Suisse

Détail du tableau “Cellule des reliques”, dans lequel Piero della Francesca peignit en 1451 une fresque représentant Sigismond priant Saint Sigismond

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A propos du «droit de réserve»
Liberté d'expression des salariés du secteur public contre "devoir de réserve", "devoir de fidélité" et "honorabilité"

Dario Lopreno *

«Lorsque Marguerite Duras sera exclue
du parti communiste dans les années 50,
on pourra lire, entre autres remarques, dans le rapport du PC:
"Vit avec deux hommes".»

Danielle Laurin, «L'impossible vérité sur Marguerite Duras»
in mensuel
Lire, Paris, juin 1998

L’article que nous publions ci-dessous a trait à un thème qui prend une importance croissante face à la normalisation que «l’autorité politique» tend à imposer de concert avec ses mesures d’austérité et de précarisation des statuts des employé·e·s de la fonction publique. Réd.

Qu'est-ce que le «devoir de réserve»? Le devoir de réserve est une chose aussi éminemment moraliste qu'indéfinie, consistant dans «l'obligation morale particulière de se garder de tout excès dans ses propos et de se montrer discret, retenu (...). Il prend une dimension autre quand [le] sujet, du fait de sa position politique ou professionnelle, risquerait de compromettre par son indiscrétion l'aboutissement du projet auquel il participe. Mais il peut arriver, dans des circonstances particulières, que ce même sujet, du fait même de sa position, estime devoir sortir de son devoir de réserve, l'histoire nous en a fourni des exemples"[1]. Qu'est-ce que la violation du «devoir de fidélité»? L'adultère est la violation du devoir de fidélité que les époux se doivent mutuellement pendant le mariage, disent les trois principales religions européennes. «Le devoir de fidélité impose à l'agent public de se comporter de manière conforme à l'intérêt de l'Etat et de s'abstenir en conséquence de tout ce qui est contraire à cet intérêt», affirme de son côté le Conseil d'Etat (gouvernement cantonal) genevois via son ex-procureur[2]... Ainsi, le Conseil d'Etat genevois et l'ex-procureur général Bernard Bertossa - qui ont condamné tous deux l'enseignant genevois Hani Ramadan à perdre son emploi au nom du sacro-saint devoir de fidélité - ont sur le fond la même conception de la chose qu'Hani Ramadan, sauf que les deux premiers la conçoivent par rapport à l'Etat, le second par rapport à l'épouse. Intégrisme de la Raison d'Etat contre intégrisme d'Allah...

Fidélité et réserve dans les rapports de travail

Pour fidélité, le dictionnaire Robert nous indique: «qui ne manque pas à la foi donnée à quelqu'un, aux engagements pris, dont les affections, les sentiments ne changent pas, c'est-à-dire qui ne trahit pas, qui est conforme à la vérité», avec l'idée de constance, de dévouement, d'allégeance, d'attachement. A l'opposé, nous avons l'inconstance, le mensonge, voire l'erreur et même la trahison. Quant à la réserve, le dictionnaire la qualifie «d'attitude consistant à ne pas se livrer indiscrètement, à se garder de tout excès, à user de propos prudents». Ill'assimile à «la dignité» et à «la discrétion». A l'opposé nous avons la familiarité, l'audace, la hardiesse et aussi l'impudence. D'entrée de jeu ces deux termes, appliqués au domaine des rapports de travail, nous promènent sur les sables mouvants de la soumission et de l'autoritarisme.

Étymologiquement, la fidélité (du latin fides accompagné du suffixe -ité qui donne un sens abstrait, générique) nous renvoie aux significations de «confiance, croyance en quelque chose ou en quelqu'un» et «loyauté»; le terme induit également une idée «d'engagement personnel, de promesse à maintenir, d'obligations à honorer». Tandis que la réserve (du latin re- préfixe qui appuie le sens du mot et servare) nous renvoie aux significations de «conserver, avoir des égards, manifester de la circonspection» et, enfin, «manifester ses propres pensées avec mesure et précaution». Ici les deux termes en question nous transportent vers les eaux troubles du respect et de la pensée hiérarchique.

La raison généralement invoquée pour justifier la soumission à ce double régime - réserve et fidélité - des salariés du secteur public tient à la nature spécifique de la relation qui les lie avec leur employeur: «le fonctionnaire est réputé dépositaire d’une parcelle de la puissance publique. Il est, en conséquence, soumis à des devoirs et des obligations particuliers qui ne se résument pas aux aspects d’un contrat de travail de droit privé»[3]. Justification d'autant plus discutable que les rapports de travail dans le secteur privé impliquent également de telles allégeances[4].

