Par Hamid Reza Vasheghani Farahani
Cet article est basé sur la contribution de Hamidreza Vasheghanifarahani, activiste et chercheur en droits de l’enfant, dans le cadre du teach-out en ligne «Solidarité avec le soulèvement Femmes, Vie, Liberté en Iran» le 7 décembre 2022, organisé par le Cambridge University and College Union (UCU), le Cambridge University Students Union, le Cambridgeshire NEU (National Education Union), le Cambridge and District TUC et MENA Solidarity Network.
Pour de nombreux observateurs, la participation des adolescent·e·s à la «révolution de Mahsa Jina Amini» a été une surprise. Cependant, je pense qu’un examen plus approfondi du contexte iranien et de la vie politique quotidienne d’un jeune montre que cette participation est en fait au cœur du soulèvement, par sa nature même. Au cours des trois derniers mois, parallèlement à l’observation et à l’analyse des différentes formes de participation des adolescents, j’ai eu des discussions avec de nombreux jeunes et enseignant·e·s pour en savoir plus. Plus précisément, j’ai essayé de formuler une réponse à ces deux questions: pourquoi ces jeunes sont si désireux de participer à cette révolution? Comment se situent-ils par rapport à cette révolution et à ses principales revendications: «Femme, Vie, Liberté»?
Dans ce court écrit, je partage certaines de ces observations et les préoccupations dont certains des adolescent·e·s m’ont fait part.
Les formes de participation
Les adolescent·e·s, en plus de participer au soulèvement en accompagnant leurs parents dans la rue, ont avant tout investi les écoles et les médias sociaux comme principaux sites pour exprimer leur solidarité et leur engagement avec le mouvement. Leurs actions incluent (mais ne sont pas limitées à celles-ci):
- Le retrait du hidjab contraint (comme composante de leurs uniformes scolaires) à l’école et sur le chemin de l’école.
- Refuser de répéter des slogans à caractère idéologique liés à la République islamique à l’école.
- Chanter et scander des chansons et des slogans dans les classes, dans la cour de l’école et dans les rues avoisinantes, en manifestant leurs revendications.
- Organiser des cérémonies à la mémoire des enfants et des adolescents qui ont perdu la vie.
- Retirer les photos de Khamenei et de Khomeini des premières pages de leurs livres.
- Publier leurs dessins et leurs œuvres d’art sur les médias sociaux.
- Manifester à l’intérieur et à l’extérieur des écoles.
- Refuser d’assister aux cours.
- Retirer des photos de Khomeini et de Khamenei des salles de classe et remplacement par des illustrations ou des photos de jeunes gens tués par le régime.
- Obliger les autorités du ministère de l’Education, à l’occasion d’une de leurs visites, à quitter leur école.
Pourquoi les adolescent·e·s participent-ils au soulèvement?
Lorsque j’ai discuté avec des adolescent·e·s, ils ont relevé plusieurs éléments qui ont contribué à leur enthousiasme à l’égard du soulèvement et à leur sentiment de responsabilité éthique à son égard.
Beaucoup d’entre eux ont noté qu’ils sont témoins de la discrimination dans le système éducatif, pris en tant qu’institution. Par exemple, un élève de douzième année vivant au Kurdistan a noté que «90% des places dans les meilleures universités vont à des diplômés d’écoles privées et non publiques». Sa préoccupation est étayée par des statistiques montrant que 80% des 3000 premiers candidats aux examens d’entrée à l’université sont issus des trois premiers déciles les plus riches de la population du pays. Si de nombreux étudiant·e·s n’utilisent pas des termes tels que financiarisation et marchandisation de l’éducation, ils en font l’expérience dans leur vie quotidienne. Comme le note un étudiant, lorsqu’ils atteignent l’âge de passer l’examen d’entrée à l’université, il devient clair «que les infrastructures réduites et la qualité de leur école publique les ont laissés sans qualification pour un bon résultat lors de l’examen d’entrée à l’université». De fait, un examen qui est plus qu’un examen et détermine presque leur destin.
