Par Inter Press Service (IPS)
Santiago, Chili. L’extrême pauvreté dans la région est passée de 81 à 86 millions de personnes entre 2020 et 2021, ce qui représente un recul de 27 ans, selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), qui a présenté jeudi 27 janvier son rapport annuel Panorama Social.
Alicia Bárcena, secrétaire exécutive de la CEPALC, a déclaré lors de la présentation du rapport dans la capitale chilienne que «malgré la reprise économique enregistrée en 2021, les niveaux relatifs et absolus estimés de pauvreté et d’extrême pauvreté sont restés supérieurs à ceux enregistrés en 2019, reflétant la poursuite de la crise sociale».
Alors que l’extrême pauvreté a augmenté, passant de 13,1% à 13,8% de la population, le taux de pauvreté global a légèrement diminué, passant de 33% à 32,1%, soit une baisse de 204 à 201 millions de personnes.
«L’histoire nous enseigne que l’extrême pauvreté est plus difficile à éradiquer que la pauvreté relative, car les personnes extrêmement pauvres sont moins bien loties en termes d’alimentation, de santé, d’éducation et d’accès aux opportunités», a déclaré Alicia Bárcena.
Un fait crucial est que «la crise sanitaire reste en vigueur et que l’Amérique latine et les Caraïbes sont la région la plus vulnérable au monde dans le contexte de cette pandémie», indique le rapport.
La région compte le plus grand nombre de décès déclarés dus au covid (1 562 845 au 31 décembre 2021), un chiffre qui «continuera de croître tant que la pandémie persistera» et qui représente 28,8% des décès dus à la maladie dans le monde, alors que la population d’Amérique latine et des Caraïbes ne représente que 8,4% du total mondial.
Au 26 janvier de cette année, 62,3% de la population de la région (environ 408 millions de personnes) disposaient d’un programme de vaccination complet. La CEPALC a donc appelé à redoubler d’efforts pour que, d’ici à la mi-2022, tous les pays aient vacciné 70% de leur population avec un programme complet.
La crise a également mis en évidence la vulnérabilité d’une grande partie de la population dans les couches moyennes de revenus, avec de faibles niveaux de contributions à la protection sociale contributive [au sens de participation financière suffisante au système de protection sociale] et une très faible couverture de la protection sociale non contributive.
Déjà depuis 2020, la proportion de femmes qui ne perçoivent pas de revenu propre a augmenté. Se sont maintenus les pourcentages de pauvreté dans les zones rurales, les populations indigènes et les enfants; et les inégalités se sont accrues.
Le coefficient de Gini – utilisé au niveau international pour mesurer la répartition des revenus – a augmenté de 0,7 point de pourcentage pour la moyenne régionale entre 2019 et 2020, une détérioration directement liée à l’impact de la pandémie.
La pauvreté aurait été plus élevée en 2020 si les pays de la région n’avaient pas adopté des mesures telles que des transferts de revenus d’urgence. L’extrême pauvreté aurait été supérieure d’environ 1,8 point de pourcentage, et la pauvreté globale aurait été supérieure de 2,9 points de pourcentage, selon les moyennes de sept pays.
Au cours des 10 derniers mois de 2020, les transferts d’urgence annoncés par les pays pour atténuer l’impact de la crise ont représenté 89,7 milliards de dollars de dépenses, tandis qu’au cours des 10 premiers mois de 2021, les dépenses annoncées pour ces mesures ont été deux fois moins élevées, soit 45,3 milliards de dollars.
Alicia Bárcena a demandé que ces transferts monétaires d’urgence soient maintenus en 2022 ou jusqu’à ce que la crise sanitaire soit maîtrisée.
En termes d’éducation, l’Amérique latine et les Caraïbes sont l’une des régions du monde où l’interruption des cours en présentiel est la plus longue, avec près de 56 semaines d’interruption totale ou partielle, ce qui a provoqué des lacunes dans le développement des compétences cognitives, la perte d’opportunités et le risque d’abandon scolaire.
Les fermetures d’écoles ont également eu un impact sur la surcharge de travail des femmes en matière de soins.
Alicia Bárcena a déclaré que «la pandémie est une occasion historique de construire un nouveau contrat social qui offre protection, certitude et confiance. Un nouveau contrat social doit faire progresser et renforcer l’institutionnalisation des systèmes de protection sociale et promouvoir leur universalité, leur exhaustivité, leur durabilité et leur résilience.
Une partie de ce contrat social doit être un nouveau pacte budgétaire, accepté par les Etats, le secteur privé et la société dans son ensemble, afin de disposer de ressources permettant un développement inclusif et «ne laissant personne de côté», a souligné Alicia Bárcena.
«Des années de croissance économique plus lente sont à venir et, si les efforts pour protéger le bien-être de la population ne sont pas maintenus, la pauvreté et l’inégalité dans la région augmenteront encore plus», a conclu la secrétaire exécutive de la CEPALC. (Article publié le 27 janvier 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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La Colombie, Haïti et le Honduras sont des points chauds de la faim dans la région
La Colombie – avec une forte migration en provenance du Venezuela voisin –, Haïti et le Honduras sont les trois pays d’Amérique latine où la situation d’insécurité alimentaire aiguë va s’aggraver entre février et mai de cette année, selon un rapport publié vendredi 28 janvier par le Programme alimentaire mondial (PAM).
