Selon les informations diffusées par la presse du 9 juillet, le «sniper de Dallas» qui, durant une manifestation pacifique, a tiré sur les policiers – en a tué cinq et blessés sept – se nommait Micah Xavier Johnson. Il a été tué par une charge explosive contrôlée à distance (par un robot) par la police de Dallas. Durant six mois, depuis mai 2014, Micah Xavier Johnson fit partie des troupes américaines en Afghanistan et, suite à des accusations de harcèlement sexuel, il avait été renvoyé chez lui. Durant six ans, depuis 2009, il a servi dans les troupes de réserve.
Au-delà du «profil» de Johnson et de la campagne qui peut se développer, les formules utilisées par une activiste de Black Lives Matter rappelle l’essentiel: «Dallas est une tragédie pour nous tous, mais ne doit pas mettre fin à la justice. Ce que nous demandons n’est pas trop. Ce que nous affirmons ne peut être mis en cause. Ce pourquoi nous luttons est juste. Black lives matter. C’est tout. C’est simplement cela que nous voulons que notre pays comprenne.»
Nous publions ci-dessous, la traduction d’un article, écrit le 8 juillet par Gary Younge, qui ne disposait pas encore de l’information sur le «sniper» Micah Xavier Johnson et répercutait donc les premières indications sur les tirs «de plusieurs snipers». (Rédaction A l’Encontre)
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Dans un pays où il est plus simple d’obtenir une arme semi-automatique que d’être couvert par l’assurance maladie, un esprit fragile peut faire des ravages sur une culture politique vulnérable. C’est ce qui s’est passé jeudi soir lorsqu’un tireur a ouvert le feu sur la police lors d’une manifestation du mouvement Black Lives Matter, tuant cinq agents de police et en blessant au moins sept autres.
Alors même que les événements de Dallas ne sont pas terminés, nous pouvons dire trois choses importantes. Tout d’abord, ces assassinats sont vils et doivent être condamnés sans équivoque. Ils ne peuvent en aucune mesure être vus ou excusés comme des représailles pour les meurtres par balles de la police récents contre des Afro-Américains. En effet, l’effet de tels actes individuels de violence ne renforce pas le mouvement contre le racisme. Ils le sabotent. Ses ennemis vont associer l’un à l’autre; des alliés potentiels se montreront plus prudents; ceux qui en font partie seront plus prudents. Les responsables doivent être trouvés, mis en accusation et jugés. C’est la réponse appropriée lorsque des gens ôtent de manière désinvolte et gratuite la vie de quelqu’un d’autre. Toute autre position indiquerait un manque de justice.
Cela nous amène au second point. Si la justice est accordée à certains et pas à d’autres, il ne s’agit pas de justice mais d’un privilège. C’est la raison pour laquelle ces assassinats horribles ne doivent en aucune manière réduire l’urgence ou l’importance de la question des meurtres policiers d’Afro-Américains ou affaiblir le mouvement Black Lives Matter.
La police de Dallas a décrit la manifestation où se sont déroulés les tirs comme étant «pacifique». Depuis que Black Lives Matter s’est saisi de l’imagination populaire il y a deux ans, il n’existe pas d’histoire d’organisation d’attaques violentes contre la police. Les manifestations se sont régulièrement transformées en affrontements avec la police, voire même en émeutes. Mais ce n’était que des moments spontanés de protestations collectives – parfois provoqués par la police elle-même –, aucun n’ayant fait de nouvelles victimes. Il ne s’agissait pas de l’œuvre d’un individu ou d’une petite cabale dont l’intention première était de tuer. Sur la question de la non-violence, rien ne peut être dit sur le mouvement Black Lives Matter qui n’aurait pu être dit sur le mouvement des droits civiques de l’époque de Martin Luther King. Les détracteurs de ceux-ci ont cherché à discréditer le mouvement chaque fois que la violence parcourait le chemin de sa cause.
En 1968, King a participé à un mouvement de protestation en soutien aux éboueurs de Memphis qui est devenu violent et auquel la police a répondu en utilisant les matraques, les gaz lacrymogènes et en laissant un jeune de 16 ans mort. Une tribune publiée à ce moment dans le Dallas Morning News baptisait King du titre de «grand prêtre de la non-violence violente à la recherche de l’attention médiatique» dont le «spectacle itinérant» à Memphis n’était rien d’autre que semblable à un «porteur de flambeau courant dans un magasin de poudre». Une semaine plus tard, il mourait [assassiné].
