Par Jaime Pastor
«Le PSOE ne communique que du haut vers le bas, il fonctionne comme courroie de transmission de l’Etat vers la société. De la sorte, un parti ne peut survivre. Il se transforme en nomenclature», affirmait le 30 octobre 1990 Jesús Ibáñez [1].
Alors même qu’il a été possible de vérifier à nouveau la ferme volonté de Rajoy de ne rien changer sur l’essentiel des politiques développées jusqu’à aujourd’hui, la majorité du groupe parlementaire socialiste, à l’exception de 15 de ses membres – parmi eux tous les députés du PSC [Parti socialiste catalan] – a fini par s’abstenir lors du vote d’investiture [comme président du gouvernement] d’un parti qualifié d’organisation criminelle par les tribunaux.
S’achève ainsi un recul en règle du PSOE face aux pressions de l’establishment et, comme conséquence, l’un des chapitres les plus honteux de la longue histoire de ce parti. Il convient de préciser, pour le moins, que la contribution apportée par ce parti au maintien au gouvernement d’un des partis les plus corrompus d’Europe [le Parti populaire] s’est faite sans le soutien de la majorité des militant·e·s du PSOE. En outre, cette investiture a été contestée dans les rues de nombreuses villes de tout l’Etat espagnol. A Madrid, la manifestation s’est terminée sur ce qui reste un lieu très symbolique: la Puerta del Sol. Sur cette place, les manifestant·e·s ont pu partager une même dénonciation du «coup de la mafia» et exiger à nouveau, ressaisissant ainsi l’esprit du 15 mai 2011, une «véritable démocratie». Un signe d’espoir, suite aux manifestations en défense de l’éducation publique de mercredi dernier [26 octobre], que cette nouvelle étape ne sera pas accompagnée de la «paix sociale» tant voulue par les partis du régime [PP-PSOE et Ciudadanos].
Sans doute l’élément le plus paradoxal de tout ce qui s’est produit au sein d’un PSOE faisant montre, comme l’ont encensé tous les médias du régime, d’un grand «sens de l’Etat» – c’est-à-dire en plaçant au premier plan l’alliance des forces «constitutionnalistes» pour sauver le régime contre l’opinion de la majorité des militant·e·s du parti lui-même – réside dans le fait que la direction golpiste [qui a renversé la direction de Pedro Sanchez] a provoqué une fracture interne profonde ainsi qu’une rupture de fait avec le PSC. Ainsi, le PSOE se ferme à toute possibilité de devenir à nouveau un parti de gouvernement à l’échelle de l’Etat. Ayant perdu sa crédibilité, réduit à un petit espace – ainsi que l’a reconnu le président de la Commission de gestion [l’organe de direction mis sur pied par les «golpistes»], Javier Fernández – et sans projet d’avenir capable de susciter l’enthousiasme, il ne lui reste plus qu’à tenter de survivre sur les parcelles institutionnelles qu’il contrôle encore.
En effet, si ce parti avait pu conserver jusqu’ici son statut de parti de gouvernement, en alternance avec un PP «modernisé» depuis 1996 [premier mandat de José Maria Aznar], il a mis brusquement et définitivement un terme à cette étape. Le coup interne du 1er octobre [destitution de la direction de P. Sanchez], au siège du parti à la rue Ferraz [Madrid], et son renoncement à tenter de former un gouvernement avec le soutien d’Unidos Podemos et l’abstention des forces indépendantistes catalanes, a amené l’actuelle direction du PSOE à indiquer très clairement que son rôle fondamental consistait à préserver la stabilité au régime, à obéir aux diktats de Bruxelles ainsi qu’à défendre fermement «l’unité de l’Espagne» face aux «anti-système» de Podemos et aux sécessionnistes catalans. C’est ce que l’on peut déduire des propos de Javier Fernández qui déclarait, le 9 octobre, au quotidien El País qu’«il s’agit maintenant d’opérer un atterrissage forcé sur le terrain du principe de réalité, lequel n’entre pas en syntonie avec le sentiment des militant·e·s les plus fervents».
Un «principe de réalité» identifié, comme nous l’avons vu, avec les grands pouvoirs économiques et médiatiques symbolisés, dans ce cas, par la fusion d’intérêts presque complète que d’anciens dirigeants du PSOE, Felipe González a leur tête, maintiennent avec le groupe Prisa [grand groupe qui contrôle plusieurs médias, dont El País] et leurs associés financiers.
Encore pire, le PSOE a également perdu sa crédibilité comme parti d’opposition au PP. La subordination face à Rajoy est difficilement évitable, quels que soient les efforts que réalise la nouvelle direction sociale-démocrate, lorsque le président du gouvernement désormais élu menacera en permanence de nouvelles élections si le PSOE ne l’aide pas à maintenir la «gouvernabilité».
