Par notre correspondant
au Costa Rica
«Nous savons que la fin d’un dictateur est proche,
Lorsqu’il n’y a que des militaires dans la rue.»
Nelson Mandela
1.- Le Nicaragua se trouve dans une véritable impasse sociopolitique, car le régime n’est pas disposé à apporter une solution à la crise ni à respecter les accords auxquels il s’est engagé: libérer les prisonniers politiques, restaurer les libertés publiques et permettre le retour des exilé·e·s.
2.- Bien que toutes les options restent sur la table, l’effondrement économique avance et la précarité de la vie quotidienne est de plus en plus écrasante. Cependant, il n’y a pas encore eu d’explosion sociale qui permettrait à une deuxième vague de protestations de chasser Ortega-Murillo du pouvoir.
3.- Il y a certainement plusieurs facteurs qui expliquent pourquoi certains secteurs sociaux continuent à préférer vivre mal, à endurer la pluie battante, qu’à changer le système, c’est-à-dire à dégager Ortega-Murillo.
4.- Trois facteurs importants influencent une deuxième vague possible de protestations sociales: la répression généralisée; l’emprisonnement des prisonniers politiques et l’émigration forcée de milliers de Nicaraguayens et Nicaraguayennes.
5.- Historiquement, lorsque les conditions de vie d’un pays deviennent misérables et que la répression généralisée est développée par le régime, il y a des flux migratoires vers d’autres pays, principalement de la part de personnes disposant de plus de ressources en termes d’initiatives ou de préoccupations quant à leur sécurité, comparativement au «gros» de la population.
6.- En termes simples, le secteur social le plus conscient et le plus mobilisable s’identifie à l’opposition politique. Les opposants sont plus éduqués, mieux préparés et plus entreprenants que les paramilitaires.
7.- L’essentiel de cette émigration n’est pas constitué par les classes les plus démunies et les plus appauvries, mais par les «classes moyennes». Y compris certains secteurs peuvent appartenir à couche supérieure des classes subalternes. En d’autres termes, les couches au sein desquelles l’opposition a puisé le plus de forces ont dû s’exiler.
8.- Si tel est le cas, l’opposition au régime Ortega-Murillo a perdu, au cours de l’année écoulée, une centaine de milliers de dirigeant·e·s et de partisan·e·s qualifiées politiquement Dans les circonstances actuelles, elles auraient pu avoir un poids considérable pour diriger ou renforcer les mouvements de protestation qui, dans la rue, pourraient mettre Ortega-Murillo sur la voie d’un «départ».
9.- La stratégie du régime se résume dès lors: 1° destruction économique pour contraindre le grand capital à ressentir le besoin de négocier avec Ortega une solution afin d’éviter l’effondrement ; 2°obtenir qu’une partie importante du leadership social émigre vers d’autres pays dans l’attente d’une conjoncture offrant la possibilité de renverser le régime Ortega-Murillo.
10.- Un secteur important de ceux qui restent sont ceux qui ne veulent pas changer le système ou qui ne disposent pas de la volonté politique de ceux qui sont partis, ce qui explique, en partie, les énormes difficultés du mouvement social à trouver un écho à ses appels à la mobilisation.
11.- Le pouvoir de rassemblement des citoyens auto-convoqués reste important. Toutefois, comme il reste fragmenté dans les villes, les municipalités et les universités, il ne peut atteindre son objectif: créer une deuxième vague sociale de protestations contre le régime.
12.- Bien que «l’officialisme orteguiste» dispose aussi d’une base sociale clientélaire, le déclin en nombre de ses manifestations (organisées avec la structure étatique) révèle l’éloignement de ce qui fut sa base électorale, sous les effets de la gestion étatique désastreuse, de la répression et des sanctions.
13.- Pratiquement tous les économistes prévoient que le ralentissement ne va que s’approfondir. Au premier trimestre de 2019, par exemple, la production industrielle a chuté, le prix de l’essence a fortement augmenté et le chômage a augmenté.
14.- Le nombre de chômeurs/chômeuses, de sous-employé·e·s et de ceux/celles qui n’obtiennent que des emplois précaires a déjà atteint 70 % de la population active. La malnutrition et la pauvreté continuent de s’étendre. Le régime oublie que l’estomac est un mauvais conseiller.
