Brésil. «Trois options divisent la gauche socialiste»

Par Valério Arcary

1. Le PSOL (Parti socialisme et liberté) devrait-il accepter des postes au sein du gouvernement de Lula? Trois options différentes divisent la gauche socialiste. Entre elles, il existe également des positions intermédiaires. Parfois, les débats tactiques sont si graves et sérieux qu’ils ont des ramifications stratégiques. Nous sommes face à l’un de ces moments. Le PSol Popular – une alliance entre les courants Primavera Socialista, qui compte, parmi ses figures publiques, Juliano Medeiros [président du PSOL depuis 2018] et la Revolução Solidária de Guilherme Boulos [figure publique du MTST-Movimento dos Trabalhadores Sem Teto] – est favorable à la désignation de militant·e·s pour assumer des positions dans le gouvernement, en adoptant la tactique du «gouvernement en dispute» [qui implique de facto qu’existeraient des positions en partie contradictoires au sein du nouveau gouvernement Lula]. Le PSTU [Partido Socialista dos Trabalhadores Unificado], entre autres, défend que la meilleure orientation serait celle d’une «opposition de gauche» face au gouvernement. La coalition dite Semente do Psol, qui intègre, entre autres, Resistência, Insurgência et Subverta, défend la possibilité pour Lula de gouverner, tout en préservant l’indépendance politique du PSOL [autrement dit la non-participation au gouvernement].

2. Ceux qui défendent la tactique de la participation au gouvernement affirment que l’orientation de la large coalition organisée par Lula avec les représentants de la classe dominante serait l’objet de contestations [em disputa], et qu’il faut faire pression pour la «gauchir». Ils affirment que la seule façon de garantir la gouvernabilité de Lula serait d’assumer pleinement la défense du gouvernement en acceptant des postes et des responsabilités de gestion.

Ils rappellent que Bolsonaro a remporté plus de 58 millions de suffrages, et que l’influence du bolsonarisme reste immense. Cette évaluation du rapport de forces social et politique se traduirait par la nécessité d’intégrer le gouvernement pour le défendre contre la virulence de l’opposition prévisible de l’extrême droite. Ils soutiennent cette orientation en affirmant que la victoire de Lula n’aurait été possible que grâce au Front large construit au second tour, front ébauché dès le premier tour par la présence de Geraldo Alckmin comme candidat à la vice-présidence [le vote pour la présidence ne peut être légalement disjoint de celui pour la vice-présidence]. Ils ajoutent que ce Front conserve le soutien de ceux et celles qui ont également élu les députés du PSOL, rappelant qu’il existe une attente et même un espoir de voir des ministres PSOL dans le gouvernement.

3. Ceux qui défendent la tactique de l’opposition de gauche soutiennent que le gouvernement Lula sera un gouvernement bourgeois de collaboration de classe, avec des représentants organiques de la classe dominante, par le biais de ministres nommés par le MDB (Movimento Democrático Brasileiro), entre autres. Ils soulignent que la fraction capitaliste la plus puissante est engagée dans la défense du régime, et minimisent le danger que représente le bolsonarisme. Ils en concluent que le gouvernement Lula ne mérite pas d’être soutenu. Ils rappellent que l’expérience de treize années de gouvernements de coalition dirigés par Lula et Dilma Rousseff [de 2003 à août 2016], et leurs compromis avec la bourgeoisie, et même avec l’impérialisme des Etats-Unis, comme le rôle des forces armées brésiliennes à travers l’ONU en Haïti [de juin 2004 à avril 2017], ne peut être oubliée. Ils considèrent que, face à la gravité de la crise sociale, et sous la pression capitaliste nationale et internationale, le gouvernement Lula ne pourra pas rompre avec la stratégie d’ajustement néolibéral qui a prévalu pendant les six dernières années de Michel Temer [d’août 2016 à décembre 2018] et Jair Bolsonaro. Ils estiment que, dans le contexte marqué par la victoire de Lula, il est confirmé que la situation ne serait pas réactionnaire.

4. La troisième position soutient que la gauche socialiste doit s’aligner sur la défense de la gouvernabilité de Lula, face aux menaces prévisibles du bolsonarisme, mais ne doit pas assumer de positions de gestion, préservant son indépendance d’action et d’opinion. En d’autres termes, elle doit défendre de manière inconditionnelle la légitimité du gouvernement, dans la rue et au Congrès. La situation politique encore réactionnaire marquée par la présence d’une extrême droite puissante, qui occupera tout l’espace d’opposition, ne permet pas de tergiverser.

Des turbulences comme le vandalisme néo-fasciste dans les rues de Brasilia [des voitures ont été incendiées…] le jour de la réception par Lula du «diplôme d’élu» par le président du Tribunal suprême électoral [Alexandre Moraes] confirment une fois de plus que la tactique de l’opposition de gauche serait une erreur impardonnable.

Mais, simultanément, les tenants de cette position rappellent que l’adhésion au gouvernement du Front large qui intègre la présence de directions significatives de partis de droite a été rejetée par le Congrès du PSOL en 2021. Ils préviennent que la discipline des ministres dans un gouvernement est au-dessus de la discipline du parti [du PSOL]. La loyauté politique est indissociable de l’honnêteté politique. Les ministres ne peuvent pas mener publiquement des combats politiques contre les membres du gouvernement auquel ils participent. La lutte pour le devenir du gouvernement Lula se fera de bas en haut et de l’extérieur vers l’intérieur. Ils affirment que le fait d’accepter la participation au gouvernement, ou de la définir comme une opposition de gauche, serait une erreur symétrique. Rejoindre le gouvernement condamnerait le PSOL à être un satellite du PT. Se définir comme une opposition de gauche condamnerait le PSOL à une solitude dans la marginalité.

5. Le projet de la gauche socialiste, c’est-à-dire ces organisations qui ont une stratégie anticapitaliste, doit être préservé. Il dépend, essentiellement, d’une situation plus favorable dans la lutte des classes, d’un renversement du rapport de forces. Cela demande de la patience tactique et de l’intelligence stratégique. L’un des principaux enseignements du processus électoral est que le Brésil est socialement et politiquement fracturé.

Le bolsonarisme a conquis une implantation sociale et une capillarité à l’échelle nationale. Non seulement il a élu une énorme fraction parlementaire au Congrès, mais il a également remporté l’élection des gouverneurs dans le triangle stratégique du Sud-Est [Etats de São Paulo, du Minas Gerais, de Rio et d’Espirito Santo].

La bataille ayant trait à l’enquête officielle sur les crimes de Bolsonaro sera l’une des questions clés de l’affrontement en 2023.

Toute concertation venant d’en haut aurait des conséquences catastrophiques. L’élection de Lula a ouvert une nouvelle conjoncture, mais pas un dépassement de la situation réactionnaire. Elle a modifié favorablement le rapport de forces politique, mais le rapport de forces social reste défavorable. Et le contexte de transition reste très contradictoire. Il s’agit de deux niveaux d’analyse différents et il n’y a pas toujours de synchronisation entre les différents caractères déterminant les rapports de forces. Dans l’analyse du rapport de forces politique, nous considérons la superstructure: la position des représentations de classe dans les institutions, la bataille entre partis. En analysant le rapport de forces au plan social, nous mettons l’accent sur les facteurs objectifs et subjectifs qui expliquent les positions des classes en lutte. La question décisive résidera dans les conflits au sein de la société, ce qui nécessite de se tourner vers un travail à la base. Rien ne changera sans une lutte acharnée. (Article publié par Esquerda Online, le 13 décembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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