Pour les «membres de la fonction publique» (l'expression parle de soi: les salariés considérés comme les "membres" d'un corps, l'Etat!) la réserve comme la fidélité n'ont pas uniquement trait à l'expression des opinions. En effet, elles imposent «au fonctionnaire d'éviter en toutes circonstances les comportements portant atteinte à la considération du service public à l'égard des administrés et des usagers»[5]. Les deux devoirs consistent donc dans la préoccupation d’éviter que les comportements et l'expression des opinions des salarié.e.s du secteur public - même lorsqu'ils ne sont pas en service - portent atteinte à l’intérêt de l'administration publique-employeur comprise comme l'administration publique-pouvoir-étatique. Devoirs de réserve et de fidélité désignent, en fin de compte, la soumission due à la réserve et l'obéissance due à la fidélité. Ce sont des devoirs à géométrie très variable et à très large spectre. En outre, «ici réapparaît le délicat problème du rapport entre fidélité et liberté: comment s’engager à être fidèle, d’une quelconque manière, sans abdiquer sa liberté ?»[6] Autrement dit, la fidélité a priori à son employeur, que ce dernier soit le secteur public ou une entreprise privée, est-elle compatible avec la pratique des libertés démocratiques? N'est-ce pas là une «vertu héritée d'un modèle militaire» de l'entreprise, pour reprendre les mots de Christelle Didier[7]?

Dans son Traité de droit administratif, André Grisel (juriste de l’école de droit de Lausanne) se fonde sur la Loi fixant le statut des fonctionnaires fédéraux (qui n'est plus en vigueur, mais les propos de Grisel à ce sujet restent encore aujourd'hui une référence pour les administrations publiques en Suisse) pour définir l'obligation de fidélité. En service, écrit-il, la fidélité consiste dans l'obligation de s'acquitter de sa tâche et de rendre les supérieurs attentifs aux imperfections du service, tandis que dans le temps libre, c'est l'obligation de s'imposer «la retenue que requiert l'exercice de [la] charge» et «la confiance des administrés dans l'intégrité des agents publics». Suivent des précisions floues et protéiformes concernant les engagements financiers et les dettes, les violations de la morale et l'abus d'alcool, les infractions pénales, la manifestation des opinions personnelles, les choses sur lesquelles «l'administration a intérêt à empêcher la libre discussion», la critique extra-professionnelle des supérieurs, pour aboutir aux enseignants qui doivent «faire preuve d'objectivité» (sic!) et «éviteront toute apparence [resic!] de prosélytisme»[8].

Il est enfin intéressant de mentionner que nous avons demandé, par écrit et par téléphone, à plus d'une reprise, en nous adressant aux services juridiques respectivement de l'Office du personnel de l'Etat et du Département de l'instruction publique de Genève, en quoi consistait «la définition précise des notions de fidélité et de réserve, en matière de confiance (intérêts non économiques, non calomniateurs et non diffamatoires) et au-delà des notions génériques contenues dans les lois, règlements et les jurisprudences du Tribunal administratif ou des prud'hommes». Nous n'avons obtenu aucun résultat, sinon qu’«une thèse de doctorat ne suffirait pas à les définir» (sic).[9]

Allégeance politique et utilitarisme autoritaire

En toute logique, le non-respect des devoirs de réserve ou de fidélité doit, fondamentalement, être assimilé à un défaut d'allégeance à l'autorité politique, à une sorte de trahison d'un serment d'allégeance qu'on lui aurait fait, souvent implicitement, pour pouvoir «entrer dans la fonction publique». Mais ce serment est aussi souvent explicite («prêté»). Par exemple, en mars 1947, Harry Truman - le président des Etats-Unis responsable du largage des bombes atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki - crée une commission pouvant enquêter sur le passé des employés fédéraux, pouvant les licencier sans devoir en exposer les motifs. Dans la foulée, il introduit un serment d'allégeance obligatoire pour tous ces mêmes employés fédéraux. Aujourd'hui, dans le Royaume-Uni, afin de pallier le «défaut de sentiment de ‘britannicité’», outre la maîtrise de l'anglais «les immigrés doivent connaître le fonctionnement des institutions et s'imprégner de la culture et du civisme britanniques. Ils sont soumis à un test de citoyenneté avant d'être intégrés. Une cérémonie de citoyenneté est désormais prévue, au cours de laquelle l'impétrant prononce un ‘serment d'allégeance à la Reine et de défense des lois du royaume et de ses valeurs démocratiques’»[10].

Rappelons que, selon les dictionnaires d’étymologie et de langue française, l'allégeance est le propre de l'homme lige, c'est-à-dire:
- soit de l'homme qui, dans la féodalité, «a rendu à son seigneur un hommage l'engageant à une fidélité absolue» ;
- soit de l'homme qui, dans les idéologies post-féodales comme celle de la mafia ou comme celle du dévouement à l'entreprise dite post-moderne, est «entièrement dévoué» à une institution ou à une personne.