De nombreux étudiant·e·s ont mentionné «l’atmosphère disciplinaire sévère» dans les écoles, allant du hidjab contraint à d’autres problèmes tels que le contrôle physique, le manque d’intimité et la participation obligatoire à des événements idéologiques. Il est intéressant de relever que certains étudiant·e·s ont noté que, malgré l’atmosphère générale des écoles, ils ont eu des enseignants «qui les ont informés de leurs droits en tant qu’enfants et étudiants», notamment le droit à une éducation gratuite, inclusive et de qualité, le droit à la participation et le droit d’être protégé contre toute forme d’abus.
Une autre raison qui a contribué à la colère des étudiant·e·s réside dans le programme d’enseignement idéologique. Il s’agit non seulement de faire l’éloge du Guide suprême, de falsifier les faits concernant les progrès du régime en matière de science, de médecine et, plus récemment, de «vaincre le Covid-19», mais aussi de dépeindre les filles dans les manuels scolaires comme des mères, des femmes de ménage et des responsables des travaux domestiques. Ces exemples montrent qu’ils en ont assez de la propagande du régime, plus particulièrement pour ce qui concerne les rôles attribués aux sexes.
En outre, les étudiant·e·s sont témoins du fait que leurs pairs, leurs parents, leurs voisins et leurs proches sont battus, détenus ou même tués. Cela a suscité de l’empathie à l’échelle nationale. N’importe quelle fille peut voir qu’elle ou son amie pourrait être Nika Shahkarami [adolescente iranienne qui a disparu le 20 septembre 2022 à Téhéran lors d’une manifestation, elle a été retrouvée morte dix jours plus tard], ou Sarina Esmailzadeh [adolescente de 16 ans battue à mort lors d’une manifestation le 23 septembre], pour ne citer que deux, parmi d’autres, des adolescentes qui ont été tuées par les forces du régime.
***
Dans un contexte historique plus large, les étudiant·e·s ont également été témoins de discriminations les visant. Après avoir terminé le lycée, les étudiant·e·s bahá’ís [religion abrahamique et monothéiste présente historiquement en Iran, revendiquant son autonomie; les membres de cette religion sont fortement discriminés et réprimés] ne peuvent pas entrer dans les universités. Au Baloutchistan, la région sud-est du pays, de nombreux enfants ne peuvent pas aller à l’école parce qu’ils n’ont pas de carte d’identité ou à cause de la distance énorme à parcourir, du manque d’infrastructures ou de la pauvreté. Le droit à l’enseignement dans leur langue maternelle pour les Kurdes, les Balouches, les Turcs, les Turkmènes, les Arabes et de nombreuses autres ethnies n’est pas reconnu dans la pratique et n’est qu’une promesse vide sur le papier.
Même certains enseignants et activistes – comme Zara Mohammadi [elle a enseigné publiquement dans sa langue maternelle, comme acte de défi], une enseignante et activiste culturelle kurde – sont poursuivis, emprisonnés et inculpés uniquement parce qu’ils enseignent la langue et la littérature kurdes aux élèves et font la promotion de ce droit. De même, les adolescent·e·s et les jeunes adultes LGBTQIA sont stigmatisés dans le système éducatif formel et ce soulèvement leur a donc permis de faire entendre leur voix.
De nombreux étudiant·e·s sont également les témoins directs et les victimes des crises environnementales causées par la mauvaise gestion, la corruption et l’approche discriminatoire du régime islamique. La plupart des grandes villes iraniennes sont confrontées au problème de la pollution de l’air, qui entraîne la fermeture des écoles pendant plusieurs jours chaque automne et chaque hiver, et fait de nombreuses victimes. Diverses régions ont un problème d’eau potable: du Baloutchistan et du Khouzistan [sud-ouest] aux montagnes du Zagros et même au nord de l’Iran. Ce problème est le résultat de l’utilisation de l’eau à des fins industrielles, comme l’acier et l’agriculture industrielle. Les industries sidérurgiques sont situées à l’intérieur du pays, au lieu d’être établies près des mers, car les provinces qui ont des côtes sont principalement peuplées d’ethnies non chiites et non persanes. De plus, alors que dans de nombreuses zones rurales, les petits et moyens agriculteurs n’ont pas le droit d’utiliser les ressources en eau, les entreprises d’agriculture industrielle consomment l’eau à grande échelle sans avoir à rendre de comptes. Même si les étudiant·e·s ne vivent pas directement ces crises, ils/elles ont accès aux nouvelles sur les médias sociaux et voient des photos postées par des personnes d’autres régions du pays.
