Venezuela. Trois entretiens avant les élections législatives du 6 décembre 2015

Nicola Maduro
Nicolas Maduro

Par La Brecha (Montevideo)

La dégradation sévère de la situation économique est liée, le plus directement, à la chute du pétrole sur le marché mondial. D’autant plus que depuis 18 ans – élection de Chavez en 1998 – aucune initiative d’envergure n’a été prise pour réorienter la structure rentière de l’économie dans son ensemble. Certes le sabotage d’une couche bourgeoise joue un rôle, mais cela était plus que prévisible et la riposte doit être sociale, politique, démocratique et économique.

Les investissements dans les programmes sociaux se sont asséchés et les sommes pour importer de la nourriture (ce qui traduit le défaut d’une réforme agraire, certes complexe comme toutes les réformes agraires dans un pays de cette configuration) et d’autres produits ont été réduites relativement. Les réseaux de distribution des produits de base et de nourriture restent en grande partie aux mains de spéculateurs, plus d’une fois liés à des secteurs de la néo-bourgeoisie bolivarienne. Les moyens de détourner les prix «régulés» sont nombreux, ne serait-ce qu’en jouant la carte de produits «proches» (un type de riz, pas régulé, contre un riz régulé). Les prix s’envolent. Celui des œufs, qui tiennent une place importante dans la diète quotidienne (protéine), a augmenté de 200%, puis de 1000% entre début 2014 et octobre 2015. Dès la décision de fixer un prix régulé à 420 bolivars, producteurs et commerçants exercent une grève. Cela n’est qu’un exemple d’une économie en voie de dislocation en termes d’investissements, de production et de distribution (pénurie). En outre, face à l’échec du contrôle des changes, une mesure qui ne peut pas se prolonger fort longtemps sans un éventail d’options plus radicales, les distorsions se sont encore accrues et la politique de la «planche à billets» ne pouvait que pousser à une inflation galopante.

Dans ce climat de découragement des secteurs populaires, alimenté par l’étalage de la corruption et du marché noir généralisé, les élections de ce 6 décembre peuvent mettre fin à une phase du chavisme. Un déclin qui ne peut être mis, de manière complètement unilatérale, sur le dos des «pressions impérialistes». Un déclin qui exprime le contenu social et politique de ce bonapartisme sui generis dont le squelette militaro-politique est plus visible actuellement. (Rédaction A l’Encontre)

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«La seule chose qui intéresse ce gouvernement:
le pouvoir» 

Luis Fuenmayor, candidat pour le Movimiento al Socialismo, ancien recteur de l’Université centrale du Venezuela et ancien conseiller d’Hugo Chávez.

Pourquoi la volonté de changer le modèle rentier (rente pétrolière) n’a-t-elle pas existé au Venezuela?

Parce qu’il est plus aisé de tirer une matière première du sous-sol, de la traiter et de la vendre. Ce d’autant plus si les prix sur le marché de cette matière première sont élevés et qu’elle est indispensable pour faire tourner la machinerie industrielle mondiale. Il est bien plus facile de se consacrer à la vente de pétrole brut plutôt qu’à le transformer: les efforts en termes de formation ainsi que de recherche et de développement technologiques sont bien moindres.

Ce gouvernement n’est pas intéressé à faire cela, il n’a pas de projet pour le pays, ce qui l’intéresse exclusivement, c’est le pouvoir. Cela m’a coûté de devoir me rendre compte de cela. Ceux et celles qui l’ont soutenu, nous pensions qu’avec Chávez nous lancerions un programme de développement de l’industrie pétrolière. Nous nous sommes auto-illusionnés. Avec ce gouvernement, pseudo de gauche et prétendument anti-impérialiste, les rapports commerciaux restent les mêmes: les Etats-Unis sont le principal acheteur de pétrole.

Quelle est l’alternative?

Prenez le programme pétrolier de Leopoldo López [coordinateur de Voluntad Popular, condamné à 13 ans de prison en septembre 2015], de la droite, est identique à celui de ce gouvernement. Aucun des deux met en avant le développement pétrochimique, aucun des deux ne propose la construction de chantiers navals pour la constitution d’une flotte propre, ni que l’assurance et la réassurance du fret deviennent en mains vénézuéliennes. Ce domaine est actuellement pris en charge par des consortiums étrangers. Ce gouvernement négocie avec une autre bourgeoisie, avec d’autres entrepreneurs. Et il leur offre des avantages.

