Grèce

Le 20 mai 2010, devant le Parlement à Athènes

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Un affrontement décisif et difficile

Antonis Davenellos *

Je vais diviser mon exposé sur la Grèce en six points, en commençant par la situation politique dans le pays.


Il y a huit mois – ce qui représente, aujourd’hui, pour moi une date très éloignée – le gouvernement grec était un gouvernement de la droite officielle. Il s’agissait du parti de la Nouvelle Démocratie, parti conservateur. Le premier ministre, Kostas Karamanlis, avait gagné les élections une année auparavant. Il avait devant lui trois ans pour mener à bien son projet et disposait d’une majorité au parlement. Mais il avait compris ce qui allait arriver et il savait que son parti – qui était haï par une majorité de la classe ouvrière en Grèce et était très faiblement influent dans le mouvement syndical – ne pouvait pas mener à bien une brutale politique d’austérité. Ainsi, subitement, Karamanlis apparaît à la télévision et affirme qu’il préfère des élections anticipées. Il dit vouloir un nouveau gouvernement afin de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour affronter la crise économique.

En réalité, ce faisant, il transférait le pouvoir à la social-démocratie, c’est-à-dire au PASOK, dirigé par Georges Papandreou. Ce dernier se présentait aux élections avec le slogan: «Yes, we can !» Un slogan bien connu aux Etats-Unis, efficace du point de vue propagandiste et qui a l’avantage d’être tout sauf concret. Le résultat des élections fut marqué par une défaite massive de la Nouvelle Démocratie qui obtint quelque 34% des voix. Son score le plus bas depuis la chute de la dictature en Grèce.

Le PASOK obtint 44% des voix et une majorité absolue au parlement. Mais, cette fois, on n’assista pas à des manifestations festives dans les rues à l’occasion de cette défaite de la droite. Les gens percevaient que, une fois de plus dans l’histoire, la social-démocratie arrivait au gouvernement pour exécuter le sale boulot en faveur des capitalistes.

Il n’y avait donc pas de raisons d’être heureux. En outre, la gauche en Grèce a obtenu un bon résultat électoral ; quand je fais référence à la gauche, je désigne les forces se situant à la gauche de la social-démocratie, soit le vieux PC et la gauche révolutionnaire.

Le parti communiste de Grèce a obtenu 7,5% des voix et SYRIZA, la coalition de la gauche radicale – à laquelle notre organisation participe depuis sa création – a obtenu quelque 5% des voix. L’extrême-droite a fait 6%.

Pour comprendre non seulement ce résultat, mais aussi ce à quoi l’on peut s’attendre en Grèce, je dois vous indiquer que la société grecque est très politisée. L’explication de ce phénomène réside dans son histoire. Après la Seconde guerre mondiale, nous avons connu une guerre civile au cours de laquelle la gauche fut battue. Mais dix ans après, la gauche avait récupéré de cette défaite. Les classes dominantes ont eu besoin d’un régime de dictature pour contrôler les développements socio-politiques. Cette dictature fut renversée par une révolte venant d’en bas.

Puis, nous avons connu les événements de 1974 qui, en quelque sorte, représentent notre mai 1968 retardé. On a connu alors dix années de luttes ouvrières massives couronnées par de nombreuses victoires. Tout ce que nous avons gagné en Grèce l’a été durant cette période: de meilleurs salaires, des syndicats, des libertés dans les entreprises, des droits démocratiques dans la société et ainsi de suite. La plus grande victoire durant cette période résidait dans la conscience que la classe ouvrière disposait d’un pouvoir important au sein de la société et que personne ne pouvait ne pas tenir compte de ses capacités, de ce dont elle était capable. Et c’est toujours le cas.

2° 
Mon deuxième point a trait à l’ampleur de la crise. Lorsque le premier ministre Georges Papandreou du PASOK arrive au «pouvoir», la première chose qu’il affirme est la suivante: «Les données sont pires que ce j’attendais.» Il peint un tableau avec des couleurs sombres, afin de justifier sa politique.

