Lorsque l’année 2014 a commencé, deux grands événements étaient à l’agenda du pays: la Coupe du monde et les élections présidentielle et législatives d’octobre. Ces événements se situaient dans le cadre d’une nouvelle conjoncture ouverte par les journées de mobilisation de juin 2013. Elles avaient mis en évidence, déjà à l’époque, un pays polarisé et divisé, ne croyant plus aux institutions traditionnelles et ayant une claire conscience du fait que le chemin de l’action directe était une voie meilleure pour faire valoir ses protestations et revendications.
L’année 2014 qui se termine a-t-elle, au travers de ces grands événements, résolu ou seulement atténué les profondes contradictions et revendications avancées de manière explosive, même si certes peu organisée, en 2013? De loin pas. Tout au contraire, le pays se trouve plus polarisé et divisé encore.
Même le poids de la bataille électorale au second semestre 2014 et la nouvelle victoire de Dilma serviraient pour illustrer cette situation, bien que de manière assez tronquée et contradictoire. La polarisation électorale entre les grandes candidatures du système (Dilma Rousseff pour le Parti des travailleurs-PT et Aecio Neves pour le Parti de la social-démocratie brésilienne-PSDB) n’a pas permis de mettre en évidence la profondeur des inégalités sociales. De plus, des haines de classe sont apparues dans la société et la rhétorique électorale pétiste a eu, finalement, recours à un discours de gauche et de classe pour mobiliser les militants et les forces progressistes face à la menace électorale «toucane» (du PSDB).
Le début de la mise en place du gouvernement (composé de multiples partis répondant aux exigences des marchés financiers et de l’ajustement structurel) et les premières mesures prises ont sufi pour voir que nous nous trouvions face à une nouvelle escroquerie. La post-polarisation électorale et le choc de la réalité ont ainsi fait apparaître beaucoup plus de convergences que de divergences entre les pétistes et les «toucans».
Rappelez-vous aussi que face à la question de la corruption liée à Petrobras, le PT n’a pas été le seul à faire silence. Les toucans à São Paulo ont caché jusqu’à la fermeture des bureaux de vote la gravité de la crise ayant trait à la gestion de l’eau et la profonde incurie propre au modèle «privatiseur» concernant la gestion de l’eau.
Un modèle en fin de course
Le problème de fond qui se trouve à la racine de l’instabilité sociale au Brésil est l’épuisement du modèle appliqué dans le pays: un type de développementalisme (desarrollismo) libéral, basé sur un partenariat Etat/grandes entreprises privées et sur une politique d’expansion du crédit. Dans un pays régi par des taux d’intérêt élevés, ce modèle aboutit à un endettement de grande ampleur dans la société et provoque une récession sur le marché interne.
En résumé: il n’y a rien à parier sur un développementalisme (même dans ce modèle prédateur et privatiseur) qui se trouve placé sous la dépendance du marché financier qui, par exemple, absorbe le budget de l’Union sous l’effet du paiement des intérêts et des amortissements de la dette publique.
Le nouveau méga-scandale dans la relation Petrobras/entreprises privées est un cas d’école pour montrer les méandres de ce modèle de «développement» et la manière dont les «partenariats» public-privé (PPP) fonctionnent. Et le fait que ce soit le PT qui une fois de plus soit impliqué dans une «affaire» louche du capitalisme brésilien n’étonne plus personne.
Ce fut plus que le 7 à 1
S’il est certain que c’est sur le terrain du sport qu’a eu lieu la grande «vexation» pendant le mois de la Coupe du monde, avec l’échec humiliant de la sélection nationale [Brésil-Allemagne 1 à 7], le contexte de la Coupe a aussi été plus largement le révélateur des contradictions et de l’épuisement du modèle: d’innombrables chantiers sont jusqu’à aujourd’hui inachevés, des promesses d’amélioration de la mobilité urbaine dans les «villes-sièges» n’ont pas été tenues et certains stades se retrouvent avec des montagnes de dettes publiques offerts à des privés (ce qui n’est plus d’une grande utilité après la Coupe).
Autour de tout cela, nous avons assisté au premier semestre 2014 à d’innombrables luttes sociales, avec des grèves et des occupations. S’il est certain que l’échec de la grève des employés du métro de São Paulo juste avant la Coupe et l’immense appareil de répression mis en place ont empêché de grandes manifestations durant la Coupe, l’année se termine avec le retour des sans-toit dans la rue et des manifestations contre le manque d’eau, ce qui donne des signaux sur ce qui pourra survenir dans les deux prochaines années, années déjà annoncées par le gouvernement comme étant une période d’ajustement durable.