Il y a clairement un contexte. Selon le chef de la police de Dallas, David Brown, avant que l’un des suspects ne soit tué par la police: «[il] a dit qu’il était bouleversé par Black Lives Matter. Il a dit qu’il était bouleversé par les récentes fusillades policières [la police a abattu, le 5 juillet 2016, un Noir de 37 ans désarmé et immobilisé au sol à Baton Rouge; le jour suivant, Philando Castile a été tué par la police, dans sa voiture, à Falcon Heights].» Cela est vrai d’un grand nombre de personnes aux Etats-Unis: des Noirs, des Blancs et d’autres encore. Selon une enquête Pew récente, près de deux tiers des Noirs américains et des Blancs démocrates et environ 60% des Blancs âgés de moins de 30 ans expriment, d’une manière ou d’une autre, un soutien au mouvement Black Lives Matter.
Brown a continué en disant que le suspect était «exaspéré par les Blancs. Le suspect a dit qu’il voulait tuer des Blancs, en particulier des agents de police blancs.» C’est là une affirmation qui correspond à bien plus de gens, qu’ils soient Noirs, blancs ou autres.
Néanmoins, la même enquête Pew indiquait que les Noirs et les Blancs voyaient les situations «raciales» très différemment, avec des écarts importants dans leurs opinions portant sur le degré de mauvais traitement des Noirs ainsi que sur l’ampleur des changements nécessaires pour rectifier la situation. Le contexte ne constitue cependant pas une cause et les faiblesses d’un individu ne doivent pas être confondues avec la vulnérabilité d’un mouvement. Le suspect a aussi affirmé à la police qu’il n’était pas «affilié» à une quelconque organisation.
Ce n’est pas Black Lives Matter qui bouleverse les Noirs; c’est les enregistrements vidéo où l’on voit des Noirs abattus de sang-froid et en plein jour. Black Lives Matter a été créé en réponse à la violence d’Etat; le mouvement n’a pas un monopole des doléances et des pathologies qui naissent de cette violence. Il ne peut que chercher à conduire le mécontentement dans des canaux constructifs. En raison du degré de colère considérable face à la visibilité sans fin de la brutalité policière, son œuvre sur ce front est louable.
Le mouvement Black Lives Matter ne revendique fondamentalement rien d’autre pour les citoyens noirs que pour les gens de Dallas de toutes les races qui exigent désormais de ses agents en bleu: la justice.
Cet événement horrible doit être déploré et compris pour ce qu’il est. Il ne doit toutefois pas nous distraire du fait que 566 personnes ont été tuées par la police depuis que l’année a commencé: un nombre disproportionné d’entre elles étant des Noirs et des Amérindiens.
Nous avons vu cette semaine des preuves filmées de deux Noirs tués par des gens qui sont payés pour les servir et les protéger. En effet, si la National Rifle Association [groupe de droite qui milite en faveur d’une libéralisation de la législation sur les armes et revendique leur utilisation] croit sa propre rhétorique (elle affirme de manière risible qu’elle est la plus ancienne «organisation des droits civiques en Amérique»), elle devrait alors avoir un rôle clé dans la coalition Black Lives Matter.
Ce qui nous conduit à notre dernier point: les armes. La NRA, qui mène campagne pour des lois plus «souples» en matière d’armes, ne combat pas la tyrannie. Elle y contribue. Lorsqu’un nombre plus élevé d’armes est en circulation, il est probable qu’il y ait plus de violence armée, et lorsque des armes qui peuvent tuer un grand nombre de personnes facilement sont aisément accessibles, la violence armée engendrera un plus grand nombre de victimes. Les Etats-Unis ne peuvent simplement pas continuer de cette manière stupéfiante avec une telle ampleur d’événements de ce type sans faire face à sa cause manifeste. On ne peut perdre aussi souvent son innocence avant que cette question ne relève plus de la naïveté mais de la négligence. Il y a trop d’incidents isolés pour qu’il soit possible de ne pas en voir le motif. Aucun autre pays occidental n’a ce problème car aucun autre pays «occidental» n’a autant d’armes en circulation.
«Qu’elles soient utilisées dans la guerre ou pour le maintien de la paix, les armes sont juste des outils», écrivait feu Chris Kyle, l’ancien membre des Navy Seal [troupes d’élite de la marine] rendu mondialement célèbre par le film American Sniper. «Et comme tout outil, la façon dont ils sont utilisés reflète la société dans laquelle ils s’inscrivent.» C’est la vérité. Et c’est le problème. Les armes ne créent pas ces problèmes: les armes les rendent mortels. (Article publié le 8 juillet sur le site The Guardian, traduction A l’Encontre. Gary Younge est l’auteur d’un ouvrage qui sera publié en octobre sur la question des brutalités et des assassinats policiers de Noirs aux Etats-Unis: Another Day in the Death of America. Outre un reportage récent sur le Brexit, A L’Encontre a traduit un autre texte de cet auteur sur cette question: La culpabilité des Blancs ne réglera pas la question raciale. Seules l’égalité et la justice le peuvent).
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