La fabrication de Scott Walker, le gouverneur du Wisconsin

Scott Walker, le gouverneur du Wisconsin

Par Robin Gee

Afin de rendre plus complète la série d’articles que nous avons publiés sur l’importante mobilisation sociale dans le Wisconsin, il nous semble fort utile de disposer d’un portrait politique du gouverneur qui a mis en place cette offensive antisyndicale contre les salarié·e·s du secteur public et sa politique brutale d’austérité. C’est ce que fait, ici, Robin Gee. (Rédaction)

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Le 11 mars 2011, sur les conseils des agents de maintien de l’ordre locaux, la branche de la Banque M&I au centre de Madison, capitale du Wisconsin, a fermé ses portes.

Plus tôt dans la journée, les pompiers de la section Local 311 et d’autres travailleurs s’étaient réunis devant les portes de la banque en scandant «Move your money» (Retirez votre argent), lorsque les portes ont été fermées, les pompiers avaient été rejoints par des enseignants, des officiers de police et d’autres encore pour retirer de la banque presque 200’000 dollars de l’argent qu’ils avaient durement gagné.

Cette action faisait partie d’une campagne dont le but était de sanctionner la banque et d’autres gros donateurs de la campagne électorale du gouverneur Scott Walker. Walker reçoit en effet d’importantes contributions de la part des gros donateurs («big money») et notamment de la part de David et Charles Koch, les frères milliardaires et financiers du Tea Party. Les gens étaient donc très remontés contre la banque en tant que symbole très visible de la cupidité de Wall Street.

La banque a reçu 1.7 milliards de dollars pour être renflouée par Troubled Assets Relief Program (TARP) de l’administration Bush, avant d’être rachetée par la Banque de Montréal, ce qui n’a pas empêché le PDG de M&I, Mark Furlong, d’empocher 18 millions de dollars au titre de parachute doré.

M&I continue de nier tout financement de la campagne politique de Walker au poste de gouverneur en novembre 2010, car «cela aurait été illégal», mais d’après le site de Wisconsin Democracy Campaign, un observatoire des finances de la campagne électorale au niveau de l’Etat, presque 200 des cadres supérieurs de la banque ont versé chacun entre 100 et 5’000 dollars afin de financer sa campagne. Sans compter les contributions du Political Action Campaign (PAC) et d’autres moyens moins avouables de financement des campagnes.

Néanmoins les frères Koch restaient deux des plus gros contributeurs en vue de Walker. Ils ont versé 43’000 dollars directement à travers leur KochPac et encore 65’000 dollars par le biais de la Republican Governors Association (RGA) qui a reçu un million de dollars des frères Koch pour contribuer au financement d’une série de campagnes. En outre, la RGA a dépensé 3.4 millions de dollars pour de la publicité télévisée et des mailings attaquant le rival de Walker lors la campagne électorale.

En réalité un million de dollars n’est qu’une goutte dans l’océan pour les Koch, ces milliardaires qui ont dépensé plus du double de cette somme pour des candidats ultra-conservateurs au cours du dernier cycle d’élections. Les frères financent plusieurs organisations de droite telles que le Cato Institute, mais ils sont surtout connus pour leur soutien à l’organisation Americans for Prosperity (Américains pour la Prospérité). Cette organisation sans but lucratif se trouve derrière le mouvement du Tea Party. Et ses caisses ont passé de 7 millions de dollars en 2007 à 40 millions de dollars en 2010, en grande partie grâce à l’argent des Koch.

Walker se vante d’être le fils d’un pasteur d’une petite ville avec des fortes «valeurs sociales», mais c’est surtout son empressement à favoriser les intérêts des firmes – et d’attaquer ouvertement et vicieusement des travailleurs au nom de l’austérité – qui a retenu l’attention des frères Koch.

Or, l’assaut de Walker contre les syndicats du secteur public avec son projet de loi pour équilibrer le budget («budget repair bill» – et ses implications évidentes pour les organisations syndicales dans l’ensemble de l’économie – vont certainement dans le sens des intérêts de ses bailleurs de fonds. Le conglomérat des Koch intègre le géant de l’industrie du papier Georgia-Pacific Corporation ainsi que de Koch Pipeline Co.

Mais il y a surtout le fait que plus les frères Koch parviendront à mettre de politiciens à leur solde, plus il leur sera facile de piétiner, de contourner ou de remanier les critères environnementaux et de sécurité ainsi que d’autres réglementations qui pourraient «entraver» leurs profits.

Walker n’est pas le seul à conduire une politique d’agression contre les droits des travailleurs et travailleuses et à manifester une attitude servile à l’égard de la puissance des grandes firmes (corporate power) ainsi qu’à exprimer son zèle en faveur des projets idéologiques favoris de l’aile droite des Républicains. Dans plusieurs états du Midwest et au-delà, les républicains, avec le soutien du Tea Party, cherchent à balayer ce qui reste des programmes sociaux, de la réglementation en faveur de l’environnement et des syndicats.

Walker semble particulièrement fier de faire tout ce qu’il peut dans ce sens. Dissimulée dans son premier projet de «loi pour équilibrer le budget», il y avait notamment une mesure pour privatiser les centrales électriques étatiques et les vendre au Groupe Koch, sans aucun appel d’offres public.

