Venezuela

 

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Le Venezuela à la croisée des chemins

par S. Perez Borges*

Après 40 jours d'une "grève" insurrectionnelle patronale, les secteurs en lutte arrivent peu à peu à une sorte de point de non-retour d'où ils devront prendre des décisions de plus en plus décisives. Même s'il lui reste quelques ressources et du temps, celui qui est le plus mal en point est le secteur patronal-bureaucratique (syndical et des cadres élevés du pétrole). C'est-à-dire ceux-là mêmes qui avaient appelé à cette "grève" pro-impérialiste et qui ont dû utiliser, dès le troisième jour de leur action, des actes de sabotage et de terrorisme afin de tenter de renverser le gouvernement présidé par Hugo Chavez.

Pour les représentants des organisations politiques, syndicales et d'ONG qui se regroupent au sein de la "Coordination démocratique oppositionnelle", ces derniers jours ont été pour le moins angoissants et désespérants. Malgré l'appui permanent des médias privés, ils appellent à de multiples activités désespérées qui sont immédiatement battues en brèche par la présence de centaines et de milliers d'hommes et de femmes qui s'opposent à leurs actions [mais ne sont pas montrés par les médias internationaux].

Dans de nombreux rassemblements de ce genre, on entend de plus en plus fréquemment des déclarations telles que "Moi, je ne suis pas chaviste, mais on ne peut pas laisser passer sans rien faire ce que font ces canailles".

Ce large sentiment de rejet à l'encontre des méthodes et des actions de l'opposition putschiste provient avant tout des différents réseaux d'organisations, des cercles bolivariens et des nouveaux types d'organisations qui sont en train de surgir. Car dans de nombreuses circonstances, les organisations traditionnelles existantes qui appuient le gouvernement n'offrent pas la riposte appropriée et nécessaire.

A chaque manifestation ou rassemblement appelé par l'opposition répondent des manifestations et des rassemblements parallèles organisés par les partis et les cercles bolivariens qui appuient le gouvernement. Il s'agit d'empêcher l'opposition d'aller au-delà de leur objectif prévu ou bien de lui interdire d'occuper un espace appartenant aux secteurs chavistes. C'est dans un tel contexte qu'ont eu lieu les événements du 3 janvier dernier où un groupe de chavistes a pu empêcher que l'opposition transgresse les limites autorisées pour leur marche, à savoir les installations militaires où a été mis en état d’arrêt depuis le 30 décembre l'unique putschiste emprisonné depuis le coup d'Etat manqué du 11 avril 2002.

A la pointe du processus d’auto-organisation, on trouve de nouvelles formes d'organisations sociales et les assemblées populaires; telles que celles des usagers du gaz et de l'essence, celles de ceux qui possèdent des comptes bancaires, celles des parents d'élèves, d'enseignants, celles des quartiers populaires.

Cette auto-organisation permet d'assurer la distribution équitable de l'essence et du gaz liquide; de défendre les consommateurs; de répondre aux urgences; de défendre les libertés démocratiques dans les quartiers populaires. Ce sont elles qui garantissent la réouverture des écoles et qui réalisent des actions contre les appels à la "désobéissance civile" dans le non-paiement des impôts.

Parmi ces nouvelles formes d'auto-organisation se détachent particulièrement celles en faveur de l'entreprise pétrolière nationale PDVSA; celles des travailleurs pétroliers et les assemblées populaires.

Quotidiennement, et dans tous les coins du pays, sont organisés des forums intitulés "PDVSA de l'intérieur" auxquels assistent des milliers de personnes et où l'on informe sur le fonctionnement de cette entreprise. On y dénonce également les plans de l'opposition visant à privatiser l'entreprise en faveur des intérêts de l'impérialisme.

Les nouvelles organisations des travailleurs du secteur pétrolier sont en train d'appliquer le contrôouvrier dans PDVSA: les revenus et les dépenses du personnel, la production et la distribution sont ainsi contrôés. Dans les faits, ces organisations se substituent aux syndicats ou aux dirigeants syndicaux bureaucratiques ou bien renforcent ceux qui soutiennent le processus bolivarien.

Les assemblées populaires rassemblent différentes catégories de travailleurs et c'est en leur sein que sont programmés le fonctionnement des écoles, des lycées, des universités, des marchés populaires et les nouvelles activités ý mener afin de vaincre la grève insurrectionnelle patronale.

Ces derniers jours, des appels sont lancés pour que ces assemblées se transforment en constituantes par secteurs. Le président Chavez lui-même a appelé les assemblées populaires universitaires à devenir des constituantes capables d'élire les nouvelles autorités universitaires, étudiantes et syndicales et capables également à partir de là d'élaborer de nouveaux programmes d'études. Jusqu'à présent, de telles constituantes n'ont pas encore été réalisées, mais Chavez, lors de ses trois dernières interventions télévisées, a insisté pour qu'elles se tiennent.

Tandis que ces processus d'auto-organisation se répandent parmi les travailleurs et les masses populaires, les secteurs responsables de la grève insurrectionnelle, qui sont aujourd'hui reconnus comme fascistes et putschistes du fait de leur évidente volonté d'appliquer de telles méthodes, subissent également des pressions internes.

Des entreprises importantes ont ainsi recommencé à fonctionner (1). Pour la semaine du 13 janvier, beaucoup d'entreprises ont annoncé qu'elles rouvriraient leurs portes, à tel point que la fameuse "offensive" lancée par Fedecameras (le syndicat patronal) et la Coordination "démocratique", ressemble bien malgré eux de plus en plus à de la "défensive".

