France

Marée, flux et reflux

Vincent Présumey

Nous publions ci-dessous une contribution écrite «à chaud» par Vincent Présumey pour le Bulletin Le Militant.

Nous nous sommes efforcés de donner à nos lectrices et lecteurs, depuis le début septembre 2010, une information régulière sur les développements des luttes sociales en France.

Nous avons déjà présenté sur ce site des articles de V. Présumey. La contribution que vous trouverez ci-dessous n’est pas complète. Un chapitre concernant les activités du groupe lié au Bulletin Le Militant n’ayant pas une importance pour un lectorat qui n’est pas partie prenante d’activités militantes en France. Dans ce chapitre, il y est, entre autres, expliqué la pertinence d’une perspective générale de «manifestation nationale à Paris, face à l’Assemblée». Nous en exposons ici l’argument clé: «Pour nous, c'est une proposition sérieuse, car il s'agit de gagner, et parce qu'elle correspond à ce qui se passe dans le pays: la majorité sociale et Sarkozy sont l'une face à l'autre; dressés l'une contre l'autre, sauf que le second a le pouvoir, et que la première n'a justement pas cette organisation, cette centralisation, qui est la dernière condition de sa victoire.»

A cela s’ajoute la présentation de mots d’ordre politiques tels que: «Dehors Sarkozy; Dehors l'assemblée UMP; Elections générales immédiates.»

A la suite de l’article «Marée, flux et reflux», nous reproduisons un reportage envoyé, le 29 octobre 2010, par V. Présumey portant sur la lutte du Sitcom (Syndicat Intercommunal de Traitement des Ordures Ménagères) Nord-Allier (Auvergne).

Ce reportage donne une idée des caractéristiques des mobilisations locales qui, dans le flux d’«informations», «disparaissent». Car ladite information est concentrée sur quelques traits des «mobilisations» centrales et aussi sur Chérèque. Le dirigeant de la CFDT est devenu une vedette du «petit écran» depuis sa prise de position publique contre le mouvement social et son extension. Voir à ce propos le premier article placé sur ce site; article ayant trait à une circulaire de la CFDT et intitulé: «Que prépare la direction de la CFDT ?». Il a été publié le 26 octobre 2010. (Rédaction)

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Le mouvement social:
• constatant le caractère très lointain, surtout pour celles et ceux qui sont en grève, des dates de journées d'action fixées par l'Intersyndicale [la structure réunissant l’essentiel des organisations syndicales, de la CFDT à la CGT en passant par Solidaires] – le jeudi 28 octobre, après le vote final de la loi Sarkozy – Woerth par députés et sénateurs, puis le samedi 6 novembre;
• constatant l'absence de mots d'ordre centralisateurs permettant de s'unifier tous ensemble contre le pouvoir, contre l'ennemi n° 1 de la société et mandataire du seul MEDEF [organisation du patronat français]: Sarkozy;
• subissant en outre les coups de la police et des médias,
est entré dans une phase de reflux.

Nous l'avons écrit, ce n'était pas une explosion, mais une marée [voir sur ce site l’article de V. Présumey publié le 27 octobre 2010]. Et le reflux présent fait partie de la marée et n'est pas le retour au calme silencieux d'un lendemain d'explosion qui n'aurait pas atteint sa cible.

Pour un reflux, tout de même, c'est un beau reflux: 2 millions de manifestants le 28 octobre [un tiers de moins, selon les chiffres syndicaux] !

Néanmoins, partout des grévistes qui décident de continuer jusqu'à telle ou telle date, pour affirmer leur dignité et affirmer la volonté et la cohésion de leur classe, contre un pouvoir sans légitimité ni majorité.

Honneur aux grévistes du Centre de tri des ordures ménagères d'Ivry sur Seine.

