France «Encore une fois, où va la France ?» Vincent Présumey * Les événements français soulèvent de l’inquiétude dans les médias capitalistes du monde entier, et espoir et intérêt de la part des exploité·e·s, du mouvement ouvrier et socialiste, comme le montrent par exemple les manifestations de solidarité de l’Union Marocaine du Travail ou de la centrale syndicale brésilienne Conlutas, auxquels sont sensibles les militants français. Particulièrement en Europe, après les luttes menées en Grèce et en Espagne contre les plans d’austérité, qui ont été des relatifs échecs, et alors que la classe ouvrière britannique cherche la voie du renouveau de son combat, les événements français captent l’attention. Que ce soit pour les condamner dans le cas des médias capitalistes dominants, que ce soit pour s’en réjouir et espérer, ces événements sont souvent présentés comme fulgurants: grèves de masse soudaines, manifestations puissantes, affrontements dans les rues, au point que dans la grande presse anglo-saxonne par exemple, on raconte un peu n’importe quoi sur l’insécurité et le danger pour les touristes en France ! La première chose que doivent savoir nos camarades des autres pays, et qui peut servir de point de départ à une analyse de la situation présente en France, c’est que, vu de l’intérieur, il n’en est pas ainsi. Sur la longue durée et le piège des analogies C’est au contraire une lutte de longue durée, pénible, hésitante, lente, mais qui n’a pas cessé depuis des semaines et des semaines de monter progressivement, de s’étendre et de s’approfondir, que nous menons et que nous vivons, bien que nous ne l’ayons pas choisi ainsi et que les militants ouvriers, les syndicalistes combatifs et les révolutionnaires en France auraient évidemment, depuis le début, préféré une déferlante puissante et rapide, pour en découdre avec le pouvoir et le patronat. Et ils subissent la fatigue et la tension de cette lenteur et de cette puissance combinées l‘une à l‘autre. Il nous faut donc analyser et comprendre ce caractère lent, ses forces et ses faiblesses. Un autre point doit être souligné. Quand on fait une guerre, on pense toujours d’abord dans les cadres de la précédente. C’est ainsi que les généraux de 1940, surtout en France d’ailleurs, se croyaient souvent en 1914. Il en va de même aujourd’hui, où les couches actives dans la lutte – à l’exception essentielle de la jeunesse lycéenne – revivent leurs expériences des grèves et manifestations de masse de 1995, de 2003 et de 2006, avec des espoirs similaires – les cheminots vont-ils faire une grève majoritaire de longue durée comme en 95 ? – et des inquiétudes analogues – quand la CFDT va-t-elle se retirer du mouvement comme en 2003 ? Or, les cheminots n’ont aucune envie de refaire 95, et la direction de la CFDT est pour l’instant très à l’aise, calée derrière celle de la CGT qui joue le rôle principal, j’y reviendrai. Bref, l’histoire ne se répète pas, comme l’indique aussi le fait que c’est dans des dizaines, et maintenant des centaines, de petites et moyennes entreprises, que se multiplient les débrayages. Certes, ce mouvement s’inscrit dans la suite des grandes poussées de lutte sociale qu’a connues la France depuis 1995, mais par-delà 1995 c’est à 1968 qu’il tend la main, ainsi que les commentateurs et autres sociologues le soulignent depuis début octobre. Encore faut-il comprendre que s’il tend la main à 68, cette mère de toutes les batailles dans notre mouvement ouvrier, cette plus puissante des grèves générales, c’est parce qu’il se situe de plain-pied dans la nouvelle période ouverte par la crise, depuis 2008. C’est cela qui en fait l’importance et la signification internationales, au même titre par exemple que les grèves de masse en Asie (Chine, Bangladesh, Cambodge…) de l’année 2010. Le «fatalisme» initial Jamais, en effet, ce mouvement n’aurait été ce qu’il est s’il n’avait été que la suite des mobilisations de 1995 et de 2003 en défense des retraites. Rappelons qu’en 1993 a commencé la réduction massive du montant des retraites des salarié·e·s du privé, les grèves de 1995 ayant seulement réussi à empêcher l’application immédiate de mesures similaires aux salariés du public, qui a vraiment commencé en 2003. Depuis 2003, la loi Fillon (devenu depuis l’actuel premier ministre de Sarkozy) a instauré une sorte d’échelle mobile du nombre d’années (on dit «annuités») nécessaires pour avoir sa retraite: au motif que l’espérance de vie augmente, il a été décidé de faire augmenter progressivement ce nombre d’années. Au total, en France, il est passé de 37,5 à 41 ans aujourd’hui et devrait encore