***
Par-dessus tout, les difficultés financières et économiques, qui sont une conséquence directe des politiques néolibérales et axées sur le marché, sont un problème très visible. D’une part, les adolescent·e·s voient et vivent ces difficultés et, d’autre part, la corruption au sein du régime est devenue plus évidente qu’à tout autre moment. Prenons juste un exemple parmi tant d’autres. Récemment, il s’est avéré que l’élite au pouvoir a détourné plus de 2,5 milliards de dollars de l’industrie sidérurgique de Mobarake [province d’Ispahan au centre de l’Iran] au cours de la dernière décennie, malgré les affirmations du régime concernant les difficultés économiques dues aux sanctions internationales.
En outre, nous pouvons mentionner le budget généreux alloué au Corps des gardiens de la révolution islamique, l’une des forces armées du régime, qui agit également en tant que principal agent de renseignement, économique et politique du régime, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, pour maintenir son pouvoir. Générosités accordées de même aux Hawza chiites (écoles du clergé) et à d’autres organisations idéologiques et religieuses. Sans même mentionner les dépenses liées à la guerre contre le peuple syrien afin d’appuyer le régime de. Bachar al-Assad [et d’utiliser les «tensions» externes à des fins internes].
L’allocation non démocratique du budget de l’Etat a laissé un financement insuffisant pour les écoles, la santé publique et l’environnement. Tout étudiant·e qui envisage son avenir en Iran finira par se demander si cette terre restera vivable si le régime islamique continue ainsi.
La réaction du régime
Au cours des trois derniers mois, le régime a tenté de réprimer les étudiant·e·s et les jeunes, que ce soit dans les écoles ou dans les rues. Les forces de sécurité et les bassidji ont attaqué plusieurs écoles. Ils ont également scruté les images de vidéosurveillance des écoles afin d’identifier les étudiant·e·s. Plusieurs rapports font état de l’arrestation d’étudiants, d’enseignants et de membres du personnel scolaire qui se sont montrés solidaires des étudiants et ont refusé de coopérer avec les forces de sécurité. Récemment, plusieurs adolescent·e·s ont fait l’objet de procès inéquitables et extrajudiciaires, sous l’accusation de mener «la guerre contre Dieu», ou «Moharebe». Le «Moharebe» est l’un des chefs d’accusation les plus fréquemment utilisés par le régime. Selon la charia et le Code pénal du régime islamique d’Iran, cette accusation entraîne généralement la peine de mort ou de longues peines de prison, y compris la prison à vie.
Amir Mohammad Jafari (qui a été sauvagement torturé), Arian Farzam Nia [17 ans, condamné pour «hostilité envers Dieu»] et Mahdi Shokrollahi [accusé de «crime contre la sécurité nationale»] sont trois adolescents, chacun d’entre eux ayant été condamné à 25 ans d’emprisonnement lors d’un récent procès. Parmis Hamnava, une jeune fille de 15 ans originaire du Baloutchistan, est une autre victime qui a été battue par les forces de sécurité parce qu’au cours de leur inspection scolaire, elles ont découvert que Parmis avait retiré de ses livres les photos de Khomeini et de Khamenei. Tragiquement, Parmis Hamnava est décédée après quatre jours d’hospitalisation.
Depuis le début du soulèvement, au moins 70 enfants et adolescent·e·s ont été tués par le régime et beaucoup ont été arrêtés et torturés. Pendant cette période, de nombreux militants et défenseurs des droits de l’enfant, dont Samaneh Asghari, Mina Jandaghi, Niloufar Fathi, Atefeh Charmahalian, Saeed Shirzad, Sarvenaz Ahmadi et Mahsa Gholamalizadeh, ont également été arrêtés. Après de nombreuses semaines d’isolement et d’interrogatoire, certains d’entre eux ont été libérés sous forte caution et attendent leur procès, mais d’autres sont toujours en détention. (Article publié par Mena Solidarity Network, le 18 décembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
Soyez le premier à commenter