C’est le plus grand centre de traitement d'Europe. Les grévistes ont décidé de poursuivre leur grève jusqu'au mardi 2 novembre 2010, pour les retraites, pour les salaires, pour la dignité ouvrière, et avec ce message implicite à l'Intersyndicale: si vous ne nous aviez pas renvoyés aux calendes grecques, on n'en serait pas là

Voici, ci-dessous, le Message explicite envoyé à l'Intersyndicale, celui de l'AG (assemblée générale) interprofessionnelle du Havre:

«L'Assemblée Générale interprofessionnelle de l’agglomération du Havre soutenue par les instances locales CGT-CFDT-Solidaires-FSU de l’agglomération Havraise, constate la permanence de la mobilisation et l’ampleur du soutien populaire. Elle demande à l’Intersyndicale nationale d’inviter lors de sa réunion du 4 novembre des délégations représentatives des AG de grévistes et de la base mobilisée dans les villes, afin de porter des propositions d’actions à mettre en place et un calendrier de mobilisation jusqu’au retrait de la loi.» (151 pour et 3 abstentions, diffusé dans le n° 14 du bulletin intitulé Le Havre de grève, souligné par nous: V.P).

Nous soulignons l'importance de cette prise de position: elle indique la direction qu'il fallait prendre en matière de démocratie dans les luttes et d'organisation de l'action. Aucun doute là-dessus:
• un appel à la grève générale tous ensemble, pas pour une éternité, mais pour quelques jours, était entendu [par les travailleurs et travailleuses] et victorieux;
• un appel à la centralisation contre Sarkozy, permis par la grève tous ensemble, en manifestation nationale centrale, serait encore parfaitement possible et serait victorieux;
• l'organisation de la lutte par des assemblées générales dans les entreprises et les lieux de travail, déléguant leurs représentant·e·s et faisant cette fois-ci des intersyndicales les points de centralisation de la volonté ouvrière, c'est la leçon tirée au Havre, c'est la leçon tirée par ces grévistes et militant·e·s qui ont organisé piquets et équipes mobiles sur la zone portuaire et industrielle. C'est la leçon qu'il faudra mettre en pratique au plus vite quand le flux suivra le reflux.

Les travailleurs des raffineries et d'autres secteurs qui reprennent le travail sont amers, mais fiers et ils ne s'estiment pas battus. Il faut être très clair et très précis sur ce que signifie exactement ce sentiment.

Il ne signifie pas du tout que la stratégie de l'Intersyndicale fut la bonne et qu'elle a permis de «retourner l'opinion» et de renforcer le syndicalisme.

Une stratégie pour gagner était et reste possible: ce n'est pas celle qui a été suivie, et si elle ne l'a pas été, c'est parce que les travailleurs et travailleuses n'ont pas eu le moyen que normalement des syndicats devraient leur donner, puisqu'ils les ont construits pour ça: contrôler leur propre action pour aller jusqu'à la victoire.

Mais si nous ne sommes pas battus, c'est parce que, justement, nous avons conscience que la victoire était possible et peut donc l'être à nouveau.

Ce résultat ne vient pas des directions quand bien même vont-elles essayer de se l'attribuer. «L'union grandissante des travailleurs», comme le disait Marx, s'est renforcée et c'est pour cela, uniquement pour cela, qu'il n'y a pas défaite et que le reflux, sur la nature précise duquel nous allons revenir, peut redevenir un flux. […]

Fleuve, ruisseaux et delta

En même temps que la recherche de la centralisation contre Sarkozy demeure la question centrale, et dans le même processus, le «reflux» du mouvement est aussi un approfondissement, une extension, une diversification, laquelle n'est nullement contradictoire au besoin d'unité et de centralisation, mais en découle.

Ainsi, on lira – ci-après — la façon dont les travailleurs du Sictom Nord-Allier, partis en grève sur les retraites, ont élaboré la revendication d'une prime de 100 euros. Et, ils ont – avec l'aide de l'équipe mobile intersyndicale et malgré une intervention policière — imposé un rapport de force à leur direction pour des négociations.

