Notre pays avait une puissante banque publique dont il ne reste aucun vestige aujourd’hui. Elle est morte de l’acharnement obstiné de privatisation des gouvernements «socialistes» présidés par Felipe Gonzáles (secrétaire général du PSOE – Parti socialiste ouvrier espagnol – de 1974 à 1997 et président du gouvernement de 1982 à 1996) et des gouvernements du PP (Parti populaire de José Manuel Aznar – 1993 à 1996 – puis de Mariano Rajoy, depuis décembre 2011) qui ont suivi.
C’est aujourd’hui qu’on souffre des conséquences d’avoir bradé aussi allègrement un outil dont l’utilité est mise en évidence par les tribulations de l’actuel gouvernement Rajoy dans ses tentatives ratées d’encourager le crédit.
La banque publique existait depuis très anciennement dans notre pays et y jouissait d’un poids important. Dans les années 1980 elle accordait plus de 20% des prêts, tandis que le reste se répartissait entre les banques privées et les caisses d’épargne. Au début des années 1990, c’était encore 15% des prêts que la banque publique accordait, au moment où le gouvernement du PSOE décida de l’unifier dans le groupe appelé Argentaria afin de pouvoir la privatiser en bloc. Après la perte des élections par le PSOE, ce processus fut parachevé par le gouvernement du PP (M. Rajoy) quand Argentaria fut intégré dans le groupe privé BBV pour créer l’actuel BBVA [1,73 milliard de profits déclarés au premier trimestre 2013], et l’Etat céda finalement sa participation minoritaire. La stratégie de privatisation a atteint des extrêmes surréalistes dans sa volonté de liquider toute trace de banque publique comme on l’a vu dans la mise à part des succursales que possédait l’ancienne banque postale dans tous les bureaux de poste pour les céder à la Deutsche Bank. C’est ainsi qu’aujourd’hui on voit la Deutsche Bank présente de façon insolite dans les 2000 bureaux de poste répartis sur tout le territoire national.
Les banques publiques avaient été créées pour garantir que les services de crédit fort anciens de l’Etat puissent exercer directement leurs fonctions d’intermédiaires financiers sans qu’ils dépendent des entités privées, comme cela se passe encore dans la majorité des pays. Mais en Espagne, après avoir démantelé la banque publique, l’Etat a perdu ces fonctions et l’Institut de Crédit Officiel (ICO) a dû recourir à la banque privée pour placer ses prêts. C’est pénible d’observer comment la banque privée non seulement a fait la sourde oreille aux demandes répétées du président Rodríguez Zapatero d’épauler l’effort national en concédant des prêts, mais a exigé de l’Etat des commissions et garanties accrues pour accorder les prêts de l’ICO. En même temps elle faisait étalage de ses millions de bénéfices. Ce qui veut dire que la banque privée, en plus de refuser de modifier les critères de concession des prêts, découpe en sa faveur la plus grosse tranche possible pour le simple fait de gérer les crédits de l’ICO, en se moquant complètement des suggestions naïves du président José Luis Zapatero [avril 2004 – décembre 2011].
Le démantèlement de la banque publique entre en franche contradiction avec les tâches que se fixe aujourd’hui l’Etat face à la crise. Après avoir amaigri tellement l’Etat et fait grossir les affaires privées, le volume des risques de ces dernières croît à un rythme bien supérieur à celui des ressources publiques. Par exemple, si en 1995 la somme des prêts représentait le double des revenus fiscaux de l’Etat, en 2007 c’était le quintuple. Les ressources publiques sont donc chaque fois plus limitées en comparaison avec les ressources privées. Durant la crise bancaire que nous avons connue entre 1977 et 1985, l’assainissement des entités financières espagnoles a requis de la part de l’Etat des aides à hauteur de millions de millions de pesetas et la crise actuelle prend le chemin de rendre nécessaires des aides du même ordre mais en euros cette fois. S’il en est ainsi, il serait raisonnable de profiter, pour le moins, d’un effort aussi énorme pour reconstituer la propriété et le contrôle de l’Etat dans le système bancaire et pallier ainsi les excès de privatisation du passé. (Traduction A L’Encontre; texte publié le 12 mai 2013)
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José Manuel Naredo, économiste, membre du Conseil scientifique d’Attac (Etat espagnol)
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