s’allonger, alors que beaucoup de salariés, notamment parmi les femmes, n’ont pas pu travailler autant d’années, ce qui les condamne à des retraites de misère. Du point de vue revendicatif, 2003 a été la défaite majeure, complétée par les atteintes aux régimes particuliers des cheminots, traminots, électriciens et gaziers fin 2007. De sorte qu’au printemps 2010, l’ensemble des travailleurs français pensait qu’en matière de retraite «c’est plié», qu’en jouant sur le nombre d’annuités on pourra toujours les condamner soit à travailler toujours plus longtemps, soit à végéter dans la pauvreté et la précarité. Ils ont donc accueilli, jusqu’à fin juin 2010, les appels de «l'intersyndicale» à la mobilisation contre le projet préparé par Sarkozy et son ministre du travail Eric Woerth, avec le plus total scepticisme. Cela d’autant plus que ces mobilisations n’étaient pas appelées pour le «retrait» de ce projet, mais pour «l'améliorer» ou en atténuer les mauvais côtés. Et, elles ne remettaient pas en cause la précédente loi Fillon de 2003, suffisante en elle-même pour allonger indéfiniment le nombre d’annuités. Un point explicitement approuvé par les dirigeants du PS et de la CFDT: pourquoi «défendre la retraite à 60 ans» quand l’augmentation du nombre d’annuités pour avoir une retraite convenable est déjà en train de vider de tout contenu le droit à partir à 60 ans ? «Le mal fait en 2003» La conscience plus ou moins claire de ces données explique l’apparent «fatalisme» qui prévalait jusqu’à fin juin. Le discours officiel selon lequel la hausse de l’espérance de vie oblige à retarder le départ en retraite, que l’on entend dans tous les grands pays capitalistes, est évidemment pipé. Il ne tient compte ni de la hausse de la productivité du travail, ni bien sûr de la répartition des bénéfices entre profits et salaires, ni du fait que les travailleurs «actifs» n’entretiennent pas que les retraité·e·s, mais aussi les enfants, les jeunes en formation, les personnes au foyer et les chômeurs, ni de cet autre fait que la hausse de l’espérance de vie est en partie liée justement au droit à partir en retraite pas trop tard, et que cette espérance de vie a cessé depuis quelques années d’augmenter. Le «fatalisme» apparent de la masse ne s’explique pas principalement par le poids important de la propagande martelée par les médias sur la soi-disant «contrainte démographique», mais surtout par le sentiment, tout à fait justifié, que le mal a déjà été fait en matière de retraites depuis 2003, et par la perception que les appels «unitaires» étaient des appels pour la forme. Mais cet apparent «fatalisme» était associé à une révolte latente contre les atteintes au droit au temps de chacune et de chacun: la date de départ en retraite et le montant des retraites ne sont pas séparables du combat pour avoir du temps réellement utile pour soi et pour les autres, et non pas du temps pour le travail salarié, du temps à l’échelle de toute la vie comme au niveau de la journée de travail et des périodes hebdomadaires, mensuelles, saisonnières ou annuelles de travail. De plus, en dehors du temps de travail proprement dit, le «temps libre» l’est de moins en moins, soumis à la pression du travail, ou de la recherche d’un emploi. Une révolte diffuse contre ces conditions, aggravées par la crise économique, habite la société et est plus forte dans la jeunesse, qui découvre qu’on la condamne au travail salarié inintéressant pour vivre tout en lui refusant le droit au travail, et même que Sarkozy veut mettre les vieux au travail, qui ne le veulent pas, à la place des jeunes, qui en auraient besoin pour vivre… L’impulsion donnée par la crise au sommet Ce qui a modifié la disposition des plus larges masses à se mobiliser sur ce sujet, malgré ce scepticisme justifié qui n’a jamais disparu, ce sont des impulsions qui sont venues… de Sarkozy lui-même, du sommet de l'État. En clair, il s’est cru trop fort. Malgré la victoire de la gauche aux élections régionales du printemps 2010, avec son grand conseiller aux «affaires sociales» Raymond Soubie, ami des dirigeants de la CGT et de la CFDT et réputé comme grand «expert en relations sociales» et praticien du «dialogue social», le président Sarkozy se sentait fort de la faiblesse des luttes sociales et de son alliance avec les dirigeants des principales confédérations ouvrières. Il avait gagné, grâce à elles, contre les cheminots fin 2007, il avait signé avec elles et le patronat des accords sur la représentativité syndicale et le «dialogue social» au printemps 2008. Il avait résisté aux grandes journées d’action appelées, à des intervalles délibérément