15.- Au sein du gouvernement, ces 13 mois de crise sociopolitique ont servi, outre le fait de mettre en relief l’incompétence absolue de ses membres, à approfondir le centralisme politique aux mains d’Ortega-Murillo et à déclencher une répression plus résolue.
16.- Cette situation d’ensemble a conduit à une réflexion attentive dans les couloirs du pouvoir d’El Carmen [quartier de Managua où réside Ortega-Murillo] et parmi ceux qui ont la haute main sur les capitaux et richesses du parmi ceux qui ont la haute main sur les capitaux et richesses du pays: la nécessité de conclure un pacte entre les pouvoirs de fait pour que tout reste pareil.
17.- Sur la base de cette réflexion, la stratégie d’Ortega-Murillo va dans le sens d’une négociation directe avec les représentants des grandes entreprises afin d’éviter une dépression économique majeure aux conséquences incalculables.
18.- Pour ce faire, la direction orteguiste exige que le mouvement des personnes auto-convoquées (étudiants, paysans, mères des assassinés, mères des prisonniers, etc.) soit contrôlé et/ou coopté par les secteurs qui sont enclins et/ou favorables, à court terme, à un pacte avec le régime.
19.- Le régime sait que la plupart des négociateurs de l’opposition sont enclins à parvenir à un accord avant la fin mai 2019. Le problème est de trouver un moyen de le faire sans perdre la face devant «la population».
20.- Le grand capital, par expérience, sait que la logique du régime Ortega-Murillo se résume à un axe principal: appliquer une politique sans principes, s’enrichir sous la protection du pouvoir et négocier sans morale.
21.- Par conséquent, le doute des négociateurs du grand capital en vue de passer un accord politique et économique, est le suivant: ils ne savent pas si Ortega veut simplement gagner du temps, tromper, ou s’il est sincère, sous la pression de la contrainte d’ensemble.
22.- Chaque semaine, sans exception, Ortega ou certains de ses porte-parole donnent des signes, qui voisinent l’absurde et le ridicule, d’incompétences sur le terrain des «négociations»
23.- Dans le cas d’un accord entre les pouvoirs de fait, les bases du nouveau pacte politico-social impliqueraient la mise en place «d’un orteguisme sans Ortega». Autrement dit un scénario où l’argent et les richesses valent plus que la vie.
24.- Un tel arrangement qui implique, pour exister, un accord à résoudre les problèmes du grand capital serait un mauvais «compromis» pour la population du pays, puisque les fondements du conflit sociopolitique seraient maintenus.
25.- La corruption politique, avec ses scandales incessants et la mobilisation de centaines de personnes pour leurs droits démocratiques et l’égalité sociale, menacerait la stabilité d’un pacte entre le grand capital et le régime Ortega-Murillo.
26.- Les dysfonctionnements institutionnels, les nouvelles difficultés dans la vie quotidienne de toute la population, ainsi que le nouvel espoir de changer les choses vont une fois créer des conditions pour stimuler le mouvement social. Dès lors, le fil de la conscience historique, qui semblait brisé, sera à nouveau renoué.
27.– La plus grande «erreur» que commettrait le grand capital serait, de son point de vue, d’ignorer l’immense danger qu’impliquerait un pacte avec Ortega-Murillo sans les exigences minimales du mouvement social. Cette «erreur» de jugement (et de pratique) pourrait devenir une bombe à retardement politique et social pour une solution «d’orteguisme sans Ortega». Une «solution» défendue par des conseillers proches du «binôme» Ortega-Murillo», utilisant mensonges et désinformation, ou l’absence de prises en considération des analyses offertes par d’autres secteurs
28.- Le déni de la réalité et de ses perspectives les plus crédibles ou le rejet des scénarios possibles ne peuvent que conduire à une plus grande instabilité. Pour ce qui est de l’opposition, il est nécessaire d’avoir non seulement des accords larges et mais transparents et de la sorte d’acquérir la sympathie de tous les secteurs de la société nicaraguayenne, avec l’appui qui en découle, dans la perspective prioritaire de mettre fin à la dictature. (San José/Costa Rica, 7 mai 2019; traduction et édition par A l’Encontre)
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