Nous avons donc toutes les raisons du monde de nous inquiéter lorsqu'une jurisprudence, relativement récente, des autorités administratives de la Confédération spécifie que «le devoir de fidélité se rapporte en particulier au comportement en service, mais le comportement hors service ne peut être totalement ignoré, dans la mesure où il a des effets négatifs sur la fonction exercée par le fonctionnaire, spécialement sur la réputation et la crédibilité de l'administration» [11].

Au-delà de l'allégeance, de la docilité, de la servilité, de la soumission du salarié à son patron et à sa «raison», qu'elle soit d'Etat ou d'intérêts strictement sonnants et trébuchants, la réserve et la fidélité consistent dans un utilitarisme autoritaire, amplement mis à contribution par la droite institutionnelle comme par la gauche institutionnelle lorsqu'elles détiennent une autorité politique, contrôlent une administration ou une entreprise. A ce sujet, on peut mentionner deux exemples des plus significatifs. Tout d’abord, un article du quotidien Le Monde, relatant la tentative de museler deux salariés de la municipalité de Paris, au nom du «devoir de réserve», et de les sanctionner exemplairement pour avoir témoigné, archives «confidentielles» de la municipalité à l'appui, afin d'aider à dévoiler le massacre policier du 17 octobre 1961 – action placée sous les ordres d’un certain Maurice Papon, alors préfet de police de Paris – contre les travailleurs algériens et sympathisants du FLN qui manifestaient pour la première fois massivement[12]. Ensuite, un rapport de l'OCDE s'inquiétait qu’en Suisse les protections légales contre les licenciements (Loi sur le travail et Code des obligations) étaient quasi inexistantes. En outre, ce rapport soulignait l'importance des exigences de réserve et de fidélité contenues dans le Code des obligations et dans le Code pénal ainsi que dans la Loi sur les banques. Dès lors, il en découle que les pressions exercées par les hiérarchies sur les employés, y compris sur les cadres, sont telles qu'il est pratiquement impossible, pour les salariés, cadres ou non, de dénoncer les malversations financières[13].

C'est cette même logique (auto-)répressive - fidèle et réservée - dans les rapports de travail que nous retrouvons dans ces propos tirés de l’entretien d'un infirmier en psychiatrie à la retraite:
– Geneviève Heller: la consigne donnée aux infirmiers de ne pas parler d’où vient-elle ?
– André Roumieux: Ce n’était pas réellement une consigne mais un état de fait transmis de génération en génération. C’était très difficile de parler haut et fort de ce qui se passait à l’intérieur de l’hôpital, «Hôpital Silence». Les relations avec l’opinion publique étaient telles qu’il fallait être très prudent. Pour nous, la seule personne qui pouvait parler c’était le médecin parce qu’il avait le savoir. Nous on ne savait pas s’exprimer, ça engageait beaucoup: il était interdit de divulguer, on ne pouvait visiter l’[hôpital psychiatrique] comme ça, il fallait des demandes pour rentrer dans l’univers clos de la psychiatrie. Il y avait le secret professionnel, on avait un devoir de réserve [soul. par nous]. J’ai souhaité faire des photos de pavillons, on me l’a déconseillé. Tout cela contribuait à entretenir le silence des infirmiers[14].

La Genève post-néo-calviniste a peaufiné ce type de dispositif en y ajoutant la mention légale d'honorabilité (voir ci-après). Les salariés de la fonction publique genevoise (mais ce ne sont pas les seuls) doivent faire officiellement preuve d'honorabilité pour pouvoir obtenir un emploi ; ce qui signifie, selon le dictionnaire, qu'ils doivent être «dignes, estimables, respectables, bons, attirer la considération». Etymologiquement, le terme d’honorabilité fait, à la fois, référence à la «révérence» et à «l'éloge que l'on rend à la vertu ou à celui qui est haut placé et une expression de la probité et de l'intégrité personnelles».

