CIJ: l’occupation israélienne des territoires palestiniens est «illégale» 

Nawaf Salam préside la CIJ, lors de sa séance du 19 juillet.

Par Katherine Hearst et Imran Mulla

La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu vendredi 19 juillet un avis consultatif estimant que l’occupation des territoires palestiniens par Israël depuis des décennies était «illégale» et que sa «séparation quasi complète» des habitants de la Cisjordanie occupée [1] violait les lois internationales relatives à la «ségrégation raciale» et à l’«apartheid».

En présentant les conclusions de la Cour, le président de la CIJ, Nawaf Salam, a déclaré qu’Israël devait réparer les dommages causés aux Palestiniens par son occupation, ajoutant que le Conseil de sécurité des Nations unies, l’Assemblée générale et tous les Etats avaient l’obligation de ne pas reconnaître l’occupation israélienne comme légale.

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«L’utilisation abusive persistante de sa position en tant que puissance occupante à laquelle Israël se livre en annexant le Territoire palestinien occupé et en imposant un contrôle permanent sur celui-ci, ainsi qu’en privant de manière continue le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, viole des principes fondamentaux du droit international et rend illicite la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, a déclaré Nawaf Salam en lisant les conclusions du panel de 15 juges.

Il a ajouté que les politiques et les pratiques d’Israël en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est équivalaient à l’annexion de grandes parties de ces territoires et que la Cour estimait qu’Israël pratiquait une discrimination systématique à l’encontre des Palestiniens dans le territoire occupé.

«Plusieurs participants ont avancé que les politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé étaient constitutives de ségrégation ou d’apartheid, en violation de l’article 3 de la CIEDR [Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale]», a-t-il déclaré.

L’article 3 de la CIEDR stipule ce qui suit: «L’article 3 de la CIEDR énonce ce qui suit: “Les Etats parties condamnent spécialement la ségrégation raciale et l’apartheid et s’engagent à prévenir, à interdire et à éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature.” Cette disposition renvoie à deux formes particulièrement graves de discrimination raciale, la ségrégation raciale et l’apartheid», a-t-il souligné [2].

«La Cour observe que les politiques et pratiques appliquées par Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est opèrent une séparation entre la population palestinienne et les colons qu’il transfère vers le territoire.»

La décision de vendredi fait suite à une demande formulée en décembre 2022 par l’Assemblée générale des Nations unies pour que la Cour donne son avis sur les politiques et les pratiques d’Israël à l’égard des Palestiniens et sur le statut juridique de l’occupation des terres palestiniennes, qui dure depuis 57 ans.

Elle a notamment déclaré que le «transfert par Israël de colons» dans les territoires occupés était contraire à la Convention de Genève, ajoutant que: «En privant, depuis des décennies, le peuple palestinien de la jouissance des ressources naturelles présentes dans le Territoire palestinien occupé, Israël a fait obstacle à l’exercice par celui-ci de son droit à l’autodétermination.» [3]

L’avis consultatif n’a pas de force contraignante, mais il est doté d’une autorité juridique et morale considérable et pourrait accroître la pression exercée sur Israël en raison de son assaut contre Gaza.

Nawaf Salam a déclaré, en référence aux objections soulevées contre la Cour, qu’il n’y avait pas de «raisons décisives devant conduire la Cour à refuser de donner l’avis demandé par l’Assemblée générale» [4].

Nawaf Salam a ajouté que la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza étaient considérées comme une seule et même unité en vertu du droit international et a rejeté les arguments avancés par Israël selon lesquels il n’occupait plus Gaza en raison de l’expulsion des colons en 2005 [opération initiée par Ariel Sharon pour mettre fin, partiellement, à l’occupation militaire de la bande de Gaza, les «autorités palestiniennes» ne pouvant contrôler ni les frontières, ni les eaux territoriales, ni l’espace aérien].

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a condamné la décision de la Cour en la qualifiant de «fausse», ajoutant que «le peuple juif n’occupe pas son propre pays» [5].

Le ministère israélien des Affaires étrangères [Israël Katz] a rejeté l’avis en le qualifiant de «fondamentalement erroné» et «détaché de la réalité» [6].

Dans le même temps, le ministre israélien de la Sécurité nationale (extrême droite), Itamar Ben Gvir, a dénoncé la Cour comme étant «antisémite» [sic] et a réitéré ses appels à l’annexion de la Cisjordanie [7].