A cela s’ajoute l’arme que Rajoy agitera chaque fois qu’il sera nécessaire d’empêcher des propositions débordant les limites budgétaires établies par Bruxelles: l’application de l’article 134.6 de la Constitution qui lui permet d’exercer un veto. Si cela ne devait pas suffire, la majorité du PP au Sénat est un élément supplémentaire tout comme le souvenir que les deux partis ont approuvé, en plein mois d’août 2011 [le gouvernement était encore aux mains du PSOE avec Zapatero comme président], une contre-réforme constitutionnelle qui imposa la soumission à la dettocratie. Cette contre-réforme a été, à juste titre, condamnée récemment par le Manifeste d’Oviedo, auquel ont souscrit de nombreux responsables municipaux de tout l’Etat.
Le PSOE ne pourra s’opposer à cette stratégie qu’au moyen d’accords avec Unidos Podemos, force politique contre laquelle l’actuelle Commission de gestion a cependant fait la démonstration de son hostilité manifeste, alors même que le gouvernement PSOE de plusieurs communautés autonomes dépend des suffrages de leurs députés. Cette voie étant bloquée, il ne sera pas facile au PSOE de trouver une marge suffisante lui permettant d’atténuer l’énorme usure dont il a souffert au cours du dernier mois, malgré l’énorme appui médiatique et institutionnel sur lequel il pourra compter. Il est aussi peu probable qu’aboutissent les efforts déployés par Pedro Sánchez – qui a récemment renoncé à son poste de député – ou par Josep Borrell [dirigeant historique du PSOE qui exigeait un congrès extraordinaire] pour se présenter comme une alternative capable de générer une dynamique permettant de reprendre un rôle d’opposition face au PP. Une alternative qui affronte la nomenklatura dirigée par Susana Díaz [qui est à la tête de la région autonome d’Andalousie], que cette dernière se présente ou non comme candidate à la présidence du PSOE. On ne peut donc espérer un mouvement semblable à celui qui s’est produit autour de Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne.
Le problème fondamental reste, ainsi que nous l’avons écrit dans d’autres articles, qu’un cycle historique de la social-démocratie a touché à sa fin. Les formations qui en sont héritières sont impuissantes même à mettre en place des politiques social-libérales face à un capitalisme européen lancé toujours plus vite sur la voie des contre-réformes et toujours moins compatible avec la démocratie, l’universalisation des droits sociaux fondamentaux ainsi qu’avec le maintien de la vie sur Terre. Quoi qu’il en soit, le débat portant sur des coupes budgétaires de 5,5 milliards d’euros ainsi que sur la privatisation de Bankia et de BMN [Banco Mare Nostrum] exigés par Bruxelles est déjà ouvert et constituera le premier test que le PSOE devra affronter.
A cela s’ajoutera rapidement le soutien aux mesures que Rajoy demandera face à la revendication de la majorité de la société catalane de la tenue d’un référendum sur l’indépendance. Suite à la rupture presque complète avec le PSC, la direction du PSOE, quelle qu’elle soit, résistera désormais avec difficulté à l’obligation de serrer les rangs au nom d’un «national-constitutionnalisme» dont on ne peut attendre plus que quelques promesses de révision du système de financement des communautés autonomes, du fait que les trois partis du régime ne semblent pas disposés à ouvrir la boîte de Pandore d’une réforme constitutionnelle.
Le défi devant lequel se trouve Unidos Podemos est donc énorme. Il lui revient d’exercer une opposition parlementaire ainsi que de contribuer à l’ouverture d’un nouveau cycle de protestations qui semble s’annoncer. Deux tâches qui ne sont en rien incompatibles et qui devront s’articuler non seulement comme réactions mais également de manière active. Plus exactement, qu’elles soient accompagnées de propositions qui tendront à préfigurer une politique – ainsi qu’une forme d’action – alternative face à la «triple alliance» [PP, PSOE, Ciudadanos], pour reprendre le terme de Pablo Iglesias. Nous nous trouvons non seulement devant une crise de gouvernabilité mais, surtout, une crise de régime loin d’être résolue, à plus forte raison lorsque les discours de Rajoy réaffirment uniquement la poursuite de ce qui a été fait jusqu’ici et que l’alternance est désormais épuisée.
Par conséquent, le dilemme est désormais le suivant: continuité [avec l’austérité, l’autoritarisme, etc.] ou Changement, avec une majuscule, c’est-à-dire une rupture démocratique. Tant que ce dilemme n’aura pas été résolu, restera l’hypothèse que quelqu’un «d’en haut» rappelle la formule d’un conservateur connu, Edmund Burke: «un Etat sans moyens pour réaliser des changements quelconques, manque également de moyens pour se maintenir». Dès lors, des réponses prétendument «de régénération» se présenteront auxquelles il faudra également répondre et qu’il faudra dépasser. (Article publié le 29 octobre 2016 sur le site VientoSur.info, traduction A l’Encontre)
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[1] Jesús Ibáñez 1924-1992, sociologue espagnol, emprisonné pendant plusieurs mois pour avoir manifesté sa solidarité avec les étudiants réprimés par le régime franquiste en 1956. Il sera membre du FLP (Front de libération populaire, créé en 1958, qui se dissout en 1969) durant la dictature. Puis il sera l’un des animateurs qui tenteront de réunir sur une même liste électorale les diverses formations de la gauche radicale, encore illégales, au début de la transition. (Réd. A l’Encontre)
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