Qui va définir le code d'honneur (l'honorabilité) en vigueur? En tout cas pas les lois, ce n'est pas leur rôle. Et comme personne ne veut (ne peut? n'ose?) le définir explicitement, c'est la morale dominante et les rapports de force socio-politiques qui tiennent lieu de thermomètre-définition de l'honorabilité. Avec tout l'arbitraire et tous les dérapages que cela comporte et qui vont être inévitablement de plus en plus nombreux. Quels sont les comportements et les attitudes «susceptibles d’être qualifiés d’atteinte à la moralité publique ou à l’honorabilité de la Fonction Publique», se demande le journaliste camerounais Ngueda Ndiefouo Gustave[15] en se posant les mêmes questions que nous nous posons mais face à «son» Etat? Et de répondre qu'on «se retrouve ici avec un concept fortement teinté de subjectivité où le fait de l’homme ou de l’autorité hiérarchique dans la qualification de ce type de faute est prépondérant. Car des facteurs tels l’humeur, les préjugés, la cote d’amour, la sale gueule ou le délit qui y est consécutif peuvent influencer et pré-déterminer la condamnation (...) Surtout lorsque l’autorité hiérarchique se trouve incarnée par des hommes avides de pouvoirs, d’autorité voire de malveillance ou habités par des sentiments humains les plus dégradants»[16]. Il n'y a pas si longtemps, à Genève, les objecteurs de conscience, les lesbiennes et les gays, les anarchistes, les gauchistes, et toute sorte d'autres «voyous» du comportement ou du faciès n'obtenaient pas le certificat de bonne vie et mœurs qui était et est encore et toujours le sésame d'un emploi public...

Quelles sont, à Genève, ces lois liberticides?

A Genève comme dans tous les autres cantons suisses – et sur le plan fédéral – ainsi que dans la majorité des Etats de l'Union européenne, des législations liberticides existent, centrées sur les devoirs de réserve, de fidélité et d'honorabilité. Elles fournissent un espace imporant à l'arbitraire de l'Etat - et des intérêts politiques et économiques qui le dominent - en matière de liberté d'expression de ses salariés. Avec la déferlante néo-libérale, accompagnée du durcissement du contrôle sur les salarié.e.s, sur leurs comportements extra-professionnels, sur leurs activités politiques – déferlante accompagnée d'une restriction des libertés d'expression et d’un retour en force des discours conservateurs moralisants – ces textes de loi deviennent dangereux. La droite et l'autorité politique – qui, souvent, n'est pas de droite – semblent décidées à déterrer ces législations. Ce sont notamment:
• La Loi pénale genevoise (art. 26) qui punit «de l’emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 50 à 5000 F» les fonctionnaires qui ont «directement provoqué à la désobéissance aux lois ou à tout acte de l’autorité publique».
• La Loi sur l'instruction publique (art.120) qui exige que les fonctionnaires du Département de l’instruction publique observent «la dignité qui correspond aux responsabilités leur incombant vis-à-vis du pays».
• Le Règlement d'application de la loi relative au personnel de l'Etat (art. 20) qui impose au personnel de «s'abstenir de tout ce qui peut porter préjudice» à l'Etat et à «l'intérêt de l'Etat».
• Le certificat de bonne vie et mœurs, obligatoire préalablement à tout engagement dans la fonction publique, qui peut être légalement refusé si le demandeur a, dans son casier judiciaire, une condamnation à la prison non radiée (c'est ce qu'on nomme une double peine!) ou si «l'honorabilité» peut lui être déniée suite à une ou plusieurs «plaintes fondées concernant son comportement», suite à des contraventions «à réitérées reprises, notamment pour ivrognerie ou toxicomanie», suite à «un failli inexcusable».

A Genève, comme en Suisse – et dans d’autres pays de l’UE – le «devoir de réserve» dépasse le principe du secret professionnel que doivent respecter les fonctionnaires et «la réserve que leur imposent leurs fonctions» n'est clairement définie par aucun texte[17]. Pas plus que «la fidélité» due à l'Etat. Pas plus que «l'honorabilité» dont doit faire preuve un futur salarié.

Trois cas exemplaires...

Après avoir défendu dans le journal Le Monde (9 septembre 2002) des idées barbares favorables à la peine de mort et au châtiment corporel, justifiant notamment la lapidation en cas d'adultère et tenant des propos radicalement moralistes à l'égard des personnes atteintes du sida, un enseignant genevois du Cycle d'orientation (école moyenne), Hani Ramadan, s'est fait licencier par le Conseil d'Etat, en février 2003. La mesure se fondait notamment sur un rapport de l'ex-procureur général Bernard Bertossa, qui en dernière instance - et tout en parlant de réserve et de fidélité - n'accablait l'enseignant que pour ses idées. En février 2004, la Commission de recours de l'instruction publique a rappelé le Conseil d'Etat à l'ordre, jugeant la sanction disproportionnée. Le Conseil d'Etat a d'abord décidé de s'asseoir sur la décision de justice. Puis il a entamé une nouvelle procédure de licenciement - annonçant la conclusion de la nouvelle procédure dès son début! - démarche liée cette fois-ci à un article publié par le quotidien suisse Le Matin (4 avril 2003) et à un autre article publié par l'hebdomadaire alémanique Facts (mars 2004). Ces articles rapportaient indirectement des propos de Hani Ramadan, aussi rétrogrades que ceux de l'article du Monde. Mais là n'est pas la question. En décembre 2004, le licenciement prend effet, malgré un second désaveu de la Commission de recours. L'affaire bien que close par le Conseil d'Etat, qui ne fait aucun cas des décisions de justice quand ça l'arrange, reste évidemment ouverte pour les défenseurs de la liberté d'expression... et pose une question majeure: un salarié de l'Etat a-t-il encore le droit de s'exprimer librement et a-t-il encore le droit de le faire en dehors de son travail?