Quand nous parlons d’un pays plus polarisé ou divisé, nous parlons aussi d’un moment où la droite officielle s’est renforcée, que ce soit sous la forme de la renaissance de l’alternative «toucane», sous la forme de la diffusion d’idées préconçues et haineuses, de type antipopulaire. Cela se retrouve aussi dans la composition d’un Congrès national plus réactionnaire, ce dernier point étant sans doute l’un des résultats de cette conjoncture.
Mais rien d’une ambiance de coup d’Etat toutefois [allusion au thème d’un coup d’Etat en cas de victoire de Dilma]. En dépit de l’agitation un brin stérile de certains secteurs pétistes et exception faite de secteurs très minoritaires, les grands partis et les leaders de la droite traditionnelle, les forces armées et les grands groupes capitalistes apprécient la gestion et la stabilité du régime démocratique.
Il est indéniable que la contribution des gouvernements PT successifs ne fut pas mince pour permettre ce renforcement de la droite parce que le PT permet à une grande partie de la droite brésilienne de vivre avec lui au sein de son gouvernement et en conservant sa base sociale d’appui. Au final, l’appréciation selon laquelle le Congrès est plus conservateur fait consensus. Ce qui est incroyable, c’est que le gouvernement du PT n’a pas perdu la majorité et il ne l’a pas perdue parce que la grande partie de la députation qui représente l’ordre, l’agronégoce, l’homophobie et particulièrement les entrepreneurs appuie le gouvernement fédéral. C’est aussi simple que cela.
Et malheureusement, aux yeux de millions de jeunes et de travailleurs et de travailleuses, ce PT au pouvoir, même s’il est catastrophique, fait partie du système. Et le nouveau grand scandale de Petrobras, avant même le début du nouveau gouvernement Dilma, apporte une contribution inestimable au renforcement des alternatives de droite.
On retiendra tout de même que sur le terrain électoral, où prévaut l’absence de débats sur des projets, il est revenu au PSOL [Parti du Socialisme et de la Liberté, avec sa candidate Luciana Genro] de représenter un vote cohérent tenant compte des revendications de la jeunesse, dénonçant les oppressions et mettant en avant la question de la mobilité urbaine. Même si c’est de manière minoritaire, on ne peut expliquer l’augmentation sensible de la votation du PSOL sans les journées de juin 2013.
Le troisième tour des rues et des revendications populaires
Le titre de cet article illustre la principale conclusion de cette analyse. Son fondement réside dans l’appréciation selon laquelle les élections n’ont pas répondu aux revendications et aux voix qui se sont exprimées dans les rues en juin 2013.
Le nouveau scandale Petrobras-entreprises fragilise passablement le gouvernement de Dilma, aux prises également avec une économie qui stagne [les prévisions officielles pour 2015 situent la croissance du PIB entre 0,5 et 0,8%] et avec la perspective de devoir recourir aux remèdes néolibéraux dans la politique économique. Rien ne peut être plus clair concernant la disposition du nouveau gouvernement que la déclaration de la présidente lors d’un événement du PT où elle a dit: «L’ajustement est nécessaire pour la gouvernabilité.»
Cela signifie que le gouvernement qui est sorti des urnes est un gouvernement encore plus prisonnier que ne l’est le PMDB des marchés financiers, des alliances avec un parlement plus conservateur et d’un gouvernement en copropriété avec le capital.
De l’autre côté, un Congrès qui a 50% de ses parlementaires élus financés par des entreprises n’est pas exactement un modèle de légitimité dans cette époque de crise des systèmes de représentation. Comme ne l’est pas non plus l’opposition «toucane», qui même si elle a vécu une renaissance dans les urnes, fait aussi partie de la copropriété du modèle en étant à la tête de gouvernements agressifs dans les Etats de l’Union et s’opposant frontalement aux revendications populaires, comme c’est le cas à São Paulo.
C’est ainsi que se termine l’année 2014, avec des perspectives d’ajustement et des attaques contre les droits au programme de 2015.
De la part des mouvements sociaux, des secteurs progressistes indépendants et de la gauche socialiste, il ne peut y avoir de trêve. Il faut faire des pas en direction d’un front large, avec une plate-forme de défense des droits, de réformes populaires, une plate-forme qui inclue une réforme politique ouvrant la porte à l’idée de démocratie directe et de participation populaire. C’est le chemin à prendre pour répondre aux aspirations exprimées lors des journées de juin et, qui sait, redescendre dans la rue en 2015 pour empêcher les ajustements d’austérité des gouvernements pétistes et «toucans».
Cela serait le véritable troisième tour dont le pays a besoin. (Traduit par A l’Encontre, publié sur le site Correio da Cidadania, Fernando Silva est journaliste et secrétaire général du PSOL)
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