très espacés, contre la vague de licenciements dus à la crise, en 2009, qui avaient finalement découragé les salariés. Particulièrement décisif, ici, est le lien entre le pouvoir et la direction de la CGT, la principale centrale syndicale française et celle qui regroupe encore les secteurs ouvriers traditionnels les plus combatifs, organisation vers laquelle les masses non syndiquées se dirigent traditionnellement le plus en cas de mobilisation, comme c’est actuellement le cas. Sans que tous ses militants s’en rendent compte et au grand dam de ses secteurs les plus combatifs, la direction de la CGT est engagée dans un «deal» qui se veut durable avec celle de la CFDT, centrale d’origine chrétienne, traditionnellement beaucoup plus modérée, au détriment de la troisième confédération, FO (dont le sigle complet est CGT-FO), réformiste voire timorée mais déstabilisée par l’alliance CGT-CFDT-patronat-Sarkozy sur le «dialogue social» et la représentativité, d’où des accès de radicalité. La «menace de la dette publique» et le «coup de boutoir» Sarkozy a donc décidé de pousser le bouchon plus loin en faisant ce qu’il n’avait pas besoin de faire d‘un point de vue strictement inhérent à la «réforme des retraites» : piétiner ouvertement le droit au départ à 60 ans, une conquête sociale de 1981, symbolisant la prétendue tendance à la «paresse» de la gauche et du peuple syndiqué. Il a proclamé bruyamment qu’il allait en finir avec ce symbole, désigné comme cause de faiblesse économique et incarnation de toutes les conquêtes sociales. Cela alors que pendant sa campagne présidentielle victorieuse de 2007, il avait déclaré «Je ne serai pas le président qui mettra en cause la retraite à 60 ans, tel n’est pas mon mandat». Ce choix politique, stratégique, ne s’explique pas parce que Sarkozy serait un paranoïaque méchant, ce qui pourrait bien être le cas par ailleurs. Ce choix découle directement de la menace diffuse depuis la crise européenne de la dette publique au printemps 2010 de voir les agences de notation financière dégrader la note de la France. Notons qu’aucune force de gauche et aucun syndicat ne met en cause le principe même du «remboursement» de cette dette prétendument publique, qui a énormément augmenté, en Europe comme en Amérique, depuis le sauvetage des banques fin 2008. Faire passer une énième «réforme des retraites» avec quelques journées d’action syndicales convenues et bien orchestrées, était possible, mais pas suffisant pour Sarkozy. Il lui fallait acquérir le rapport de force d’une victoire à la Thatcher, de façon à mettre en œuvre un plan de réduction de la prétendue «dette publique» à la hauteur de ce qui se passe en Grèce ou en Espagne, et ainsi, sous la pression de ses amis des marchés financiers, faire exemple pour toute l‘Europe. D’où cette aggravation de la «réforme» avec la suppression du droit à partir à 60 ans, reporté à 62 ans, et le droit à une retraite à taux plein reporté de 65 à 67 ans, ce qui, avec la hausse du nombre d’annuités, ferait de la France l’un des pays en réalité les plus «durs» d’Europe en la matière. Cette «réforme» devenait donc le bélier du capital, le coup de boutoir de Sarkozy pour, à sa suite, détruire le reste des droits sociaux, des services publics et du droit du travail. Ce message a été clairement perçu par la classe salariale. Alors que toutes les journées d’action précédentes s’étaient limitées au rituel ordinaire, sans participation massive, les masses sont revenues soudain à celle du 24 juin. FO avait de son côté organisé une manifestation nationale de ses militants le 15 juin, et n’avait pu empêcher beaucoup de ses sections syndicales de rejoindre le mouvement du 24 juin. Autant de signaux de ce que la classe ouvrière, sentant le danger, commençait à se regrouper à nouveau. Parallèlement à ce regroupement par en bas, la crise au sommet de l'État, récurrente dans le régime présidentiel français, s’est aggravée en raison des «affaires». Deux affaires d'État rongent la présidence. L’une, bien connue, est l’affaire d’abord appelée Bettencourt, puis Woerth-Bettencourt, et finalement Sarkozy-Woerth-Bettencourt. Au départ un conflit d’héritage dans l’une des premières familles capitalistes du pays, portant sur des dizaines de milliards d’euros, qui devient une affaire d'État lorsque l’un des clans en présence rend public des documents attestant des liens financiers entre cette famille et l’UMP [parti présidentiel], et son trésorier, Woerth, et le président Sarkozy. Ce conflit étale au grand jour un univers de faveurs, pots de vin et renvois d’ascenseurs entre puissants. Il se trouve que le