Dans un débat du groupe politique Solidarités-Genève, mis en ligne sur le Web, un intervenant écrit que «le Conseil d'Etat genevois prête serment sur la Bible [pour entrer en fonction], c'est-à-dire aussi sur la Loi de Moïse, qui prescrit la lapidation des conjoints adultères». Et d'ajouter non sans ironie: «H. Ramadan est un intégriste, qui prend au sérieux la lettre des écritures (...)»[18]. Cela signifie-t-il que le Conseil d'Etat se moque comme de l'an 40 du texte sur lequel il prête serment? Ou bien a-t-il décidé - d'autorité et sans en référer à personne ni le consigner nulle part par écrit - quelle est l'interprétation «vraie» à donner à son serment sur la Bible ? Mais alors si un jour un conseiller d'Etat intégriste chrétien reprend à son compte les propos du Livre sur lequel il a prêté serment, que se passera-t-il?

Lors des grandes manifestations contre la réunion du G8 à Evian, en juin 2003, à Genève, un salarié du secteur public cantonal, Olivier de Marcellus, a appelé publiquement la population à se mobiliser pacifiquement contre le sommet du G8, en participant tout aussi pacifiquement à la grande manifestation prévue et aux actions de désobéissance civile. Il s’exprimait en tant que porte-parole du Forum social lémanique, interlocuteur reconnu des autorités (le FSL a même été publié dans la Feuille d'avis officielle et était en discussion avec les autorités pour la bonne organisation de la manifestation). Or, depuis février 2004 - et suite à l'appel mentionné - ce militant s'est fait inculper au titre de l'article 20 de la Loi pénale genevoise, article encore jamais appliqué depuis sa promulgation en 1941. Exhumer aujourd'hui cette loi signifie-t-il, de la part du Parquet genevois, qu'il est partie prenante de la volonté de museler les employés du secteur public en leur déniant la pratique des droits démocratiques les plus élémentaires (expression et manifestation) si leurs idées dérangent l’ordre néo-libéral établi? L'affaire est encore ouverte...

En novembre 2005, un enseignant de l'école primaire genevoise, André Duval, se fait rudement rappeler à l'ordre par Didier Salamin, le directeur de l'enseignement primaire genevois. André Duval est président de l'Association refaire l'école (ARLE), une organisation d'enseignants politiquement populiste et pédagogiquement conservatrice. Elle est à l'origine d'une initiative – qui a réuni le nombre record de 28'000 signatures et que nous pouvons juger comme rétrograde (mais là n'est pas la question) – pour le retour des notes généralisées à l'école primaire (ces dernières avaient été partiellement supprimées) et pour rendre plus facile la «possibilité» qu’un élève doive «redoubler» une année. Quelle faute est imputée à A. Duval? Avoir critiqué à plusieurs reprises et publiquement le système scolaire primaire genevois. Le directeur a-t-il confondu sa fonction de directeur de service avec celle de maître à penser des maîtres d'école primaire? Ou, ce qui serait plus plausible, est-ce le conseiller d'Etat social-démocrate Charle Beer qui lui a donné le feu vert pour confondre les deux choses? Ce rappel à l'ordre, le directeur le lance par une lettre qu'il signe dans le quotidien la Tribune de Genève (25 octobre 2005). A. Duval, écrit-il, «est astreint, comme tous nos enseignants, au devoir de réserve et de loyauté à l'institution qui l'emploie et lui assure son salaire». Et D. Salamin d'ajouter, afin que l'avertissement soit compris comme une mise en garde voire une menace: «Je souhaite que Monsieur Duval quitte la polémique qui est la sienne pour se préoccuper de l'intérêt des élèves dont il a la charge et s'inscrive dans le cadre de fonctionnement du département qui le paie et l'emploie». Ce type d'argument avait déjà été utilisé à l'égard de Hani Ramadan. Précisons que le directeur D. Salamin a lui-même déjà exprimé publiquement son opinion sur l'école primaire genevoise, comme le fait A. Duval... Le conseiller d'Etat à l'instruction publique C. Beer n'a pas désavoué publiquement ces propos. Ce qui serait pourtant une exigence minimale pour ce qui a trait à la garantie du respect des droits démocratiques de la part d'un des plus gros employeurs du canton (de surcroît lorsqu'il s'agit d'un département dirigé par un élu de gauche).