En fait, la réalité renvoie à une crise profonde du capitalisme en Grèce. Le déficit budgétaire équivaut à 12% du PIB (Produit intérieur brut), ce qui est quatre fois supérieur à la limite de 3% fixée par le «Pacte de stabilité et de croissance» de l’Union européenne. Par ailleurs, ces 12% seront corrigés par la suite pour atteindre presque 14%. Le danger apparaît grand que la Grèce se déclare dans l’incapacité de faire face aux obligations du paiement de sa dette publique. Une explication est nécessaire à ce propos.

Le capitalisme grec constitue le maillon faible du capitalisme européen. Et comme de normal, c’est le maillon faible qui est le premier mis sous tension, qui est le premier frappé par la crise internationale du système capitaliste intermnational. Il faut préciser que ce sont les segments les plus forts du capitalisme grec qui ont été touchés les premiers.

Les banques grecques qui étaient championnes de la politique néo-libérales dans les Balkans — qui s’y étaient donc implantées — se trouvent dans une situation délicate ; leurs bilans sont dans le rouge ; leur avenir est incertain. De même, d’importantes firmes actives dans le secteur de la construction s’étaient fort étendues au cours des années précédentes non seulement en Grèce, mais dans les Balkans, la Turquie et dans des Etats comme celui de Dubaï — un Etat du Golfe qui a dû être renfloué par son voisin Abu Dhabi. La crise dans l’essentiel de ces pays les a frappées. Enfin, les firmes commerciales avaient acquis une position dominante (ou relativement dominante) dans les Balkans.

Ces trois éléments – combinés – ont été attaqués par la crise économique du capitalisme international et grec en particulier.

Le second facteur qui doit être pris en considération dans cette crise n’est autre que le coût élevé pour l’Etat grec du sauvetage des banques, leur renflouement selon la formule consacrée. Au cours d’une nuit, Karamanlis a décidé de leur allouer 28 milliards d’euros. Ce n’est pas une somme énorme comparée avec d’autres qui ont été mobilisées dans différents pays. Mais pour une économie comme la Grèce, cette somme est colossale. Il suffit de la rapporter aux 25 milliards que le ministre des finances veut «économiser» au travers de son brutal plan d’austérité. C’est moins que ce que le gouvernement a alloué aux banques en une nuit. Et Georges Papandreou continue à le faire.

Un troisième facteur mérite d’être souligné à propos de cette crise: c’est le prix à payer pour vingt années de politique néolibérale. Au début des années 1990, les profits du capital étaient imposés à hauteur de 45 %. Maintenant, les impôts sont réduits à 20 % dans le secteur manufacturier et à 12% dans le secteur financier. C’est un recul important en termes d’imposition du capital. Mais cela va au-delà. Au cours des dernières années – durant le gouvernement de Karamanlis – les personnes fortunées, les capitalistes, les grandes entreprises et les banques ne payaient simplement pas d’impôts. Ils gardaient cet argent. Et, de plus, ils amassaient les cotisations sociales des travailleurs qu’ils collectaient dans leurs entreprises. Dès lors, les finances publiques de la Grèce reposent avant tout sur les impôts (directs et indirects) payés par les salarié·e·s. Ce qui évidemment ne pouvait pas suffire.

Un quatrième facteur dans cette crise économique renvoie à la spéculation internationale. Je vais vous donner deux exemples. La banque d’affaires Goldman Sachs avait la fonction de conseiller du gouvernement grec pour tout ce qui relevait de la gestion de la dette souveraine. Et le gouvernement faisait tout ce que Goldman Sachs lui disait de faire. Au même moment, Goldman Sachs conseillait un important hedge fund (un fonds spéculatif) de parier sur le fait que, en dernière instance, l’Etat grec ne serait pas capable d’honorer sa dette.

