Par Raúl M. Grijalva
[Cet article est écrit par président de la commission des ressources naturelles de la Chambre des représentants. Ce qui lui confère son importance spécifique. – Réd.] La semaine dernière, nous avons tous vu avec consternation Vladimir Poutine lancer une attaque mortelle et catastrophique contre l’Ukraine, violant tous les traités internationaux. La plupart d’entre nous ont rapidement condamné ses actions et se sont engagés à soutenir le peuple ukrainien dont le pays, les maisons et les vies sont attaqués.
Mais l’industrie étatsunienne des combustibles fossiles avait un point de vue différent. Elle y a vu une occasion – et une occasion éhontée – de transformer la violence et l’effusion de sang en un projet générateur de propagande pour le pétrole et le gaz. En quelques heures, les arguments de l’industrie ont suinté dans les communiqués de presse, les médias sociaux et les articles d’opinion. L’industrie pétrolière nous dit que la clé pour mettre fin à cette crise est de remettre immédiatement à disposition des entreprises de combustibles fossiles les terres et les eaux publiques étatsuniennes et de desserrer rapidement les limites réglementaires.
Notre priorité absolue doit être de mettre fin aux hostilités de Poutine, mais en tant que président de la commission des ressources naturelles de la Chambre des représentants des Etats-Unis, je me sens tenu de rétablir la vérité. Nous ne pouvons pas laisser l’industrie des combustibles fossiles nous effrayer et nous entraîner dans une course effrénée aux forages domestiques sans limites, ce qui n’est pas justifié d’un point de vue économique ni rationnel d’un point de vue environnemental.
Malgré les affirmations contraires de l’industrie, le président Biden n’a pas entravé le développement du pétrole et du gaz aux Etats-Unis [effectivement]. En fait, à ma profonde déception et contre mes contestations, cette administration a approuvé plus de permis de forage étatsuniens par mois, en 2021, que le président Trump ne l’a fait pendant chacune des trois premières années de sa présidence. Avant la pandémie, la production de pétrole et de gaz sur des terres et dans des eaux publiques a atteint un niveau record. L’administration actuelle n’a pas fait grand-chose pour changer cette trajectoire au cours des 13 derniers mois.
Les entreprises de combustibles fossiles et leurs partisans au Congrès affirment également que l’intensification du forage sur les terres et les eaux publiques ferait baisser le prix du gaz pour les habitants des Etats-Unis. Mais si c’est vrai, pourquoi l’extraction record de pétrole sur les terres fédérales et non fédérales au cours de la dernière décennie n’a-t-elle pas contribué à faire baisser régulièrement, ou du moins à stabiliser, les prix à la pompe?
Le fait est que le pétrole brut est une marchandise mondiale volatile. L’offre et la demande mondiales, ainsi que des événements imprévisibles – comme les guerres – influencent le prix des combustibles. Et cela ne dépend pas de la décision de l’administration actuelle d’approuver quelques nouveaux baux ou permis d’extraction.
Même si nous prenons les affirmations de l’industrie pour argent comptant, rien n’empêche à l’heure actuelle les entreprises de combustibles fossiles de forer davantage sur les terres publiques. L’industrie pétrolière contrôle déjà au moins 26 millions d’hectares de terres publiques et dispose de plus de 9000 permis de forage approuvés qu’elle n’utilise pas!
Elle dispose d’un surplus gratuit similaire au large des côtes, où près de 75% de ses concessions pétrolières et gazières fédérales, couvrant plus de 8 millions d’hectares, n’ont pas encore produit la moindre goutte. Toute nouvelle concession délivrée aujourd’hui ne produirait rien de valable avant des années, voire des décennies dans certains cas.
Si l’industrie commençait à augmenter la production à partir des concessions fédérales, l’augmentation globale de l’offre étatsunienne totale serait probablement marginale. En 2020, les terres et les eaux publiques ne représenteront respectivement que 22% et 11% de la production de pétrole et de gaz. La grande majorité des ressources pétrolières et gazières se trouvent sous les terres des divers Etats et les terres privées, et non sous les terres publiques ou les eaux fédérales.
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Les faits étant exposés, nous pouvons apprécier les larmes de crocodile de l’industrie des combustibles fossiles pour ce qu’elles sont: les mêmes vieilles demandes de baux moins chers et de réglementations plus souples qu’elle répète depuis des décennies. Ces demandes n’ont rien à voir avec la lutte contre l’invasion de Poutine ou la stabilisation des prix des combustibles, mais tout à voir avec la volonté de rendre l’exploitation du pétrole et du gaz aussi facile et rentable que possible.
Les Etats-Unis sont le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Renouveler l’exploitation des combustibles fossiles est une fausse solution qui ne fait que perpétuer les problèmes auxquels nous nous affrontons prioritairement aujourd’hui.
Et franchement, nous ne pouvons pas nous permettre de maintenir le statu quo ante. Dans son dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a lancé l’avertissement le plus sévère qui soit sur la crise climatique qui s’accélère rapidement. Si nous ne parvenons pas à mettre en œuvre des mesures d’atténuation majeures, comme la réduction du développement des combustibles fossiles, à la fois rapidement et de manière substantielle, nous «manquerons une fenêtre d’opportunité brève, qui se referme rapidement, de garantir un avenir vivable et durable pour tous».
Heureusement, il existe une voie à suivre qui permet à la fois de crever la ligne de flottaison des despotes surfant sur les combustibles fossiles, comme Poutine, de stabiliser les prix de l’énergie chez nous et de créer une planète plus sûre et plus durable. Nous devons nous sevrer de notre dépendance à l’égard du pétrole et du gaz et réaliser des investissements novateurs dans des technologies d’énergie renouvelable plus propres, comme celles prévues par la loi bipartisane sur les infrastructures, la loi Build Back Better et la loi Competes [loi adoptée en 2007 sous George W. Bush afin de stimuler entre autres les technologies], et nous devons le faire maintenant.
L’industrie des combustibles fossiles a tenu le micro pendant bien trop longtemps. Il est temps de laisser les faits parler d’eux-mêmes. (Article publié dans The Guardian, le 4 mars 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
Raúl M. Grijalva préside la commission des ressources naturelles de la Chambre des représentants. Il représente le sud de l’Arizona au Congrès depuis 2003.
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