Des tests à prendre au sérieux

Dans les trois cas, le «devoir de réserve» et le «devoir de fidélité» – notions floues, indéterminées et arbitraires – ont été invoqués à tour de rôle par des autorités issues de la droite et de la gauche, contre des salariés pour les empêcher de s'exprimer. Dans le premier cas, par l'autorité politique exécutive et par l'ex-procureur général ; dans le deuxième cas, par des députés de droite et le procureur général ; dans le troisième, par le directeur de l'enseignement primaire. La première des trois personnes incriminées est considérée par l'autorité comme étant dans une position marginale dans l’espace socio-politique genevois ; c'est un musulman ayant au surplus des idées radicalement intégristes. La deuxième personne est un militant syndical que la droite veut faire passer pour un marginal en tentant de l'assimiler aux «casseurs» des manifestations anti-G8. La troisième préside une association d'enseignants conservatrice, née récemment ; le directeur de l'enseignement primaire veut la faire passer pour une association mineure et marginale (par rapport au directeur?).

Les trois incriminés sont - ou plus exactement sont traités comme s'ils étaient - à la marge du monde politique et institutionnel local. La tactique est classique. S'attaquer, dans un premier temps, à la pratique des droits démocratiques en tapant à la marge ou sur des personnes et associations que l'on fait passer pour marginales ou sur des individus aux idées abhorrées de tous, pour pouvoir taper, dans un second temps, plus largement, une fois que l'habitude de la répression contre les «autres» est banalisée. Et cela, évidemment, en mettant sur le même pied les idées et le passage aux actes.

Partout où le «devoir de fidélité» est invoqué, c'est qu'une partie patronale, l'autorité administrative ou le pouvoir politique veulent imposer leurs vues à leurs subordonnés en essayant de réduire au maximum toute marge d'autonomie des salariée.e.s.

Le conflit qui s’est produit, il y a à peine plus d'un an, entre les grands éditeurs (Presse Suisse, Presse romande, Association des éditeurs tessinois et SSR) et le Conseil de la presse, conflit ayant éclaté parce que le Conseil n'a pas accepté les éditeurs en son sein, est là pour nous le rappeler. «Principal point d’achoppement, précise Journalistes.ch, le préambule de la déclaration du Conseil relevant que: ‘Du droit du public à connaître les faits et les opinions découle l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes. Aussi, la responsabilité de ces derniers envers le public doit-elle primer celles qu’ils assument à l’égard de tiers, pouvoirs publics et employeurs notamment.’ Les éditeurs qualifient cette partie introductive de ‘disposition scélérate’, car elle légitime un comportement qui transgresse et le rapport de subordination et le devoir de fidélité [soul. par nous] à l’égard de l’employeur, et devient source de conflit dans les rapports de travail. Ils souhaitent sa radiation. Pour eux, le journaliste est un salarié lié par contrat individuel de travail, impliquant des droits et des obligations à l’égard de son employeur»[19].

Le devoir de réserve s'appliquerait même, selon certains tenants de la droite, aux magistrats pourtant élus sur la base de leurs idées politiques. En effet, en septembre 2001 le député libéral cantonal genevois Pierre Ducrest a interpellé le conseiller d'Etat écologiste Robert Cramer, responsable des communes genevoises, au sujet du maire socialiste de la Ville de Genève, Manuel Tornare. Ce dernier avait déclaré aux médias que ‘la responsabilité des attentats de New York incombe aux fauteurs de guerre juifs et arabes’. «Ces propos incongrus, déplacés, gravissimes dans la bouche d'un magistrat sont intolérables, poursuit Pierre Ducrest, car ils engagent les administrés dont il a la charge. Monsieur Cramer, patron des communes genevoises, qu'allez-vous faire pour rappeler aux magistrats des communes genevoises leur devoir de réserve lorsqu'ils s'engagent dans certains propos qui peuvent nuire à la bonne atmosphère de la ville (...) ?»

Autrement dit le maire de la Ville - et nous disons cela indépendamment de l'aspect inacceptable, simpliste et réducteur de ses propos sur le 11 septembre - ne serait donc pas élu pour que l'on entende ses idées... Etonnant! Le conseiller d'Etat Cramer a répondu «qu'une intervention n'est pas justifiée sur le fond, parce que dès lors qu'il s'agit de l'expression d'opinions, on peut porter sur ces opinions le jugement que l'on veut, y compris le jugement sévère que vous portez, mais il n'est guère possible de les sanctionner»[20]. Nous ne pouvons que manifester notre accord avec ces propos. Ils n'ont aucunement été contestés par le collège du Conseil d'Etat. Par contre, nous ne pouvons qu’indiquer notre indignation face à l’utilisation de la méthode deux poids deux mesures. Une fois, on applique un certain type de «principe» dans les trois affaires mentionnées précédemment ; une autre fois, on fait appel à un principe relevant de la liberté d’expression. Cela est d’autant plus étonnant (ou peut-être pas) que le conseiller d'Etat Robert Cramer fait lui-même partie du collège (exécutif du canton de Genève) qui a licencié Hani Ramadan.

