France: “Une idée n’est convaincante que si elle est accaparée par des millions de gens”

Entretien avec Philippe Poutou

Philippe Poutou va tenir lundi soir son premier meeting de campagne devant les militants du NPA réunis à l’université d’été à Port-Leucate (Aude). Le parti s’est déchiré, après la défection d’Olivier Besancenot, sur les questions de stratégie vis à vis de l’union avec le Front de Gauche. Le candidat à la présidentielle dresse pour Libération.fr les grands axes du parti pour la campagne. Il évoque les dissensions internes et les difficultés de sa candidature.

Rien ne vous préparait à cette candidature il y a encore six mois, vous sentez-vous désormais armé pour affronter la campagne présidentielle?

Philippe Poutou: Les choses se mettent en place petit à petit. Le tout, c’est d’arriver à se mettre dans la peau du candidat. C’est le plus difficile pour moi et pour un parti comme le NPA. Il nous faut un candidat pour la présidentielle, mais en même temps ça ne colle pas avec le côté collectif du parti. Dans la personnalisation, il y a une contradiction avec l’identité même du NPA. Pour moi, m’imaginer comme le visage d’une campagne, c’est très difficile. J’ai accepté ce rôle là, mais ce ne sera pas une campagne autour de ma personne.

Le NPA est sorti divisé de sa dernière convention nationale. Qu’en est-il aujourd’hui?

Philippe Poutou: Avec cette université d’été, on sort un peu de ce climat de tension. L’ambiance se calme entre les différentes positions. Il y en a qui craignaient que la campagne soit sectaire contre Mélenchon. Ca ne sera pas le cas. On ne pouvait pas être avec lui, car on est en désaccord profond sur beaucoup de points. Par exemple, on ne pouvait pas soutenir l’intervention en Libye, ce n’était pas pour aider le peuple mais pour contrôler le processus de révolution. Mais Jean-Luc Mélenchon ne sera pas l’adversaire. Il a appelé à un débat, nous n’y sommes pas opposés. La discussion avec le Front de gauche c’est quelque chose qui est souhaitable, notamment en période de rentrée sociale chaude. En revanche, avec le PS ça ne sera pas possible, on ne voit même pas sur quoi on débattrait.

Avec la crise de l’été, quels vont être les axes de campagne pour la rentrée du NPA?

Philippe Poutou: Nous voulons mettre au cœur du débat la question centrale de l’annulation de la dette. C’est une dette illégitime, qui est le résultat d’une politique délibérément au service des plus riches construites au fur et à mesure des années. Cette annulation est le départ de tout. La dette sert à justifier les plans d’austérité. Tant qu’il faudra en payer les intérêts, les gouvernements vont geler les dépenses, réduire les déficits et donc bloquer les budgets sociaux.

Il y a aussi la question de l’audit. Il est important de savoir quel est le cheminement des capitaux. Mais ça doit être un audit public, pas un contrôle opéré par le privé. La transparence sur ces questions est nécessaire pour que les populations aient le contrôle.

Quelles seraient les conséquences de l’annulation de la dette?

Philippe Poutou: Les gens ont peur qu’une mesure aussi radicale entraîne des problèmes. On pose là la question de la capacité de l’Etat à prendre des mesures autoritaires. L’Etat en a les moyens. On se rappelle dans les périodes d’après-guerre qu’il y a eu des réquisitions, notamment contre les patrons collabos. Ça n’a pas foutu en l’air l’économie. On doit être capable de prendre des mesures de contrôle et d’expropriation. L’Etat doit intervenir contre les capitalistes. On nous dit tout le temps que si on fait ce choix-là, tout se casse la gueule. Mais de toute façon, tout se casse déjà la gueule. La crise c’est catastrophique. Et c’est parti pour s’aggraver.

Quelles seraient vos priorités pour la suite?

Philippe Poutou: L’argent qui est récupéré doit être investi dans des mesures sociales. Il faut un programme d’urgence, avec l’interdiction des licenciements, et l’augmentation des salaires et du niveau de vie. On chiffre cette augmentation à 300 euros de salaire net pour tout le monde. A terme, on veut établir un minimum de 1600 euros net par mois, en dessous duquel on ne peut pas vivre décemment. Il n’est plus question que les salariés continuent de payer cette crise. Si on augmente les salaires, si on embauche, peut-être qu’on sortira de la crise.

Que pensez-vous de la proposition de personnalités riches de payer plus d’impôts?

Philippe Poutou: C’est du vent. Ça ressemble à un calcul politique. On nous dit: «regardez les riches payent», donc tout le monde va payer. En plus on va leur prélever 200 millions d’euros, ce n’est rien par rapport au cadeau de deux milliards qu’on leur a fait il y a quatre mois. C’est la grosse blague de l’été mais celle-là ne nous fait pas rire. Taxer les riches ce n’est pas ça. On est juste en train de prendre ce qu’ils veulent bien donner.

Le NPA semble assez peu audible sur la crise, comment peut-il porter plus efficacement son message?

Philippe Poutou: La difficulté c’est qu’on a les idées, les arguments, les chiffres, mais il y a  un climat social dominé par la résignation. C’est flagrant dans les usines. Tout le monde est d’accord pour dire que le climat est pourri, mais personne ne pense que c’est possible de changer la donne. Il faut redonner de l’espoir aux gens. Ce qui serait bien, c’est qu’il y ait des luttes sociales pendant la campagne. Une idée n’est convaincante que si elle est accaparée par des millions de gens. On peut dire qu’il faut taxer les riches. Même Mélenchon, Aubry ou Hollande le disent. Ca ne coûte rien, c’est devenu à la mode. Mais ça sera différent le jour il y aura des millions de gens dans la rue qui diront: «oui, il faut taxer les riches!». Là ça aura de la gueule.

Au NPA, vous prenez souvent comme référence le mouvement des «indignés». Pourquoi?

Philippe Poutou: Ce qui se passe en Grèce ou en Espagne c’est enthousiasmant. Ça n’a pas marché chez nous à cause de l’échec de la mobilisation des retraites. On paye cher cette défaite de novembre dernier: le décalage qu’il y a pu avoir entre l’importance de la mobilisation et l’échec total au niveau des résultats a démoralisé les gens. Ça a renforcé l’idée qu’on ne peut pas faire grand chose.

Mais le mouvement des indignés a ses qualités et ses défauts. Sa force réside dans le côté «on y va et on se débarrasse de toute les conneries de partis etc.». Ils rejettent les structures, les banderoles. Pour l’instant, le mouvement a la pêche, mais à un moment, il va devoir se renforcer, se coordonner. L’avantage d’un parti c’est qu’il peut centraliser ou coordonner les discussions. Je ne dis pas qu’un parti est nécessaire, mais il faut un réseau militant, il faut qu’il y ait une structure qui se mette en place. Le problème des indignés c’est qu’à force de rejeter la structuration du mouvement, ils risquent de manquer de solutions. Mais tout reste possible, car ils possèdent une grande capacité à réinventer et à imaginer de nouvelles choses.
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Cet entretien est paru dans Libération.fr

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