Syrie: les médecins visés par la répression

Hôpital de fortune à Deir Ezzor (Médecins sans frontières)
Hôpital de fortune à Deir Ezzor (Médecins sans frontières)

Par Hassan Hassan

Trois semaines après le massacre perpétré dans la ville syrienne de Deraya le 27 août 2012, les habitants ont fait une découverte horrible: 33 cadavres avaient été jetés au fond d’un puits, dans une ferme des environs.

Apparemment les victimes avaient été poussées dans le puits les mains attachées derrière le dos. On y a ensuite jeté des explosifs qu’on a fait sauter. Plus tard, des dépouilles ont été transportées dans l’hôpital local par un habitant. L’histoire de la souffrance de ces gens m’a été relatée par un médecin syrien qui a récemment quitté le pays, Anwar Herata. Spécialiste en orthopédie à l’Hôpital national de Deraya depuis le début du soulèvement, le Dr Herata fournit un des rares récits de première main des événements sanglants qui se sont déroulés dans cette ville. Son récit est confirmé par des vidéos et d’autres rapports faits par des activistes et des journalistes dans la région.

Il semble qu’environ 1’000 personnes aient été tuées dans cette ville stratégique à moins de 10 kilomètres de Damas. En octobre 2012, des militants ont rapporté que 100 cadavres de personnes sommairement exécutées avaient été trouvés dans l’hôpital.

Lors d’un récent entretien, le Dr Herata a rapporté que, la veille du début du massacre, des véhicules militaires et des troupes étaient arrivés dans la ville. Les forces de sécurité avaient commencé à contrôler des cartes d’identité, et si les détenteurs venaient de l’extérieur de la ville, ils étaient renvoyés le long de l’autoroute. Du personnel de l’hôpital a également été renvoyé. Puis l’hôpital a été fermé. Certains pensent que pendant la tuerie le bâtiment a été utilisé par des tireurs embusqués.

«C’est le lendemain que le massacre a eu lieu. A la seule mosquée de Solaiman Al-Dairani, 122 personnes ont été tuées,s après que des habitants s’y soient réfugiés pour tenter d’échapper au pilonnage», raconte le Dr. Herata.

Mais Deraya avait déjà connu des meurtres auparavant. Pendant les premiers mois du soulèvement, l’Hôpital national de Deraya recevait six à huit patients grièvement blessés par balles presque chaque vendredi [journées de manifestations pacifiques] ainsi qu’un ou deux autres jours par semaine. Le Dr Herata m’a dit qu’il s’agissait «de blessures par balles à la tête ou qui avaient pénétré le thorax. La plupart de ces patients mourraient ou étaient repris par les forces de sécurité

On apportait les victimes à l’hôpital dans des véhicules civils. En effet, les ambulances n’avaient pas le droit de transférer des patients en provenance de régions contestataires. Si les victimes survivaient, elles étaient reprises par les forces de sécurité pour subir les pires affronts – parfois même avant que leur état médical ne se soit amélioré.

Le Dr Herata se souvient en particulier d’une victime, Mohammed Al Dabbas, un militant de Deraya qui avait été touché par balle dans la poitrine et l’épaule lors d’une manifestation. Il a été traîné de la salle des urgences alors qu’il était encore sous anesthésie. D’après le médecin, M. Al Dabbas était recherché par le régime depuis cinq mois à cause de son militantisme. Son crime? Avoir placé le drapeau des révolutionnaires sur le bâtiment municipal et participé à des manifestations.

Selon le récit du Dr Herata : «Les forces de sécurité l’ont traîné de la salle des urgences tout en jurant et en injuriant les médecins pour avoir tenté de le soigner. Ils l’ont amené à l’hôpital militaire, qui n’est, en fait, qu’un cimetière pour des protestataires blessés».

Les horreurs quotidiennes dont a été témoin le Dr Anwar Herata dans l’hôpital soulignent non seulement l’extrême violence du régime, mais aussi la nature brutale de ses affidés. Mais elles mettent également en évidence la situation invivable dans laquelle se trouvent beaucoup de ceux qui travaillent encore dans les institutions gouvernementales du pays.

Même si nombreux de ses collègues comprennent le soulèvement et ont de la sympathie pour les protestataires, le Dr Herata explique qu’ils doivent cacher ces sentiments s’ils ne veulent pas risquer d’être dénoncés. Certains des médecins sont en effet des partisans du régime. Ils interrogent ceux de leurs collègues qui essaient d’apporter des soins aux protestataires blessés. «On leur répondait que c’était notre travail» a-t-il ajouté.

Il dit qu’un de ses amis qui travaillait à l’hôpital Al Moujtahid à Damas a été tué parce que les forces de sécurité le suspectaient d’avoir fourni des pansements aux hôpitaux de campagne. Des pansements portant le sigle de l’hôpital avaient en effet été trouvés lors d’un raid contre un hôpital de campagne et les forces de sécurité ont fait une enquête pour savoir qui, dans la région travaillait, pour Al Moujtahid. «Il a été abattu sans qu’il y ait une enquête, alors qu’il n’avait aucun lien avec des hôpitaux de campagne» raconte le Dr Herata.

A une autre occasion, deux membres du personnel de sécurité sont venus à l’hôpital depuis un check point voisin pour être traités pour la grippe. Un des soldats a exigé qu’on fournisse davantage de médicaments à celui qui l’accompagnait, et lorsque le médecin a refusé de les lui fournir sans avoir examiné le patient, l’officier l’a averti de ne pas «prendre la grosse tête». Comme le médecin a insisté, l’officier a appelé son supérieur et six soldats sont venus à l’hôpital et ont enlevé le médecin ainsi qu’un de ses collègues qui a essayé de l’aider.

Le Dr Herata a expliqué que ce contexte crée un climat de peur: des professionnels de la santé sont en train de quitter le pays alors même qu’on a terriblement besoin d’eux. Ceux qui restent sont soumis à une surveillance particulière de la part des forces du régime. Haidar Ali Al Fandi, un médecin que j’ai connu au cours de mes études universitaires à Damas, a été tué dans la capitale provinciale de Deir Ezzor, en septembre 2012, après que des forces de sécurité aient fait une descente chez lui. Il a été abattu parce qu’il avait transformé son logement en un hôpital de campagne.

Les professionnels de la santé en Syrie sont sous pression quoi qu’ils fassent: s’ils restent ils sont menacés, s’ils partent ils sont ostracisés. Une catastrophe sanitaire menace le pays. Il est primordial que les médecins aient la possibilité de se former ou de poursuivre leur formation. Il faudrait au moins que les réfugiés syriens des pays voisins puissent faire appel à leurs services pendant que durera la crise syrienne. On devrait s’efforcer d’établir des liens entre les médecins qui ont fui les violences et leurs compatriotes dans les camps à proximité des frontières. Peut-être le Dr Herata pourra-t-il un jour aider les Syriens sur le plan médical. En attendant, le mieux qu’il puisse faire et de faire connaître les horreurs syriennes dont il se souvient. (Traduction A l’Encontre ; article mis en ligne le 13 décembre 2012, par le site Jadaliyya dans sa revue de presse; l’article date du 10 décembre 2012).

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*