Ces militants qui s’engagent auprès des Roms

Par Guillaume Pajot et Pierre-Olivier Cazenave

Portrait de ceux qui, aux quatre coins de la France, tentent de venir en aide à ces populations délaissées et souvent mal connues.

Des caravanes en morceaux, échouées sur un terrain vague. Michel Fèvre, photographe amateur friand de nature, pouvait rêver meilleur décor pour ses images. Ce jour-là, des enfants sortent des véhicules. L’enseignant en Institut médico-éducatif (IME), 58 ans, s’interroge : que font «des gamins de 7-8 ans» loin des bancs de l’école ? Il s’approche, discute et réalise qu’ils ne sont pas scolarisés. «On ne peut pas», lui dit-on. C’était il y a onze ans. Depuis, Michel Fèvre a monté un collectif de soutien aux familles roms d’Orly (Val-de-Marne), puis pour le droit des enfants roms à l’éducation. Ils sont de plus en plus nombreux à s’engager comme lui auprès de ces populations déracinées et à les accompagner dans leurs démarches. Refusant d’attendre que l’Etat agisse, l’enseignant se sent «le devoir de solidarité».

«Plus de 60» expulsions à Saint Etienne

Passionnée elle aussi de photographie, Marie-Pierre Vincent, 55 ans, en a fait son métier. Membre du réseau Solidarité Roms Saint-Etienne, elle tient un studio dans une rue piétonne de la ville, après avoir voyagé une dizaine d’années en camion dans toute l’Europe. Son premier contact avec les Roms remonte à l’enfance : «Ma tante me réveillait très tôt le matin en criant : “Viens, ils enlèvent les caravanes !”»

Elle vivait à Dijon, où des voyageurs d’origine hongroise venaient à l’usine étamer les casseroles. La photographe a découvert les Roms de Saint-Etienne en 2004. «J’ai aperçu un campement près du Musée de la mine, explique-t-elle. J’ai pris quelques photos que je leur ai apportées.» Depuis, la photographe a assisté à toutes les expulsions de Saint-Etienne. «Plus de 60», souffle-t-elle. Et lorsqu’il s’agit de décrire son emploi du temps, elle se tait, puis rit : «Je n’ai pas pris de congés. Avec ce qui se passe en ce moment…»

Racisme envers les Roms roumains

Le temps, Malik Salemkour, 44 ans, le voit filer au gré de ses multiples casquettes, dont celles de vice-président de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et de membre du comité de gestion du réseau Romeurope, qui regroupe des associations de soutien aux Roms et aux gens du voyage.

Ce «militant dans l’âme» se souvient du début des années 1990, où il montait des dossiers de demande d’asile. «A l’époque, peu de gens étaient intéressés par le sujet des Roms», explique Malik Salemkour, qui s’est rendu en Roumanie en 2005 pour accompagner des familles expulsées. Un choc. «On voyait des gamins qui mouraient de faim…», soupire-t-il, soulignant le racisme dont sont victimes les Roms roumains.

Une situation de «misère» que constate quotidiennement Chantal Blanc, médecin scolaire et bénévole pour ATD Quart Monde. Son engagement a toujours été une évidence : «Si on enlève l’accueil des pauvres et des étrangers, on peut arracher toutes les pages de la Bible.»

Célibataire domiciliée à Pézenas (Hérault), cette militante associative de 56 ans se rend en 2007 sur le campement rom qui vient de s’établir près de chez elle. «La distance entre nous était grande, et empêchait d’établir une véritable relation», regrette-t-elle. Cette fervente catholique retrouvera les Roms peu de temps après, parmi les mendiants à la sortie de la messe, et apprendra à les connaître.

Consciente «qu’il y a des gens mobilisés partout», Chantal Blanc assiste les parents dans leurs démarches d’insertion, et propose aux plus jeunes des bibliothèques de rue pour favoriser la lecture et le savoir. Sans hésiter à faire appel à ses proches.

«Rien ne me prédisposait à m’intéresser à la question rom»

«Ne t’inquiète pas, c’est tout simple.» En s’adressant à Laurent El Ghozi, conseiller municipal de Nanterre, la direction de l’action sanitaire et sociale a d’abord cherché à le rassurer. Elle le sollicite en 1989 pour créer une association destinée à l’accompagnement des Roms et des gens du voyage : l’Association pour l’accueil des voyageurs (Asav).

«Rien ne me prédisposait à m’intéresser à la question rom, explique-t-il, mais ils ont considéré que j’avais la sensibilité adéquate.» Les premiers migrants roumains arrivent à Nanterre la même année. Il les croise dans l’hôpital de la ville, où il est chirurgien. Il a toujours milité pour que les problèmes des gens du voyage et des Roms étrangers soient abordés de front.

Un combat politique

Un «combat» avant tout politique pour Laurent El Ghozi qui, à 62 ans, préside aujourd’hui la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage (Fnasat) et fait partie du comité de gestion du réseau Romeurope. A l’autre bout du téléphone, des voix de bambins résonnent derrière lui. Ses petits-enfants. «J’essaie de leur parler de mon engagement, confie-t-il. Ils sont jeunes, mais je sais déjà que mes cinq enfants y sont sensibles.»

Michel Fèvre, l’enseignant est persuadé que ce sont les rencontres qui amènent à changer de regard. «On a fait venir à l’IME de jeunes Roumains qui s’investissent dans une association de retraitement des déchets, raconte-t-il. Pas pour parler de leurs problèmes, mais de leur action citoyenne.» Spontanément, des gens sont venus leur rendre visite ensuite, sur les terrains. Ceux-là mêmes où un passionné de photo avait rencontré des Roms pour la première fois, il y a onze ans…

* Guillaume Pajot et Pierre-Olivier Cazenave ont publié cet article dans le quotidien La Croix, le 26 août 2010. Voir aussi le site Réseaux citoyens de St-Etienne.

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Légende de la photo: Sur le site Réseaux citoyens de St-Etienne. La chasse aux Roms, menée par la préfecture et la mairie, continue. Ce mardi 17 août, des familles ont été expulsées d’une immeuble de la rue Soleysel. Photo de Marie-Pierre Vincent, accompagnée de ce message : “Je viens de retrouver Ion et son chapeau. Ils se sont posés sur la place du Peuple. Rosa est à côté de lui. Couple âgé, vraiment malade. Ils sont éreintés, ” finis”, vides. Expulsés ce matin de Soleysel, presque 8 ou 10 fois en une semaine, pour eux l’espoir n’existe plus.”

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