Chine-dossier. «La politique chinoise des trois enfants ne sera probablement pas bien accueillie par les femmes qui travaillent»


H. Grobe, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Par Jieyu Liu

La nouvelle politique chinoise consistant à autoriser les couples à avoir trois enfants (au lieu de la limite précédente de deux) est une tentative de réponse aux préoccupations liées au vieillissement de la population et au ralentissement du taux de natalité. Mais les conséquences de cette politique pour les femmes qui travaillent et leurs familles font que peu d’entre elles accueilleront ce changement à bras ouverts.

Le vieillissement de la population est une préoccupation majeure en Chine. Selon le dernier recensement national de novembre 2020, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus dans le pays a atteint 260 millions, soit 18,7% de la population. D’ici 2050, ce nombre devrait passer à 500 millions.

Bien que les sociétés vieillissent partout dans le monde, les défis sont plus aigus en Chine en raison du nombre de personnes concernées (près de 20% de la population mondiale), de leur niveau de revenu relativement faible et du stade de développement économique du pays.

Si l’amélioration du niveau de vie a permis d’augmenter l’espérance de vie, c’est la politique de planification familiale de l’État – la «politique de l’enfant unique» – qui a le plus contribué à la tendance au vieillissement. Cette politique a été officiellement introduite en 1979 en réponse aux craintes qu’une croissance démographique incontrôlée ne compromette le développement économique et la modernisation. Elle a été strictement et efficacement mise en œuvre dans les zones urbaines par le biais d’amendes sur le lieu de travail et d’autres mesures punitives.

Mais près de quatre décennies plus tard, la première génération d’enfants issus de la politique de l’enfant unique est devenue elle-même parent, faisant peser sur ses épaules la responsabilité de devoir, potentiellement, soutenir chacun deux parents et quatre grands-parents.

Pour remédier à cette pyramide des âges inversée, l’Etat a mis fin à la politique de l’enfant unique en 2015 et a introduit une politique nationale des deux enfants. Comme l’Etat avait déjà (depuis le milieu des années 1980) autorisé les couples des régions rurales à avoir un deuxième enfant si le premier était une fille, cette nouvelle politique visait la population urbaine.

Mais peu de couples – à peine 5 ou 6% – ont opté pour un deuxième enfant, compte tenu de l’insuffisance des services de garde d’enfants et de l’augmentation du coût de la vie des familles dans les grandes villes comme Pékin et Shanghai.

La nouvelle politique des trois enfants a suscité une vague de discussions en ligne parmi les citoyens chinois. Nombre d’entre eux ont exprimé leur choc et leur ressentiment face aux efforts renouvelés de l’Etat pour manipuler les décisions des citoyens et citoyennes en matière de procréation.

Certains ont mis en ligne des photos des anciens slogans de l’Etat datant de la période de la politique de l’enfant unique. L’un de ces slogans stipulait que «si une personne dépasse le quota de naissances, les villageoises de tout le village doivent subir une ligature des trompes».

Les discussions entre femmes sur les médias sociaux ont porté sur les conséquences injustes de la nouvelle initiative politique sur leur emploi et leur vie de famille, étant donné que la garde des enfants reste un travail de femme en Chine. Seule une très petite minorité espère que la mise en œuvre de la politique des trois enfants amènera l’Etat à améliorer le logement, l’éducation, les services médicaux et les soins aux personnes âgées.

L’urbain contre le rural

L’impact de la politique dépendra de l’endroit où l’on se trouve en Chine. Dans les grandes villes et les capitales provinciales, mon étude de cinq ans sur la vie familiale chinoise révèle que seule une très faible proportion des couples nés dans les années 1980 – la première cohorte de la «génération de l’enfant unique» – ont eu un deuxième enfant, même une fois qu’ils y ont été autorisés.

Il semble donc peu probable que les couples de la cohorte des années 1980 profitent de l’allocation pour trois enfants. Les personnes mariées nées dans les années 1990, acclimatées à la culture de l’enfant unique, ont adopté une approche «attentiste» vis-à-vis de la possibilité d’avoir ne serait-ce qu’un deuxième enfant.

Les commentaires d’une personne interrogée (née en 1991) illustrent le dilemme auquel lui et sa femme sont confrontés lorsqu’ils envisagent d’avoir un deuxième enfant:

«C’est possible. Mais ce n’est pas moi qui prendrai la décision finale. Si ma femme souffre beaucoup de l’éducation de notre premier enfant, nous n’en aurons certainement pas un deuxième. Avant l’arrivée de leur premier enfant, beaucoup de mes amis étaient si confiants dans leur projet d’en avoir un deuxième. Mais dès qu’ils ont eu leur premier enfant, ils ont tous hésité à en avoir un deuxième. Nous verrons si notre future situation financière le permet et cela dépendra aussi de la bonne santé de nos parents.»

Les jeunes couples des zones urbaines n’ont pas non plus montré de préférence marquée pour les fils.

En revanche, mon étude a montré que dans les zones rurales, de nombreuses cohortes mariées dans les années 1980 et 1990 avaient déjà un deuxième enfant. La réaction positive ou non des couples ruraux à la nouvelle politique des trois enfants dépendra du sexe de leurs deux enfants existants.

Malgré l’investissement accru dans l’éducation des filles en Chine rurale, j’ai constaté une préférence constante pour les fils sur trois générations. Si les deux enfants d’un couple sont tous deux des filles, il est donc très probable qu’ils essaieront d’avoir un troisième enfant. En effet, dans la région rurale de Fujian, où la culture et la coutume du lignage sont beaucoup plus fortes que dans de nombreuses provinces du nord, certains villageois nés au début des années 1990 avaient déjà trois ou quatre enfants dans le but de «produire» un héritier garçon.