Le bulletin spécial diffusé dans la CGT, intitulé Mobilisations au quotidien, donne plusieurs exemples de victoires revendicatives locales et partielles qui sont autant de sous-produits du mouvement général:
• annulation du licenciement de la déléguée syndicale du casino de Eu (Seine-Maritime);
• transformation des temps partiels en temps pleins, prime semestrielle de 150 euros, quelques jours de repos supplémentaires dans l'entreprise de transport du Val d'Oise Géobus;
• 80 embauches en CDI (contrat à durée indéterminée) à Pochet-du-Courval (parfumerie);
• 2% de hausse des salaires chez Pousser dans les Ardennes» • 100 euros d'augmentation chez Actebis (logistique, Val d'Oise).

Mais ce ne sont pas «des luttes», ce ne sont pas «des mobilisations», c'est à chaque fois et partout le résultat de LA lutte, de LA mobilisation, de LA grève: c'est uniquement la poussée vers la grève générale qui a provoqué cette vague de conflits économiques locaux. Ils en sont le prolongement à la manière d'un fleuve qui se divise en petits ruisseaux dans son delta, petits ruisseaux qui aspirent déjà à se rassembler à nouveau.

Ces processus ont été décrits, il y a longtemps déjà, en 1906, dans un beau livre: Grève de masse, parti et syndicat, de Rosa Luxembourg.

Il n'y a pas de séparation entre luttes économiques locales et lutte gréviste, politique d'ensemble. Le caractère de poussée vers la grève générale contre Sarkozy a été nié par les dirigeants des syndicats et des partis de gauche (même Lutte Ouvrière n'a jamais avancé le mot d'ordre de «retrait» du projet Sarkozy-Woerth, pour ne rien dire de la grève générale !).

Et c'est précisément pour cela que nous n'avons toujours pas gagné sur la revendication syndicale principale: le maintien du droit au départ en retraite à 60 ans et à une retraite à taux plein à 65 ans.

De la même façon, nier que les nombreuses luttes boîte par boîte qu'a allumées la grande montée commune en soient la suite directe, avec un contenu politique certain d'affirmation de la dignité ouvrière, d'exigence générale de hausse des salaires (de même que l'enjeu des retraites est un enjeu salarial), ce serait diminuer les nombreuses chances de succès.

Au Centre de tri d'Yvry sur Seine, comme dans les Sictom [Syndicat Intercommunal de Collecte et de traitement des Ordures Ménagères] de Sète, Toulouse, Nord-Allier, il est parfaitement clair aux ouvriers que leur affirmation comme groupe, qui se syndique, fait des AG, bloque les entrées et sorties de camions, obtient des primes et des discussions sur les salaires, est une contribution au combat d'ensemble pour les retraites et contre Sarkozy.

C'est pourquoi, il est et demeure parfaitement possible, en tant que tel, d'étendre les luttes locales et de réaliser une manifestation centrale contre Sarkozy, unissant les mille et uns ruisseaux nés de la poussée vers la grève générale.

«Chaque grande action commence avec la reconnaissance de ce qui est» (Ferdinand Lassalle). De ce point de vue, nous sommes plutôt à l'aube qu'au crépuscule. Des millions commencent à reconnaître ce qui est:
• Sarkozy est minoritaire et illégitime, la majorité sociale ne veut ni de lui ni de sa politique;
• la grève est possible même dans des PME désertifiées au point de vue syndical quand il y a une volonté, un combat commun et un soutien;
• et le plus important: la victoire est possible, mais on ne peut commencer à aller de l'avant, à limiter les dégâts, si l'on craint de faire tomber Sarkozy et d'en finir avec le capitalisme.

Du même coup, les discussions s'intensifient sur les promesses des uns et des autres, sur une alternative à Sarkozy. Le PS promet s'il revient au pouvoir de rétablir le droit au départ à 60 ans, mais c'est la question du nombre d'annuit&eac