Même si cette mesure a été retirée du projet de loi lorsqu’il a été soumis au vote à mi-mars, il est prévu soit de l’inclure dans le projet de loi principale, soit de le faire passer dans une loi séparée. En anticipant cette vente, les Républicains ont récemment approuvé un budget de 9 millions de dollars pour renover les équipements. Voilà un bel exemple de modération budgétaire.

Scott Walker et ses maîtres

Les liens de Walker avec des entreprises donatrices – et son empressement à contourner la réglementation en leur faveur – étaient bien connus bien avant qu’il ne devienne gouverneur. Après une période dans le législatif de l’Etat, Walker est devenu le directeur du comté de Milwaukee (ville du Wisconsin) en 2002. Il était considéré comme un nouveau venu, quelqu’un dont on savait qu’il ferait preuve de responsabilité budgétaire dans des temps difficiles.

Mais les résidents du comté de Milwaulkee ont vite compris que la «responsabilité» et les «ceintures serrées» ne seraient exigées que pour la «classe moyenne» en voie de rétrécissement, les travailleurs et les pauvres. Pour les gros contributeurs de la construction, de l’immobilier et pour les firmes du secteur manufacturier, ils pouvaient continuer à faire des affaires comme d’habitude.

Walker n’a jamais été très doué pour les maths, et il n’a donc pas vu une contradiction entre, d’une part, ses promesses de budgets équilibrés sans augmentation des impôts fonciers et, d’autre part, le maintien des services publics du comté et ses promesses de protéger les «petits». Il est vrai qu’il n’a pas augmenté l’impôt foncier, par contre, il a grossièrement surévalué les revenus des impôts et sous-évalué (au moins publiquement) les coupes sombres qu’il devrait effectuer dans les services pour pouvoir tenir ses promesses.

Pendant ses deux premières années à son poste, le comté s’est trouvé en crise de trésorerie au milieu de l’année, ce qui l’a obligé à procéder à des licenciements et à des coupes drastiques dans les services.

Les parcs publics et les équipements de loisirs ont été sa cible préférée. Walker a saccagé le budget de maintenance des parcs, obligeant les piscines à fermer au milieu de l’été et en imposant des brutales coupes dans le personnel de tous les équipements des parcs. Selon les habitants c’est une chance que les chutes de neige aient été légères ces deux années, car il n’y avait plus d’argent pour faire fonctionner les chasse-neige du comté.

Walker a également imaginé toutes sortes de plans pour vendre des terres publiques du comté – une proposition qu’il a également introduite dans son actuel budget de l’Etat du Wisconsin sous forme de la vente d’une partie des forêts du nord du comté à des exploitations forestières et minières.

Ensuite, il a coupé dans les budgets pour les services de santé mentale, des programmes pour le traitement de l’alcoolisme et autres toxico-dépendances, des réformes du système pénitentiaire et des programmes d’éducation ainsi que des foyers pour femmes battues. Il a taillé dans l’argent pour les transports publics, entraînant une augmentation des tarifs des bus. Il a coupé les subsides versés aux programmes artistiques et d’éducation locaux.

Enfin il a réduit brutalement les fonds destinés au General Assistance Medical Program (GAMP) dont l’objectif est de fournir des soins médicaux de base aux citoyens les plus pauvres du comté. Il a institué une «cotisation» de 35 dollars pour l’utilisation du GAMP, bien que la plupart des personnes qui sont visées par ce programme n’aient pas assez de ressources pour se nourrir et encore moins pour payer des soins de santé. En conséquence, les salles des urgences sont bondées [l’accès aux urgences est toujours possible].

Les journaux locaux ont pu s’en donner à cœur joie avec des gros titres tels que «Walker démolit les travailleurs» lorsque ce dernier a embauché les services de la compagnie de sécurité privée Wackenhut, une firme basée au Royaume-Uni. Un journaliste spécialisé dans la dénonciation de scandales, Greg Palast, a en effet dévoilé que cette société pratiquant des bas salaires et avait des prestations de qualité médiocre ; mais elle était très appréciée par les casseurs de syndicats et les privatiseurs.

En invoquant une urgence budgétaire, Walker a utilisé l’argent du contribuable pour faire appel à cette compagnie pour remplacer les gardes de sécurité syndiqués au Palais de justice du comté et deux autres bâtiments. Plus tard, un juge des prud’hommes a jugé qu’il n’y avait pas eu de crise, que le contrat avec le syndicat devait être respecté et les gardes réembauchés, ce qui a encore ajouté des frais à une pagaille déjà fort coûteuse.

Walker a démontré encore et encore qu’on pouvait compter sur lui pour s’accrocher obstinément à ses projets de détruire les syndicats, de baisser les salaires et d’équilibrer le budget sur le dos des travailleurs du Wisconsin. Il a prouvé à ceux qui le soutiennent qu’il peut maintenir sa fermeté, y compris face à une très forte opposition tout en restant très flexible et plein de bonne volonté lorsqu’il s’agit d’obéir aux entreprises donatrices qui le soutiennent et qui continuent à lui verser de l’argent. (Traduction A l’Encontre)

* Cet article est publié sur le site animé par l’ISO aux Etats-Unis.

 

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