Le poids du care

Avoir trois enfants aura des conséquences en termes de genre et de génération. La discrimination sexuelle est profondément institutionnalisée sur le marché du travail chinois. Lorsqu’on leur a demandé si elles envisageaient d’avoir un deuxième enfant, certaines des femmes interrogées ont reconnu que le refus de leurs employeurs de prendre en charge les coûts de leurs décisions en matière de procréation rendait la décision difficile. A moins que la discrimination sexuelle sur le marché du travail ne soit systématiquement combattue, le choix d’avoir trois enfants aura un effet néfaste sur la trajectoire professionnelle des femmes.

L’offre limitée de structures d’accueil pour les enfants de moins de trois ans signifie que lorsque le congé de maternité d’une nouvelle mère prend fin (actuellement après environ quatre mois), c’est sa mère ou sa belle-mère qui assume la responsabilité de la garde de leur nouveau petit-enfant. Compte tenu de la pénurie d’établissements de soins de qualité pour les personnes âgées, ces grands-parents devront également s’occuper de leurs propres parents. En bref, avoir trois enfants ne fera qu’augmenter la charge des soins pour toutes les générations. (Article publié sur le site anglais The Conversation en date du 3 juin 2021; traduction par la rédaction A l’Encontre)

Jieyu Liu est lectrice en sociologie de la Chine et directrice adjointe de l’Institut de la Chine, SOAS, Université de Londres

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«Les travailleurs chinois déçus par la nouvelle politique des trois enfants»

Par China Labour Bulletin

L’annonce faite le 31 mai 2021 selon laquelle les couples mariés en Chine peuvent désormais avoir trois enfants a été rejetée et même tournée en dérision par de nombreux travailleurs et travailleuses qui ne peuvent pas se permettre de se marier ou qui luttent pour élever un enfant avec des salaires de misère.

«La plupart des gens ont répondu par la dérision et le sarcasme», a déclaré un travailleur de la province de Jilin, dans le nord-est du pays, qui travaille dans le secteur de l’éducation privée.

Des mèmes et des blagues se sont répandus sur Internet, y compris des blagues sur des situations dans lesquelles des familles finissent par vivre à trois générations dans un seul foyer, peut-être dix personnes sous un même toit en vertu de la nouvelle politique.

Un sondage sur le compte Weibo de l’agence de presse étatique Xinhua, qui demandait si les gens étaient prêts à avoir un troisième enfant, a reçu une réponse négative retentissante. Environ 29 000 des 31 000 personnes interrogées ont répondu qu’elles n’y penseraient «jamais». La publication du sondage a ensuite été supprimée.

Le gouvernement a promis une pléthore de mesures de soutien aux familles, mais la majorité des travailleurs ayant une famille sont confrontés à un coût de la vie élevé et à une pression professionnelle intense, ce qui signifie qu’ils/elles doivent déjà consacrer une grande partie de leurs revenus à la garde des enfants. En outre, les travailleuses qui assument la majorité des tâches domestiques trouveraient difficile, voire impossible, de travailler et d’élever trois enfants en même temps.

La politique des trois enfants a été introduite après que le recensement, qui a lieu une fois par décennie, a révélé une baisse significative des taux de natalité et une augmentation de la population de seulement 1,34% l’année dernière. Toutefois, comme le montre une analyse détaillée de notre site Web en langue chinoise, les défis démographiques de la Chine sont extrêmement complexes et ne peuvent être résolus par une simple augmentation des taux de natalité.

Il existe des disparités régionales marquées qui auront un impact sur toute nouvelle politique nationale. Dans la ceinture de rouille du nord-est de la Chine, la population âgée est disproportionnellement élevée, tandis que les taux de natalité et la population d’enfants sont disproportionnellement faibles. A Jilin, par exemple, la population âgée est plus de deux fois supérieure à la population infantile, et la population totale a diminué de plus de trois millions (12,3%) au cours de la période de recensement.

La puissance économique du Guangdong, en revanche, affiche toujours une forte croissance démographique, et sa population âgée est relativement faible, à peine 12,4% de la population totale. En conséquence, le Guangdong dispose d’un fonds de pension (pour les retraites) public très sain, alors que les fonds de pension des provinces du nord-est sont déjà soumis à de fortes pressions financières.

Cependant, même dans le Guangdong, la croissance des salaires stagne et un nombre croissant de travailleurs ne bénéficient pas de la sécurité sociale. Avec peu de perspectives réalistes de promotion sociale et l’augmentation du coût de la vie, de nombreux jeunes travailleurs choisissent de «s’allonger», c’est-à-dire de sortir de la folle course et d’ignorer la pression sociale pour fonder une famille.

Même les travailleurs relativement aisés, comme l’interviewé de Jilin – qui gagne plus de 10 000 yuans par mois (1285 euros) dans le secteur privé – n’ont pas l’intention de fonder une famille. Il n’a pas de plan financier à long terme et n’a même pas pensé à sa retraite.

Il y a cependant certaines régions où la politique gouvernementale des trois enfants pourrait avoir un impact. Dans les zones rurales les plus reculées de l’ouest de la Chine, où le coût de la vie est faible, les familles pauvres pourraient considérer un troisième enfant comme une possibilité d’obtenir un revenu familial plus élevé et de soutenir les parents dans leur vieillesse. Cela dit, il est peu probable que les migrants ruraux peu instruits soient en mesure de gagner suffisamment pour améliorer leurs conditions de vie. Le salaire moyen des travailleurs migrants en 2020, selon les statistiques officielles, n’était que de 4 072 yuans (523 euros) par mois. (Article paru sur le site du China Labour Bulletin en date du 3 juin 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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