Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI, et Lula da Silva: deux destins de la social-démocratie
L’année au cours de laquelle les scrupules ont pris des vacances
Fernando Silva *
La grève de la faim de Mgr Luiz Cappio contre le «détournement» du fleuve São Francisco [voir sur ce site les articles des 16 décembre et 21 décembre 2007] symbolise ce qu’a été l’année 2007 sur la scène politique: une profonde alliance entre le gouvernement Lula et les intérêts du grand capital et les grandes opérations commerciales, ainsi qu’une arrogance et une absence de scrupules sans limite en ce qui concerne les revendications et les droits des mouvements sociaux et populaires.
L’illusionnisme qui peut être entretenu autour des politiques sociales compensatoires et de la stabilité économique (rendu facile par la marée de la croissance mondiale des quatre dernières années, mais qui donne des signes d’arrivée brutale à sa fin) n’est pas suffisant pour ne pas nous laisser entrevoir les orientations générales.
L’approfondissement d’une politique économique de subordination extraordinaire aux intérêts du capital financier, la remise de l’infrastructure et des réserves naturelles du pays au capital privé par la voie du PAC [Programme d’Accélération de la Croissance], le projet d’avancement sauvage de l’agrobusiness à travers l’éthanol [voir divers article sur ce site et le dossier du numéro 1 de la revue La brèche-Carré rouge, qui peut être commandée sur ce site], la criminalisation des mouvements sociaux et du droit de grève et les diverses tentatives de retirer des droits ont été les points centraux de l’agenda véritable du gouvernement Lula et, il est bon de le dire, des gouvernements au niveau des différents Etats et des municipalités contrôlées par le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB).
Et comble du cynisme, c’est tout récemment que Gilberto Carvalho [proche conseiller de Lula et impliqué dans divers scandales] vient d’être reconduit à la présidence du PT [Parti des Travailleurs]. Pour les pontes du gouvernement et pour ce parti, il n’est pas important que l’un des coûts de l’éthanol soit la situation de travail honteuse de 1,2 millions de coupeurs de canne dans le pays, ni qu’il existe des gouvernements pétistes [adjectif formé sur le sigle «PT»] aussi lamentables et moralement corrompus que ceux de Ana Júlia de Vacsoncelos Carepa (gouverneur du Para) et Jacques Wagner (gouverneur de Bahia). Ce n’est pas par hasard que la corruption et les dénonciations fréquentes touchant des «hauts dignitaires» de la République et du Sénat aient fait partie de l’ «agenda 2007».
Mais pour le bien de notre propre santé mentale, nous arrêterons d’évoquer et d’énumérer toute l’impudence et l’impunité qui ont eu cours pendant cette année. Il suffit pour clore cette liste de citer l’approbation récente de la DRU [1] jusqu'en 2011, un épisode qui illustre à merveille également une année de gouvernement Lula et explicite encore mieux le caractère burlesque de l’opposition tucano-démocrate. Oui, nous avons là un véritable coup porté à la santé publique, puisque cette mesure permet au gouvernement de continuer à détourner 20% des ressources de l’Union (de la Sécurité Sociale et de l’Education en particulier) pour le paiement de la dette publique. Ces ressources seront détournées à hauteur de R$ 86 milliards de reais [environ 51 milliards] environ pour l’année 2008 seulement.
Les «nouvelles» impasses dans la gauche socialiste
Mais au cours de l’année 2007, il s’est également produit une reprise des luttes et de la résistance sociale face à ce programme et à ces conduites infâmes.
Au cours du premier semestre particulièrement, lorsque divers secteurs sociaux de la classe ouvrière et des mouvements populaires se sont mobilisés autour d’une plate-forme de défense des droits, qui a permis que se produise en mars 2007 une rencontre unitaire de grande ampleur, une journée où se sont rencontrés 6 mille militants afin de préparer une action commune le 23 mai 2007.
En tant que phénomène faisant partie de ce processus, il faut remarquer qu’il y a une nouvelle génération dans le mouvement étudiant universitaire, une jeunesse qui est assez combative et également très critique, et qui de manière générale remet profondément en question les pratiques et les stratégies qui ont été charriées dans la conduite de la plus grande partie de la gauche et de ses représentants politiques et syndicaux.
C’est à partir de cela que nous entrons dans la réflexion finale de cette année.
Le discours politique et moral du PT et du gouvernement Lula a mis fin à un cycle dans la gauche brésilienne et, par-dessus tout, cela a posé le défi de la reconstruction d’un front solide de résistance entre tous les secteurs qui comprennent la nature de l’actuel gouvernement et les impasses auquel celui-ci conduit le pays et la majorité de sa population.
Mais même en considérant que nous sommes au commencement d’une nouvelle ère historique, les pas effectués jusqu’ici ont été extrêmement timides.
Les obstacles qui se trouvent placés devant cette gauche large et combative, qui a été capable de réaliser effectivement des marches comme celle du 24 octobre et des journées comme celle du premier semestre, sont déjà visibles.
Il y a des secteurs qui continuent à développer l’illusion de pouvoir réchauffer une stratégie d’arrivée au pouvoir par la voie institutionnelle et il y en a d’autres qui maintiennent une routine et une pratique dans les mouvements syndicaux et sociaux.
Le peu de réflexion sur les erreurs du passé aggrave la distance existant entre une gauche certes combative et son implantation dans le peuple, là où elle pourrait offrir et reformater une alternative de masse socialiste.
Le problème, c’est que le temps joue contre nous. L’agenda prédateur du capitalisme impérialiste continuera à toute vitesse, et il n’existe pas d’espoir dans le contexte des modèles actuels, moins encore dans des gouvernements lâches tels que celui de Lula, qui est attelé aux intérêts du grand capital et n’est «courageux» que lorsqu’il s’agit de décrier les gestes et les attitudes de gens de l’envergure morale d’un Mgr Luiz Cappio.
Nous avons en notre faveur une marée positive en Amérique Latine, liée au processus de rupture avec le modèle néolibéral.
C’est pour cela qu’au Brésil également, les partis, les syndicats et les mouvements sociaux de la gauche combative se doivent de créer des conditions et des espaces leur permettant réellement d’instaurer un débat sur la stratégie et qui parte de l’envie de travailler à la construction d’un front unique solide d’action et de résistance.
Le Brésil a besoin plus que jamais d’un projet de rupture anti-capitaliste, qui rompe avec les anciennes erreurs qui ont conduit le PT et la CUT [Centrale Unique des Travailleurs] à être ce qu’ils sont aujourd’hui. La classe ouvrière, la jeunesse et les secteurs les plus marginalisés du peuple ne méritent pas de vivre d’autres années semblables à cette année 2007. (Traduction A l’Encontre)
* Fernando Silva est journaliste, membre de la Direction Nationale du PSOL [Parti du Socialisme et de la Liberté] et du conseil éditorial de la revue Debate Socialista.
1. La DRU est une mesure législative votée sur l’initiative du gouvernement Lula qui permet de déroger à l’obligation constitutionnelle d’affecter une part déterminée des recettes fiscales à des services publics essentiels.
(27 décembre 2007)
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