A quand le refus d'un certificat de bonnes vie et mœurs - donc d'un engagement - pour soupçons de liens avec le terrorisme? Ou une amende voire un emprisonnement pour avoir appelé à ne pas respecter des lois piétinant la dignité humaine (concernant les sans-papiers, par exemple, mais il y en a bien d'autres du même type)? A quand le licenciement d'un enseignant n'ayant pas respecté «la dignité qui correspond aux responsabilités incombant vis-à-vis du pays» dans ses cours ou dans des conférences non professionnelles ayant trait, par exemple, à la barbarie argentophile de la politique étrangère officielle helvétique (face au nazisme, à l'Afrique du Sud, à de nombreuses dictatures en place entre 1945 et aujourd'hui)? Et pourquoi ne pas invoquer le «devoir de réserve» en laissant entendre implicitement qu'une homosexuelle ou qu'un homosexuel ne doit pas s'afficher pas en tant que tel, afin d’éviter de détériorer l'image du pays ou de l'Etat? A quand une sanction disciplinaire contre celui qui ne s'est pas abstenu «de tout ce qui peut porter préjudice» à l'Etat en appelant à manifester pour la démission d'un membre de l'exécutif? Au vu de l'arsenal législatif à disposition du pouvoir et des trois affaires mentionnées ci-dessus, ces questions à l’allure rhétorique pourraient prendre une forme juridique et disciplinaire fort concrète.

Avant de conclure, soulignons que les innombrables censures de textes sur Internet opérées par les autorités policières fédérales ou politiques locales, faites au nom de la bonne morale, de la juste pensée, du politically correct, de l'ethnically ou du racially correct, sont réalisées à partir de la même dynamique arbitraire et paternaliste: le contrôle des esprits par l'autorité policière ou politique, au détriment des libertés d'expression (liberté de lecture comprise). Savez-vous, par exemple, que l'Etat de Genève a engagé un staff privé de censeurs - alliant pudibonderie calviniste genevoise et rigorisme puritain nord-américain - interdisant l'accès sur Internet des sites... de peinture de la Renaissance, des poètes, des philosophes, des textes historiques, parce qu'ils mettent à disposition des images ou des mots sur les nus, des propos considérés comme licencieux, des textes racistes (les enseignants devraient ainsi expliquer le nazisme, par exemple, en ne présentant pas de textes nazis...)? Si nous mettons ensemble les devoirs de réserve et de fidélité, les exigences d'honorabilité, les censures sur Internet, nous ne pouvons que conclure à la mise en place d'une police de la pensée qui nous rapproche un peu d'un repoussant monde capitaliste-orwellien...

Les associations démocratiques des salarié.e.s en général – celles du secteur public en particulier – et les organisations des usagers des services publics devraient réagir davantage à ce genre de test et de censure que pratiquent la droite tout comme l'autorité politique qu'elle soit de droite ou de gauche. Elles laissent trop souvent faire le pouvoir tant qu'il ne les frappe pas directement (sur leurs membres ou sur leurs sites Internet). Actuellement, même le droit de grève entre en opposition avec les devoirs de réserve et de fidélité. Cela a été le cas déjà en 1998 dans le mouvement de la fonction publique vaudoise, par exemple, lorsque, dans la Gazette, journal de la fonction publique de l'Etat de Vaud, le Conseil d'Etat annonçait: «dans la perspective des arrêts de travail [du] jeudi 24 septembre (...) les éventuelles sanctions applicables aux fonctionnaires ayant manqué à leur devoir de fidélité»[21].

Derrière ce type de conflits se cache une réalité plus générale qu'il ne faut pas perdre de vue. C'est que, depuis qu'elle existe, la démocratie bourgeoise se heurte régulièrement et tragiquement à ses propres limites. Lorsque les rapports de force s'inversent en faveur de la classe dominante, ce changement emporte avec lui simultanément les acquis sociaux et les libertés d'expression acquises lors d’une période qui a été plus favorable aux salariés. C'est ce qui semble se passer aujourd'hui. Et ce genre de recul peut être lourd de conséquences à terme s’il n'est pas contrecarré à temps.

* Enseignant, membre du Syndicat des services publics SSP-Genève


[1] Forums du Champ lacanien - Bruxelles, Colette Chouraqui-Sepel, Devoir de réserve, Bruxelles, 1998 (sur http://www.fclb.be/fclb0/fr/CLdocs/for/forchouraqui1fr.htm).

[2] Bernard Bertossa, Rapport d'enquête relatif aux rapports de service entre M. Hani RAMADAN et l'Etat de Genève, Genève, 13 décembre 2002 (sur http://www.aidh.org/dial_rel/Images/h_ramadan.pdf).