maillon central de la corruption est le sieur Woerth, l’arrogant ministre du travail qui incarne le «dossier des retraites» et mène la «concertation» avec les dirigeants syndicaux, qu’il consulte ostensiblement. L’autre affaire, moins connue, est celle de l’attentat de Karachi fin 2001, qui renvoie au financement des clans anti-chiraquiens et pro-sarkozystes dans le parti UMP et dans l’appareil d'État. Le phénomène des «affaires» est un facteur actif de la lutte des classes: il manifeste et accentue l’isolement et la crise de l’exécutif. De sorte qu’en entrant dans les congés de l’été 2010, la situation à la rentrée semblait menaçante pour Sarkozy. Il a entrepris une grande diversion sur les thèmes sécuritaires, exploitant à fond divers incidents amplifiés par des provocations policières, et dénonçant un groupe ethnique en tant que tel, les Roms, contre lesquels une campagne d’expulsions fut engagée. La mise en avant de thèmes ouvertement racistes dans le discours et dans les actes gouvernementaux constitue le franchissement d’une étape. Elle annonce le caractère ultra-réactionnaire et les tendances violemment antidémocratiques du régime sarkozien, et annonce ce que serait une France où il aurait triomphé. Mais dans l’immédiat, ces discours et ces mesures ont accentué encore plus l’isolement, le discrédit et la honte entourant le pouvoir exécutif français. Du 7 septembre au 6 octobre: l’Intersyndicale maîtresse du calendrier Chacun savait donc que la rentrée sociale, scolaire et politique début septembre serait «à haut risque». Néanmoins, l’idée que quelques journées d’action occuperaient et fatigueraient la base syndicale, après quoi la «réforme» serait votée et Sarkozy opérerait un remaniement gouvernemental annoncé de longue date, reprenant totalement la main sur la situation, prévalait dans les états-majors et les salles de rédaction, dont elle était au fond le souhait le plus cher. Les choses ne se sont pas passées ainsi, mais il s’en est fallu d’assez peu. Une nouvelle «journée d’action», appelée cette fois-ci également par FO, donc par tous les syndicats (CGT, CFDT, FO, FSU, Solidaires, UNSA, CFTC, CGC), avait été rendue inévitable à la rentrée, Sarkozy inscrivant sa loi contre les retraites à l’ordre-du-jour parlementaire. Elle eut lieu le 7 septembre et fut, cette fois, un déferlement: 3 millions de manifestants (malgré des conditions météo franchement hostiles ce jour-là dans le sud de la France), c’était la puissance sociale du salariat, se situant immédiatement à un haut niveau, même par rapport aux plus grandes mobilisations effectuées depuis 1995. Le vote de la loi à l’Assemblée nationale étant fixé le 15 septembre, la logique de tout syndicalisme indépendant du pouvoir, qui cherche simplement à gagner sur ses revendications en pesant sur le rapport de force, aurait été d’appeler à la grève et à une manifestation centrale ce jour-là. Au contraire, l’intersyndicale appelait immédiatement à une nouvelle journée… le 23 septembre, disant en somme à Sarkozy: «Vas-y, fait donc voter ta loi». Si, à l’échelle de l’ensemble du salariat, le moral des troupes avait alors évolué comme on l’a vu dans l’enseignement public, la mobilisation serait retombée: les enseignants, sceptiques et conscients des difficultés, ont fait grève de manière de plus en plus faible depuis le 7 septembre, en dehors de couches militantes organisées et de quelques établissements. Mais globalement, on a pu d’abord constater que le 15 septembre, jour du vote, eurent lieu de nombreuses initiatives et manifestations, prouvant ce qu’il aurait été possible de faire ce jour-là, et finalement le 23 septembre a vu des manifestations tout à fait comparables à celles du 7 septembre. Les «troupes» enseignantes et fonctionnaires y ayant été moins nombreuses, cela veut dire que des salariés du privé, des femmes, des secteurs beaucoup moins syndiqués, commençaient à entrer en mouvement. Plus encore: le 23 septembre, des assemblées générales (AG) se tenaient dans certaines entreprises et établissements – alors que, sur la majeure partie du territoire, les responsables CGT «dans la ligne» et l’Intersyndicale s’opposaient à la tenue d’AG. Ces AG décidaient de reconduire la grève sur la revendication de retrait du projet Woerth-Sarkozy, ce terme clair de «retrait» ne figurant toujours pas – et n’ayant jamais figuré à ce jour – dans les appels et textes intersyndicaux nationaux, ni dans ceux de la CGT (officiellement, seuls les confédérations ou fédérations FO, FSU et Solidaires exigent le retrait du projet !). Ces assemblées générales décidant de reconduire la grève n’ont pas eu