L’impact économique de la pandémie de Covid-19, l’instabilité politique et sociale, la crise des migrations et des déplacements, l’insécurité et le manque de précipitations contribuent tous à l’insécurité alimentaire dans ces pays, selon le rapport «Focos del Hambre».
Le PAM a déclaré qu’au moins 43 millions de personnes ont un besoin urgent de nourriture dans le monde, dans 20 points chauds de la faim couvrant 24 pays, dont 16 en Afrique subsaharienne et presque tous ravagés par des conflits armés sanglants.
Cinq de ces points chauds se trouvent en Asie: l’Afghanistan, le Liban – qui a accueilli des centaines de milliers de réfugiés syriens –, le Myanmar, la Syrie et le Yémen, et les trois autres se trouvent en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Sur une échelle de un à cinq, entre l’alimentation adéquate et la famine, les pays comptant le plus grand nombre de personnes dans les situations graves de trois à cinq sont la République démocratique du Congo (25,9 millions), l’Afghanistan (22,8 millions), le Nigeria (18 millions), l’Ethiopie (16,8 millions) et le Yémen (16,1 millions).
En Haïti, 4,5 millions de personnes sont sans abri, et au Honduras, 3,3 millions.
En Colombie, on estime que 7,3 millions de personnes (sur une population de 50 millions) sont en situation d’insécurité alimentaire à un certain degré et ont besoin d’aide. Ce chiffre comprend 1,1 million du 1,8 million de migrant·e·s qui sont arrivés du Venezuela voisin au cours des sept dernières années.
Des pourcentages élevés de la population vénézuélienne migrante au Pérou et en Equateur sont également en situation d’insécurité alimentaire, selon le rapport du PAM, tout comme les personnes en transit d’Amérique du Sud et des Caraïbes vers le nord du continent.
Dans le cas colombien, selon le PAM, les causes résident dans les retards dans la mise en œuvre de l’accord de paix de 2016 entre le gouvernement et la guérilla des FARC, qui ont provoqué des violences et de nouveaux déplacements massifs, ainsi que dans les inégalités amplifiées par la pandémie, et l’inflation qui affecte le pouvoir d’achat des familles pauvres.
Pour remédier à ce problème, le rapport recommande des mesures telles que les transferts d’argent et l’aide alimentaire, tant pour les migrant·e·s vénézuéliens que pour les communautés d’accueil, la distribution d’intrants agricoles, la création de zones de production rapide d’aliments et les soins médicaux vétérinaires.
Dans le cas du Honduras, les faibles précipitations cumulées en 2021 en raison de pluies inférieures à la moyenne en octobre et novembre 2021, et la crise résultant de la pandémie, sont les deux principales causes de l’aggravation de l’insécurité alimentaire dans les mois à venir, en particulier dans le Corredor Seco du pays [frange du territoire qui traverse le Honduras, le Costa Rica, le Nicaragua, le Guatemala et le Salvador].
Alors que la production de maïs ne diminuerait que de 3% par rapport à la moyenne des cinq années précédentes, la réduction prévue de 60% de la production de sorgho affecterait les moyens de subsistance des agriculteurs.
En outre, selon la Banque mondiale, 32% des personnes employées ont perdu ou abandonné leur emploi en raison des perturbations dues à la pandémie.
Sur le plan politique, l’impasse au Congrès hondurien (avec deux directives contradictoires) et la méfiance généralisée à l’égard des institutions publiques constitueront un défi pour le nouveau gouvernement, inauguré jeudi 27 avec Xiomara Castro Sarmiento comme présidente, et entraveront ses politiques de lutte contre la pauvreté.
Le PAM recommande d’étendre la couverture et la qualité des programmes nationaux d’alimentation scolaire, de fournir une aide d’urgence aux populations les plus vulnérables, de stimuler les marchés locaux et de développer les transferts d’argent [remise d’argent par les émigré·e·s].
En Haïti, la crise économique, une succession de récoltes inférieures à la normale, l’instabilité sociopolitique et la violence des gangs exacerbent des niveaux de faim déjà alarmants, en particulier dans les départements du sud du pays.
Selon les chiffres des Nations unies, début février, quelque 4,3 millions de personnes auront besoin d’une aide alimentaire d’urgence, et de mars à juin, les perspectives s’aggraveront pour atteindre 4,6 millions d’Haïtiens dans ces conditions.
La dépréciation de la monnaie haïtienne et la hausse des prix des carburants et des matières premières vont encore éroder le pouvoir d’achat des familles, dont le panier alimentaire de base coûte 40% de plus qu’il y a un an, en raison de la hausse des prix des produits importés tels que l’huile végétale, la farine de maïs et le blé.
Pour Haïti, il est recommandé de distribuer de la nourriture, de mettre en œuvre des transferts d’argent et des intrants agricoles et d’élevage aux familles les plus nécessiteuses, et de réhabiliter les infrastructures agricoles communautaires touchées par le séisme, notamment les zones de stockage des semences, les systèmes de captage d’eau et d’irrigation. (Article publié le 28 janvier 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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