Vous critiquez également la présence de militaires au sein de ce gouvernement. Quelles sont leur influence et la participation au sein de ce dernier?

Lorsqu’ils prétendent qu’il s’agit d’un gouvernement civil-militaire, je réponds qu’il s’agit d’un gouvernement militaro-civil. Plus ou moins la moitié des postes exécutifs des ministères, des fondations, des entreprises d’Etat, nationales et régionales, est aux mains des militaires. La moitié des gouvernorats (des provinces) sont aux mains de militaires. Les militaires ne sont, en fait, pas plus efficaces que les civils, au contraire. En effet, leur manière de travailler est utile pour certaines institutions et non pour d’autres.

Chávez était militaire et c’est dans ce secteur qu’ils trouvaient son personnel. Il ne comprenait pas qu’un président ne peut commander à un ministre comme un général donne des ordres à un colonel. Chávez ne comprenait pas que quelqu’un puisse avoir une opinion différente de la sienne. La formation militaire a pour effet que l’on obéit même si celui qui commande à tort. On ne peut administrer ainsi le Ministère de la santé. Et ce ministère a été dirigé par des militaires.

Précisément, le gouvernement défend son administration dans le domaine des soins.

L’idée d’installer les dispensaires de soins primaires dans les quartiers urbains très pauvres est bonne. Au lieu d’être placés sous le contrôle de la mission médicale cubaine, comme c’est le cas actuellement, ils devraient être contrôlés par le Ministère de la santé vénézuélien. En outre, un système parallèle de formation des médecins a été créé, il porte le nom de «médecins complets communautaires», qui sont destinés en principe aux soins primaires. De ce système sortent des jeunes gens très mal préparés.

Je mets en doute cette formation parce que la formation de médecins doit être de type universitaire. Actuellement, ces médecins, qui étaient prévus pour les soins primaires, soignent dans les hôpitaux. L’université a réalisé des évaluations indépendantes et il apparaît qu’ils sont très mal formés. Ils devraient se consacrer aux soins primaires, prendre en charge les choses simples, élémentaires, et envoyer les autres cas aux organismes compétents.

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«Il y aura un vote punition»

Luis Remiro, dirigeant étudiant du parti d’opposition Primero Justicia. 

Image de la pénurie
Image de la pénurie

Le gouvernement affirme que l’opposition n’a pas d’agenda politique.

Je pourrais dire la même chose du chavisme. L’ensemble de la Mesa de Unidad Democrática [MUD, coalition de l’opposition] se propose de reprendre le système démocratique, parce qu’en ce moment même il n’y a pas d’équilibre entre les pouvoirs publics. Il y a une fusion du gouvernement et de l’Etat, ainsi qu’avec le parti au pouvoir. Lorsqu’il y a des privilèges, lorsque les chaînes de radio et de télévision sont utilisées pour mener une campagne politique, le Conseil national électoral ne prend pas position.

Les élections de ce dimanche [6 décembre 2015] ne sont pas uniquement des élections parlementaires. Ce qui est en jeu, c’est l’avenir du pays. Si le gouvernement conserve la majorité, il ne sera pas possible de contrôler les abus permanents du pouvoir.

Présentez-nous des propositions concrètes de la MUD.

Il y a deux projets macro. Le premier est celui d’une loi d’amnistie, car nous sommes en présence d’une situation de persécution politique, comme on le voit dans le cas de Leopoldo López ou d’Antonio Ledezma [maire métropolitain de Caracas, arrêté en février 2015]. La loi du premier emploi est la seconde proposition de l’opposition. L’appareil de communication du gouvernement se consacre à imposer son discours, affirmant que l’opposition n’offre rien. Mais les élections à venir ne sont pas destinées à présenter un programme législatif, tu peux dire aux gens que tu vas leur donner de l’or, cela n’a pas d’importance car ce qui va arriver, c’est un vote punition, et c’est précisément, à mon avis, ce que va payer le gouvernement lors de ces élections. Il y a trop de lassitude, trop d’usure.

La propagande électorale de l’opposition est presque absente. Comment cela s’explique-t-il?