[3] Cf. Bürgisser avocats, «Qu'est-ce que le statut de la fonction publique dans le canton de Genève» (sur  http://www.burgisseravocats.ch/actualite.php?actuID=29&page=3).

[4] Cf art. 321a du Code des obligations:
1 Le travailleur exécute avec soin le travail qui lui est confié et sauvegarde fidèlement les intérêts légitimes de l’employeur.
2 Il est tenu d’utiliser selon les règles en la matière les machines, les instruments de travail, les appareils et les installations techniques ainsi que les véhicules de l’employeur, et de les traiter avec soin, de même que le matériel mis à sa disposition pour l’exécution de son travail.
3 Pendant la durée du contrat, le travailleur ne doit pas accomplir du travail rémunéré pour un tiers dans la mesure où il lèse son devoir de fidélité et, notamment, fait concurrence à l’employeur.
4 Pendant la durée du contrat, le travailleur ne doit pas utiliser ni révéler des faits destinés à rester confidentiels, tels que les secrets de fabrication et d’affaires dont il a pris connaissance au service de l’employeur; il est tenu de garder le secret même après la fin du contrat en tant que l’exige la sauvegarde des intérêts légitimes de l’employeur.

[5] CFDT Finances, Le guide de l'agent, Paris, 2005.

[6] Marc Anglaret, «La fidélité», texte disponible sur le site de L'Atelier philosophique, (sur  http://philo.pourtous.free.fr/Atelier/Textes/fidelite.htm).

[7] Christelle Didier, «De nouveaux enjeux», article publié dans la revue L'Ingénieur, Centrale Lille-IDN, mars 2000 (sur http://www.icam.fr/cets/essais/CD_ethique_ing.htm).

[8] André Grisel, Traité de droit administratif, Ed. Ides et Calendes, Neuchâtel, 1984, vol. 1, pp 479 à 489.

[9] Entretien téléphonique du 4 janvier 2006 avec le Service juridique de l'Office du personnel de l'Etat. Mentionnons aussi que nous avons été éconduit au Service juridique du Département de l'instruction publique de Genève, la réponse à nos questions ayant été simplement: "la juriste du Département ne traite qu'avec les responsables du service". Trajectoires kafkaïennes significatives...

[10] Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Migration et intégration: un défi et une opportunité pour l'Europe, Rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et de la population, Strasbourg, 7 février 2005.

[11] JAAC 2000 64.37 / II n° 24-55, considérant 2b (juin 1999).

[12] Acacio Pereira, «Sanctionnés pour être sortis de leur devoir de réserve, deux archivistes de Paris sont réhabilités», Le Monde, 20 mai 2003.

[13] OCDE, Rapport sur l'application de la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales et de la Recommandation de 1997 sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales, Paris, décembre 2004 (Cf. en particulier les  §§ 43 à 47 du rapport).

[14] André Roumieux, Une vie d'infirmier en psychiatrie (1951-1986), interview in L'Ecrit, Service des soins infirmiers du Département universitaire de psychiatrie adulte, Lausanne, mai 1988 (sur http://www.chuv.ch/psy/bpul_ecrit9.pdf).

[15] Ngueda Ndiefouo Gustave, «La faute professionnelle: notion objective ou notion de subjectivité?» in La nouvelle expression, quotidien, Douala, 2 décembre 2000, disponible à travers le site Webdopresse qui permet d'accéder à la presse en ligne dans les divers pays du monde (sur http://www.webdopresse.ch/fr_pays.asp?nav=francais).

[16] Idem.

[17] Assemblée nationale, 26 juillet 2005, Proposition de Loi organique visant à réaffirmer le principe de séparation des pouvoirs et la présomption d'innocence en précisant le devoir de réserve des magistrats, présentée par M. Jacques Myard, député (sur http://www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion2505.asp).

[18] Prise de position de Solidarités à propos de la suspension d’un enseignant favorable à la charia, compte rendu de l'assemblée du 28 octobre 2002 (sur http://www.solidarites.ch/journal/docs/agram.htm).

[19] Polémique au Conseil de la presse in Journalistes.ch, organe officiel d'Impressum-Le journalistes suisses, octobre 2004, (sur http://www.journalistes.ch/attachments/journalist/jch_05_11102004fr.pdf). Le Conseil de la presse est l'instance de plainte pour des questions relevant de l'éthique des médias.

[20] Interpellation urgente de M. Pierre Ducrest: Propos du maire de la Ville de Genève: devoir de réserve, séance du Conseil municipal de la Ville de Genève du 20.09.2001.

[21] La Gazette, Journal officiel de l'Etat de Vaud, Lausanne, 21 septembre 1998.

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