anti-impérialiste est fortement liée à la lutte pour annuler le mémorandum, pour renverser l’austérité à l’intérieur du pays. Elle est fortement liée à une indispensable stratégie anticapitaliste.
3.- Sur le plan politique, le gouvernement de SYRIZA et ANEL (Grecs Indépendants) ont pris en charge la mise en œuvre de ces projets. Un gouvernement qui utilise le langage et les symboles de la gauche essaie de détruire la tradition anti-impérialiste née des luttes contre la dictature militaire [1967-1974] et des années qui ont suivi sa chute dans les années 70. Il tente de détruire les liens entre l’anti-impérialisme et l’anticapitalisme qui ont été forgés dans le mouvement contemporain contre la mondialisation capitaliste néolibérale et l’énorme mouvement anti-guerre [entre autres contre l’intervention en Irak, en 2003] au début du XXIe siècle.
Le gouvernement d’Alexis Tsipras cherche son sauvetage politique, après s’être enfoncé dans le marécage du troisième mémorandum d’austérité, en assumant le rôle de «malfrat» de l’OTAN dans les Balkans, et en essayant de convaincre la classe dirigeante qu’il est le serviteur politique le plus «qualifié» et le plus impitoyable qu’elle puisse trouver.
Une position anti-gouvernementale claire est indispensable pour la gauche radicale réelle dans les luttes et les initiatives politiques de la période présente.
4.- Surtout en ce qui concerne les relations avec le pays voisin, la République de Macédoine, nous devons dire que toute politique honnête de paix et d’amitié doit partir du respect de principes démocratiques simples, y compris le droit à l’autodétermination. Le nom du pays voisin doit être laissé à la volonté politique souveraine et libre de son peuple de décider.
Jusqu’à aujourd’hui, la «question du nom» [soit depuis 1991 et suite à un «compromis» avec la Grèce: Ancienne République yougoslave de Macédoine» ou encore ex-République yougoslave de Macédoine] était un moyen pour l’Etat grec d’intervenir en direction du pays voisin, pour en faire un «satellite» économique et politique. Cette stratégie comprenait des menaces de guerre (rappelons les précédents rassemblements organisés sous le slogan: «il n’y a qu’une seule solution: déplacer notre frontière vers la Serbie») ou des périodes de blocus financier et d’isolement politico-diplomatique. Ces mesures ont conduit le pays voisin à une crise existentielle, une crise de viabilité en tant qu’un Etat uni. Aujourd’hui, la «question du nom» est le bélier pour imposer la signature d’un accord qui transformera le pays voisin en un «canton» occidental, où les capitalistes grecs jouiront de leur primauté politique et économique.
Pour servir cette «Grande idée nationale» contemporaine, il y a une manipulation idéologique et politique de l’histoire en cours. Nous rappelons que la même chose avait été faite pour servir la première «Grande idée nationale», lors de l’explosion des nationalismes dans les Balkans, après 1910. Et à l’époque, la classe ouvrière et les classes populaires pauvres ont payé un lourd tribut en sang aux années de guerre qui suivirent.
La gauche ne doit pas tenir compte des «lectures» ambiguës de l’histoire ou des théories encore plus ambiguës sur les «origines des nations», lorsqu’elle considère les principes qui serviront de fondement à ses politiques et propositions. Ces principes devraient prendre appui sur la défense non négociable de la paix, de rejet de toute revendication territoriale, de l’acceptation du droit à l’autodétermination et du soutien aux droits des minorités.
5.- La politique du gouvernement SYRIZA-ANEL – qui reflète la stratégie globale de la classe dirigeante grecque – en accroissant constamment les «exigences» envers le pays voisin, ouvre la voie à la récente recrudescence des rassemblements nationalistes.
Pendant le rassemblement de Thessalonique [21 janvier 2018], nous avons assisté à l’initiative de l’extrême droite nationaliste, nous avons assisté à une forte présence des néonazis d’Aube dorée, de la manière la plus provocante et la plus dangereuse.
Lors du rassemblement d’Athènes [4 février 2018], le parti de droite de la Nouvelle Démocratie tente d’«incorporer» la protestation d’extrême droite pour le «nom», en assumant réellement la responsabilité de son organisation. La présence de Mikis Theodorakis dans cette fête nationaliste est un grand cadeau offert à la droite. Et cela pour la deuxième fois de sa vie, après avoir accordé son soutien au gouvernement de droite de Konstantinos Mitsotakis qui a lancé l’offensive néolibérale en Grèce au début des années 90.
C’est une menace très grave.
L’extrême droite et la droite traditionnelle tentent de détourner la colère populaire et le désespoir que l’austérité crée vers la haine nationaliste.
Avec l’aide de l’Eglise et d’importantes composantes de la machine étatique, ils parviennent à mobiliser un grand nombre de personnes, bien qu’ils soient encore en arrière par rapport aux grands rassemblements nationalistes des années 1990.
La gauche doit rester ferme contre cette perspective: nous devons constamment révéler le caractère dangereux de ces rassemblements. Nous devons souligner le potentiel qu’ils créent pour les néonazis de l’Aurore dorée. Nous devrions mener une lutte dans toutes les organisations et «institutions» du mouvement ouvrier et nous adresser à tous, une personne après l’autre, afin de faire obstacle à la participation à ces rassemblements et viser à créer le maximum d’isolement politique pour leurs organisateurs. Nous devons dénoncer la Nouvelle Démocratie et l’extrême droite organisée, sans minimiser les responsabilités du gouvernement SYRIZA qui a ouvert et ouvre la voie à ces manifestations.
Nous devons opposer une politique indépendante de la gauche radicale, une politique de paix, de collaboration et d’amitié dans l’ensemble des Balkans, une politique de confrontation avec les impérialistes qui insiste sur la lutte pour l’émancipation socialiste.
6.- Dans la période à venir, nous devons organiser nos propres «manifestations»: exiger l’annulation des mémorandums, le démantèlement des mesures d’austérité et la rupture avec les organisations impérialistes comme l’UE et l’OTAN. Il est urgent de s’organiser pour chercher atteindre de tels objectifs. Et cela suppose l’unité d’action et de lutte politique de toutes les forces de la gauche radicale, anti-austérité et anticapitaliste.
- NON aux «solutions» impérialistes de l’OTAN dans les Balkans. Retrait de l’OTAN maintenant, fermeture des bases militaires, non aux armements et aux dépenses militaires!
- Pour une politique de paix et de collaboration, fondée sur des principes démocratiques, à l’égard de tous les pays et peuples voisins. Les peuples des Balkans sont nos frères et sœurs.
- NON aux rassemblements de haine. Non au nationalisme, à l’extrême droite et au racisme. Solidarité avec les réfugiés et les immigrés.
- NON à la politique gouvernementale des mémorandums, à la politique d’austérité brutale, à la politique d’alignement avec l’impérialisme.
Unité d’action de la gauche radicale, anti-mémorandum, anticapitaliste. (4 février 2018)
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