Les pertes – chiffrées à plusieurs millions – endurées par les patrons et les commerçants pour ne pas avoir voulu produire et vendre leurs produits au cours de ces longues journées conspiratrices; l'impuissance dans laquelle ils se trouvent du fait de l'absence de résultats de la Table de Négociation et d'Accord, et enfin, face à l'évidence que les secteurs bolivariens restent inflexibles, tout cela mène l'opposition au désespoir. Le fait qu'ils poursuivent leurs appels à manifester ne doit pas tromper; ils tentent de démontrer vainement qu'il leur reste beaucoup de forces. Ils concentrent aujourd'hui leur propagande et agitation afin d'imposer un référendum consultatif (qu'ils veulent évidemment "révocatoire") à l'encontre du président pour le 02 février prochain.

Au cours de cette semaine, des secteurs de l'opposition ont impulsé des actions violentes, des actes terroristes et fascistes tels que le lancement d'une grenade à fragmentation contre l'ambassade d'Algérie, des concerts de klaxons contre des délégations étrangères (dans la nuit du samedi 11 janvier, une délégation commerciale iranienne et irakienne a été attendue et "klaxonnée") et quelques jours auparavant, ils avaient protesté devant l'ambassade du Brésil.

Le gouvernement, quant à lui, semble décidé à appuyer sur l'accélérateur. Différents événements publics ont été organisés, qui ont tous compté avec une assistance massive, et il enchaîne avec fréquence des apparitions télévisées et radiophoniques. Chavez a également durci son discours et cela car il compte suffisamment de force et parce qu'il s'agit également de répondre aux critiques de plus en plus dures des masses à l'encontre de l'insupportable impunité des putschistes.

D'importants secteurs de la population exigent en effet que l'on punisse enfin les responsables des actes de sabotage dans PDVSA car ce sont eux les responsables des pénuries d'essence, de gaz et de certaines denrées. Ils exigent également que l'on prenne des mesures contre les banques, qui ont fait grève pendant 48 heures (la moitié de ce temps en réalité) et qui imposent des horaires d'ouverture réduits de 9 à 12 heures. Ils exigent de plus un contrôle sur les messages des médias télévisés; l’arrestation de Carlos Ortega, président du syndicat corrompu CTV; de Carlos Fernandez, président de Fedecameras [organisation patronale] et de Juan Fernandez, l’un des principaux gérants de PDVSA. Ces revendications sont souvent éludées par les fonctionnaires du gouvernement qui se rejettent l’un sur l’autre la responsabilité de leur non-accomplissement.

Le gouvernement n’élude pas seulement sa responsabilité de châtier les putschistes par pure lâcheté. Beaucoup savent que pour accomplir les exigences des masses, ils devront aller beaucoup plus loin que la simple arrestation de quelques oppositionnels. Il faudra notamment nationaliser les banques, fermer certains médias et mettre sous contrôle une grande quantité d’entreprises, ce qui impliquera ainsi un affrontement ouvert contre l’impérialisme, l’OEA et le FMI. Chavez lui-même, d’une certaine façon, a exprimé cette crainte lorsque, dans son discours du samedi 11.01.03 à l’Assemblée Nationale "en défense de l’enseignement et des droits des enfants et des adolescents", il interpella les oligarques (la bourgeoisie) en leur disant qu’ils ne "savaient pas dans quel problème ils s’étaient mis" car ce sont leurs actions qui ont fait que "le peuple s’est réveillé".

La question aujourd’hui n’est pas de s’opposer à un "gouvernement bourgeois", bien qu’il se proclame "humaniste" et d’une révolution basée sur un programme dont l’essence est résumée par la Constitution bolivarienne. Il s’agit au contraire pour ceux qui se déclarent socialistes et révolutionnaires, dans ces heures cruciales où s’affrontent des secteurs nationalistes, populaires et démocratiques, d’une part, à des secteurs pro-impérialistes et fascistes, d'autre part, de combattre avec énergie ces derniers. Mais le fait d’être ensemble avec les secteurs démocratiques et nationalistes ne doit pas faire taire nos objectifs, notre programme, ni hypothéquer notre indépendance politique. Dans la croisée des chemins actuels, les révolutionnaires vénézuéliens doivent tester jusqu’à quels niveaux de conscience et d’actions peuvent aller les travailleurs, les classes moyennes et les secteurs populaires qui luttent aujourd’hui avec héroïsme contre les secteurs putschistes, fascistes et pro-impérialistes.

Au cours des prochaines semaines, beaucoup de revendications et d’exigences vont se rajouter à celles qui émergent déjà. Les militants des organisations de classe et révolutionnaires doivent être au premier rang pour les poser. Du fait des difficultés économiques générées par le sabotage de PDVSA, l’exigence fondamentale devrait être le non-payement ou le moratoire sur la dette extérieure. Impulser cette campagne sera un élément clé pour faire avancer le processus et pourrait aider à regrouper les secteurs révolutionnaires et socialistes qui continuent à être divisés au Venezuela.

Note:

(1) A Valencia, Etat du Carabobo, d’importantes entreprises sidérurgique et d’alimentation ont déjà rouvert telles que Kraf, Mavesa, Inlaca, Rualca, Gabriel, Danaven, SH Fundiciones, Covendisa, Rudeveca et Goodyear.

Cet article a été écrit le 12 janvier 2003.

 

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