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Le porte-parole du ministère britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement a déclaré à Middle East Eye que le ministre des Affaires étrangères David Lammy [du gouvernement de Keir Starmer], qui s’est récemment rendu en Israël et dans les territoires occupés, avait clairement indiqué que le Royaume-Uni était fermement opposé à l’expansion des colonies illégales et à la montée de la violence des colons.

«Ce gouvernement s’est engagé en faveur d’une solution négociée à deux Etats, qui permettrait de créer un Etat d’Israël sûr et sécurisé aux côtés d’un Etat palestinien viable et souverain», a ajouté le porte-parole.

Ayoub Khan, député indépendant de la circonscription Birmingham Perry Barr au Royaume-UNI, a déclaré à MEE que le gouvernement britannique devrait respecter les conclusions de la CIJ et «exercer des pressions pour obtenir des sanctions si Israël ne respecte pas l’Etat de droit international».

Adnan Hussain, député indépendant de la ciconscription Blackburn, a déclaré que l’avis consultatif de la CIJ constituait un «moment historique pour la justice internationale et confirmait ce que les Palestiniens, des juristes et la communauté des droits de l’homme disaient depuis le début». Il a appelé les gouvernements du monde entier, y compris le Royaume-Uni, à se désinvestir des «échanges commerciaux avec les territoires occupés considérés comme illégaux au regard du droit international».

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En février, la Cour a entendu les arguments de 52 pays et de trois organisations internationales, soit plus que dans toute autre affaire depuis la création de la CIJ en 1945. La grande majorité d’entre eux ont fait valoir que l’occupation était illégale et ont exhorté la Cour à la déclarer comme telle.

Ce développement coïncide avec une affaire distincte portée par l’Afrique du Sud devant la CIJ, accusant Israël d’avoir commis un génocide dans l’enclave.

En janvier 2024, la CIJ a ordonné à Israël d’empêcher les actes de génocide contre les Palestiniens de Gaza, d’autoriser l’entrée de l’aide humanitaire et de conserver les preuves des violations. [Saisis par Pretoria, les juges de la CIJ ont établi, le 26 janvier, qu’il existe un risque plausible que les droits des Palestiniens à être protégés du crime de génocide soient violés. – réd.] Néanmoins, les organisations humanitaires ont critiqué à plusieurs reprises les restrictions imposées par Israël en matière d’aide, alors que la famine menace la région.

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Depuis la guerre de 1967, Israël occupe ce qui est reconnu par le droit international comme étant des terres palestiniennes. Jérusalem, la Cisjordanie et Gaza entrent dans cette catégorie, et les systèmes juridiques distincts, la construction de colonies et les actes de violence perpétrés contre des résidents palestiniens sont autant de facteurs clés qui seront pris en compte lors des auditions à venir.
C’est le deuxième avis consultatif rendu par la CIJ depuis 2004, année où elle avait émis un avis historique sur la légalité de la construction par Israël d’un mur en Palestine occupée. La Cour avait alors décidé que ce mur, souvent qualifié de «mur de l’apartheid» par les Palestiniens et les groupes de défense des droits humains, était illégal et devait être détruit. (Article publié par Middle East Eye le 19 juillet 2024; traduction et édition rédaction A l’Encontre)

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[1] Le texte de l’article 229 du chapitre 6 («Conclusions concernant les lois et mesures discriminatoires adoptées par Israël») de l’avis consultatif est le suivant: «La Cour observe que les lois et mesures d’Israël imposent et permettent de maintenir en Cisjordanie et à Jérusalem-Est une séparation quasi complète entre les communautés de colons et les communautés palestiniennes. Elle considère, pour cette raison, que les lois et mesures d’Israël emportent violation de l’article 3 de la CIEDR [Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965].» (Réd.)

[2] Dans le quotidien belge Le Soir du 19 juillet 2024, Pauline Hofmann cite Johann Soufi, juriste français spécialisé dans le droit internationale: «Pour Johann Soufi la Cour “reconnaît explicitement que le régime discriminatoire mis en place par Israël peut légitimement être qualifié de régime ségrégationniste ou d’apartheid”. Les organisations palestiniennes estiment depuis longtemps qu’une politique d’apartheid a cours, et elles ont été rejointes ces dernières années par des organisations israéliennes de défense des droits humains (comme B’tselem), mais aussi par les grandes ONG internationales comme Human Rights Watch et Amnesty. Mais cette décision “revêt aujourd’hui une portée symbolique et juridique bien plus grande”.» (Réd.)