lieu dans les secteurs où, en référence à l’histoire des années 1995-2006, on pouvait les attendre, mais dans les raffineries (avec des syndicats CGT et Solidaires) et parmi les personnels municipaux des écoles maternelles, les personnels des cantines scolaires et les éboueurs à Marseille (avec des syndicats CGT et FO), avec des tendances immédiates à s’étendre parmi les dockers et les marins. La grève et en «découdre avec le pouvoir» Qu’est-ce qu’une grève qui, dés qu’elle démarre, est partagée par des ouvriers des raffineries, des dockers, des «dames» employées municipales ou fonctionnaires territoriales, sur la même revendication, sinon une grève dont le contenu est général, et constitue par elle-même le début du regroupement des salarié·e·s comme classe, non pas dans des grèves séparées les uns des autres qu’on les appelle ou non «grèves reconductibles», mais dans la grève générale, dont le contenu, qui la définit comme «LA» grève, comme générale, n’est pas son extension initiale, mais son sens politique: en découdre avec le pouvoir, poser la question du pouvoir ? Car, réfléchissons encore, ces travailleurs qui, quelques mois auparavant, affirmaient dans les conversations que «sur les retraites, c’est plié», «on s’est déjà fait avoir», «on ne fera jamais changer Sarkozy» peuvent-ils croire une minute le discours des dirigeants syndicaux selon lequel par des journées d’action successives, on pourrait faire reculer Sarkozy ? Eux sont beaucoup plus réalistes que ce discours des dirigeants. S’ils entrent en mouvement, c’est pour le retrait du projet, certes, mais cela n’a pas d’autre sens que celui de vaincre, de défaire, et finalement de chasser Sarkozy. C’est l’explication générale de la classe salariale avec l’exécutif, avec le pouvoir du capital. Le lendemain, vendredi 24 septembre, l’Intersyndicale annonçait que ses prochains appels portaient sur des manifestations sans grève, un samedi, le 2 octobre, puis sur une nouvelle journée d’action avec «des grèves» (les dirigeants ne disent jamais «LA» grève), le mardi 12 octobre, à une date très éloignée donc au vu de la mobilisation montante, se situant à un moment où l’on savait que la discussion de la «réforme» au Sénat serait très avancée. Si le premier effet de cette nouvelle fut de faire reprendre le travail dans les raffineries, les travailleurs souhaitant ménager leurs forces, elle ne mit toutefois pas fin à leur volonté. Au contraire, le sentiment qu’à chaque fois, comme dans une grande revue des troupes, des couches nouvelles affluaient, toujours plus nombreuses, construisait une sorte de confiance sur le mode «on va avoir Sarkozy». La grève diminuait puis repartait de plus belle chez les agents des écoles et des cantines et les éboueurs marseillais. Dans toute la France, des engueulades sérieuses opposaient des cadres intermédiaires, des délégués chevronnés, de la CGT à leurs dirigeants «dans la ligne de Montreuil» [où réside le siège de la CGT, dans la périphérie immédiate de Paris], particulièrement nerveux et irrités de voir leurs propres syndicats commencer à exprimer la volonté de réunir les ouvriers et les employés sur les entreprises, les services et les chantiers. Les longs, longs jours allant vers le 12 octobre en passant par le 2 octobre allaient-ils voir «le mammouth se fatiguer», les secteurs prêts à la grève se décourager ? S’il devait s’avérer que non, alors il était clair que le 12 octobre pouvait être la journée de tous les dangers pour le pouvoir comme pour les militants décidés à combattre, car que faire après ? Il s’est avéré que non. Le tournant Dans cette lutte pour le temps, le timing est en jeu à tous les niveaux. Depuis le 7 septembre, Sarkozy n’est plus le maître du timing en France, mais ce ne sont pas non plus les salarié·e·s, c’est l’Intersyndicale. Cet état de chose transitoire devait, dans l’ordre bien pensant des choses souhaité par tous les commentateurs et présentateurs, conduire, de «journées» en «journées», à un dénouement marqué par l’adoption de la loi et le remaniement gouvernemental avec un éventuel changement de premier ministre, et donc à la reprise du leadership temporel par Sarkozy. Quand le 23 et le 24 septembre 2010, ouvriers des raffineries et «dames» des écoles maternelles amorcèrent leur grève commune, c’est un autre timing qui s’annonce, celui de celles et ceux d’en bas quand ils se mettent à agir par eux-mêmes. Que ce timing-là prenne le dessus sur celui de l’intersyndicale, et c’en est fini de Sarkozy. Ainsi se présentent les choses réelles à qui veut réellement les voir. |
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