Par Amira Hass
La vallée de Jezreel s’étend sur 350 kilomètres carrés, soit un peu moins que la superficie de la bande de Gaza. La vallée de Jezreel abrite 40 000 Israéliens. Les 365 kilomètres carrés de Gaza abritent deux millions de Palestiniens. Beaucoup descendent de personnes nées à Ashkelon (al-Majdal Asqalan) et Ashdod (Isdud), villes situées juste au nord de Gaza, et dans les villages qui sont devenus des communautés juives près de la frontière de Gaza.
Comparons avec Israël. Il a une population de 9,3 millions d’habitants, y compris les colons de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et du plateau du Golan. En comptant le Golan et Jérusalem-Est, qui ont été conquis en 1967, Israël a une superficie de 22 000 kilomètres carrés. Si l’on ajoute à cela environ la moitié de la Cisjordanie occupée par les colons et leurs milices (l’armée ainsi que les extrémistes religieux nationalistes qui sont à l’avant-garde des colonies), on arrive à 25 000 kilomètres.
Ainsi, une population palestinienne équivalente à un cinquième de la population d’Israël vit sur un territoire dont la taille ne représente qu’un pour cent et demi.
Une autre statistique concernant la densité de population illustre à quel point cette situation est volatile. Les Israéliens vivent avec une densité de population de 372 personnes par kilomètre carré. A Gaza, la densité est de 5479 personnes par kilomètre carré, soit 15 fois plus. Cette situation n’est pas propice aux «relations de bon voisinage», pas plus que la surpopulation délibérée des villes palestiniennes en Israël.
Parlons maintenant de l’eau. En 1947, environ 80 000 Palestiniens vivaient dans les villes et villages qui sont devenus la bande de Gaza. Ils avaient à leur disposition un aquifère qui assurait 60 millions de mètres cubes d’eau par an. Cela suffisait également pour les 200 000 autres Palestiniens qui ont été expulsés vers Gaza en 1948 et sont devenus des réfugiés.
Aujourd’hui, ce seul aquifère, avec la même capacité, est censé fournir de l’eau à deux millions de personnes. Le surpompage a commencé il y a 35 ans, lorsqu’il n’y avait pas d’autre choix. Pourquoi? Parce qu’Israël refuse d’inclure la bande de Gaza dans le réseau d’économie de l’eau du pays et l’oblige à se contenter de ce que produit le segment de l’aquifère côtier qui se trouve sur son territoire, quelle que soit la taille de la population. Résultat: plus de 95% de l’eau de Gaza n’est pas potable et doit être purifiée des eaux usées et de l’eau de mer qui s’y infiltrent.
Plus de 800 000 Gazaouis, soit 43% de la population, ont moins de 14 ans. La tranche d’âge des 15-24 ans représente 21% de la population. Ces jeunes de 15 ans ont traversé quatre guerres, mais la plupart ne savent pas à quoi ressemble une colline. Israël ne les laisse pas sortir pour visiter les collines de Cisjordanie, et encore moins les montagnes de Galilée. Ils ne savent pas ce que c’est que de boire l’eau directement au robinet. Pour eux, l’eau potable, c’est ce qui se trouve dans les récipients que leur père transporte à la maison.
Soixante-quinze pour cent des habitants de Gaza sont des réfugiés originaires de villages et de villes qui se trouvent désormais en Israël. Israël peut renforcer les restrictions à leur mobilité, mais leur lien avec le reste de leur patrie ne diminue pas. Plus les conditions d’emprisonnement sont dures et strictes, plus l’habileté et la volonté de vivre des Gazaouis surprennent et inspirent.
Israël a réussi à faire en sorte que la plupart des Israéliens considèrent la bande de Gaza comme une enclave politique distincte. Le site web de la CIA la présente également comme un «pays» distinct. Les gouvernements du Hamas et de l’Autorité palestinienne ont parfois prêté main-forte à l’établissement de cette illusion.
Mais les frontières artificielles de Gaza imploseront inévitablement. Nous le voyons dans les eaux usées qui s’écoulent sans traitement de Gaza directement dans la mer, parce qu’Israël ne laisse pas entrer à Gaza le carburant ou les matières premières, sans lesquels les stations d’épuration ne peuvent pas fonctionner. Les eaux usées brutes ne reconnaissent cependant pas la frontière maritime et atteignent les plages d’Ashkelon.
La mémoire collective transcende également les frontières. Et le Hamas, surtout lorsqu’il opère en tant qu’Etat distinct, fait également voler en éclats la frontière avec ses roquettes audacieuses. Si nous n’ouvrons pas cette cage exiguë et ne libérons pas les personnes qui y sont emprisonnées à vie, le terrible fossé entre les conditions inhumaines dans lesquelles vivent les Palestiniens et leur volonté de vivre continuera à nous exploser au visage comme un barrage de roquettes. (Article publié sur le site du quotidien israélien Haaretz en date du 2 juin 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
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