[3] Dans le quotidien Le Temps du 20 juillet, Luis Lema écrit: «En 2004 déjà, se penchant sur “le mur de séparation” qui divise la Cisjordanie et Israël, mais dont le tracé court en grande partie en territoire palestinien, la CIJ s’était très claire sur la question de l’occupation. Malgré son intervention, le mur n’a jamais été démantelé. En mettant en avant, cette fois, le risque d’une progressive annexion “de fait” des territoires palestiniens, elle éclaire en pleine lumière la “politique du fait accomplimenée systématiquement par Israël depuis des décennies, sous le couvert de nombreuses arguties juridiques. Nul Etat ne doit reconnaître ces acquisitions illicites de territoire, somment les juges. Nul ne doit “prêter de l’aide ou de l’assistance” à cette entreprise qui vise à gommer l’existence de la Palestine.» (Réd.)

[4] Dans l’article du Temps précité, Luis Lema écrit: «L’Etat d’Israël, qui avait refusé d’envoyer ses juristes à La Haye, s’en est tenu à un argument principal dans une courte note de 4 pages adressée à la CIJ: cette affaire doit être réglée de manière bilatérale entre les Israéliens et les Palestiniens, dans le cadre d’un accord de paix. Recourir, dans ce contexte, aux compétences de la Cour, n’est pas seulement “injustifiée”, clamait Israël, c’est aussi “nocif”.»

En pages 1 et 2 de l’avis consultatif de la CIJ, consultable en cliquant sur ce lien, sont mentionnées l’ensemble des objections à ce que la Cour donne son avis sur cette question soulevée par l’Assemblée générale de l’ONU en décembre 2022. (Réd.)

[5] The Times of Israel du 20 juillet rapporte la déclaration de Netanyahou: «Le peuple juif n’occupe pas son propre pays – ni notre capitale éternelle, Jérusalem, ni la terre de nos ancêtres en Judée et Samarie. Aucune fausse décision de La Haye ne déformera cette vérité historique, tout comme la légalité de l’implantation israélienne sur tous les territoires de notre patrie ne peut être contestée.» (Réd.)

[6] Selon le Jerusalem Post du 19 juillet, Israël Katz, ministre des Affaires étrangères, a déclaré: «L’avis ignore le passé: les droits historiques du peuple juif sur la terre d’Israël. Il est détaché du présent: de la réalité sur le terrain, des menaces qui pèsent sur la sécurité d’Israël, du plus grand massacre de Juifs depuis l’Holocauste, des attaques du Hamas, de l’Iran et d’autres éléments terroristes sur sept fronts, et de la nécessité pour Israël de défendre son territoire et ses citoyens. Il est également dangereux pour l’avenir: il n’y a pas d’autre solution que de s’en remettre à l’opinion d’Israël.

Cette attitude est également dangereuse pour l’avenir: elle fait le jeu des extrémistes et encourage l’Autorité palestinienne à poursuivre sur la voie de la diffamation et du dénigrement sans fondement.»

Il se risque à conclure: «L’Etat d’Israël adhère à l’Etat de droit et s’engage à respecter le droit international. Il continuera à faire tout ce qui est nécessaire pour protéger ses citoyens conformément au droit international [sic].» (Réd.)

[7] Selon Stéphanie Maupas et Louis Imbert, dans Le Monde daté du 20 juillet: «Avec lui [Netanyahou], presque toute la classe politique s’est indignée de cette décision, estimant qu’elle affaiblit l’Etat hébreu, dans le dixième mois de la guerre qu’Israël mène à Gaza. Cette opération a causé la mort de près de 40’000 Palestiniens, fait 2 millions de déplacés et détruit l’enclave. Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, a déploré une décision “teintée d’antisémitisme”. Le président du Parlement est allé jusqu’à avancer que la Cour avait été “détournée par des islamistes”.

Ces hauts cris cachent mal l’absence totale d’arguments de fond du gouvernement israélien contre cet avis, à l’heure où le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et ses alliés ultranationalistes assument une politique d’annexion pure et simple de la Cisjordanie occupée, et ne prétendent plus, en aucune manière, à un règlement négocié du conflit.» (Réd.)

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