Les coûts sont trop élevés et nous sommes en compétition avec l’Etat et toutes ses ressources de propagande. La stratégie de l’opposition consiste, en raison de l’absence d’espaces dans les médias de communication, à s’adresser directement à la communauté. Tous les partis qui forment la MUD font du porte à porte. Et, en ce moment, tous les sondages attribuent un avantage important à l’opposition, y compris les sondages utilisés par le chavisme.

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«La crise de représentation de l’opposition est grave» 

Rafael Uzcátegui, sociologue, coordinateur de l’ONG Provea [Programa Venezolano de Educación-Acción en Derechos Humanos].

Quelle est votre évaluation du scénario préélectoral?

Les dernières élections ont été présentées comme celles-ci, c’est-à-dire dans les termes suivants: tu es avec ou contre moi, la victoire ou la défaite finale, la continuité ou l’effondrement. Cela a eu pour effet que, pour nombre d’activistes sociaux qui travaillaient ensemble dans les décennies 1980 et 1990, il est désormais impossible qu’ils poursuivent ce type d’activité. La bipolarisation a rompu le tissu social, il y a une guerre civile symbolique de basse intensité à tous les niveaux: familial, social et culturel.

Quelle est votre évaluation des gouvernements chavistes?

Dans les moments de prospérité économique, le président Chávez avait lancé les missions sociales, initiatives que Provea, organisation en faveur des droits humains et pour l’éducation, salue toujours. Mais si l’on prend en compte des indicateurs sociaux antérieurs, entre 1958 et 1982, ils sont similaires à ceux de la meilleure époque de Chávez. Au cours de cette période, s’étaient réalisées la massification et la gratuité de l’éducation primaire, secondaire et universitaire; la réduction de l’analphabétisme; la construction d’un système hospitalier public.

Cela ne correspond pas au discours officiel.

Toute cette politique redistributive existait déjà au Venezuela. Chávez n’a pas inventé l’éducation gratuite. A partir de 1989, avec le Caracazo [soulèvement d’ampleur dans la capitale et les villes aux alentours de février 1989] et l’offensive néolibérale qui s’ensuivit [lancée par le social-démocrate Carlos Andrès Pérez, président de la IIe Internationale], nous avons traversé dix ans de crises et les indicateurs sociaux se sont effondrés.

C’est pour cela que je pense que Chávez s’inscrit plus dans la continuité que dans la rupture dans l’histoire vénézuélienne. Il a utilisé les ressources pétrolières pour générer des politiques d’assistance qui ont eu des résultats à court terme. En outre, ce n’est pas le premier qui a nationalisé le pétrole. En 1975, l’Etat avait pris le contrôle de l’industrie pétrolière et les multinationales quittèrent le pays. Une certaine relecture de l’histoire vénézuélienne, qui vise à l’édification du mythe bolivarien, est fort douteuse.

La délinquance est vue comme l’un des problèmes principaux du pays. Afin de lutter contre cette dernière, le gouvernement de Nicolas Maduro [en place depuis le 8 mars 2013] a lancé l’Operativo de Liberación del Pueblo. Comment l’analysez-vous?

Il s’agit d’une opération militaro-policière de sécurité publique qui à la main lourde. Elle a été approuvée le 15 juillet de cette année. Sous Chávez avait débuté le processus de réforme du modèle policier et une nouvelle politique avait été créée. Lorsque Maduro a accédé au pouvoir, la première chose faite fut de militariser à nouveau la sécurité publique. Avec Chávez, les rafles et les opérations brutales dans les quartiers populaires avaient pris fin; elles reviennent avec Maduro. L’argument est que les zones populaires sont tenues en otage par la criminalité organisée.

Que se passe-t-il avec l’opposition?

L’opposition fait face, en son sein, à une grave crise de représentation. Elle n’a pas compris ou ne veut pas comprendre ce qui s’est passé au Venezuela au cours des dernières années, ce qu’a signifié le phénomène Hugo Chávez pour ce pays. Le seul qui a changé est Henrique Capriles [gouverneur de l’Etat du Miranda et dirigeant du parti Primero Justicia], qui reconnaît qu’il y a eu des avancées sociales et que la Constitution bolivarienne est bonne. Chávez est un produit légitime de la culture vénézuélienne, de laquelle nous faisons tous partie. (Entretiens réalisés pour brecha.com, le 4 décembre 2015. Traduction A l’Encontre)

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