Un autre exemple est fourni par la respectée agence de notation Moody’s. Moody’s a abaissé la note de toutes les économies du sud de l’Europe, semaine après semaine. [Le 22 avril 2010, Moody’s avait rétrogradé la note souveraine grecque de A2 à A3 ; le 15 juin 2010 cette note passait de A3 à Ba1]. Deux jours avant l’écroulement de Lehman Brothers, en septembre 2008, Moody’s ne conseillait pas seulement les capitalistes grecs, mais aussi les épargnants grecs, d’investir dans Lehman Brothers, en affirmant que ses perspectives d’avenir étaient brillantes.

Le cinquième facteur pour saisir les traits spécifiques de la crise grecque réside dans la corruption. Au plan économique, la corruption n’est pas si importante. Mais elle est très importante aux plans politiques et idéologiques par rapport aux batailles qui se présentent devant nous.

En Grèce, l’ampleur de la corruption a été énorme, entre autres à l’occasion des Jeux Olympiques de 2004. Le pouvoir et ses alliés ont construit un grand stade au milieu d’Athènes pour le badminton. Il n’y a pas cinq Grecs qui jouent au badminton. Maintenant, le stade est fermé. Mais il a coûté et coûte des sommes importantes. Ils ont aussi bâti un énorme stade pour le Tae Kwon Do et d’autres sports d’arts martiaux. Très peu de Grecs s’adonnent à ces sports. Maintenant, il est vide. Pour nous, ce n’est pas totalement négatif, car nous pouvons organiser des rencontres et des meetings ! Mais tout cela – et ce n’est là que quelques exemples marginaux – a coûté des sommes énormes.

Autre exemple de corruption: celui de la transnationale allemande, Siemens. Elle a vendu à l’Etat grec un système appelé C41 – un énorme œil placé dans le ciel d’Athènes pour surveiller toute la conurbation de plus de 4 millions d’habitants [sur une population totale du pays de quelque 11 millions] durant les Jeux ; cela afin de «les protéger face aux terroristes arabes» ou même grecs. Ils étaient censés placer des bombes dans les divers stades. L’Etat grec a dépensé 100 millions d’euros pour ce système de surveillance, avec les commissions qui accompagnent ce genre de transactions. Et, ce système de surveillance fut livré… six ans après que les Jeux se soient terminés ! Et, de plus, il ne fonctionne pas. Ce qui est bien pour nous, car il n’y a pas un énorme œil orwellien présent dans le ciel d’Athènes. Mais tout cela a coûté beaucoup d’argent, issu des salaires des travailleurs et travailleuses.

Un dernier exemple pour ce qui a trait à la corruption: l’armement. La Grèce est un des importants acheteurs d’armes en Europe, d’autant plus si l’on tient compte de son PIB. En quelque sorte on peut comparer la Grèce à Israël, Etat avec lequel l’Etat grec entretient de bonnes relations diplomatiques et militaires.

Le Gouvernement grec a acheté deux sous-marins de la dernière génération technologique. Tout le système électronique a été fait par qui ? Siemens. C’est du dernier cri au plan technologique. Ils peuvent repérer chaque poisson qui nage dans la mer Egée. Mais ces sous-marins ont un problème: ils ne sont pas stables. Ils ne peuvent donc pas accomplir leurs missions. Le gouvernement grec les a achetés ; mais ils sont à quai dans le port du Pirée. Ils ne peuvent pas sortir du port !


Ce troisième élément, le plus sérieux, a trait à la classe dominante, à la classe dirigeante et au gouvernement face à la crise. De manière très simple, leur objectif: faire payer la crise aux salarié·e·s. Mais, vous avez besoin de plus d’informations. Car mon sentiment est que si ces problèmes concernent, aujourd’hui, avec le plus de violence le sud de l’Europe, demain ils s’étendront à toute l’Europe et à l’essentiel du monde.

Le 4 mars 2010, Georges Papandreou a annoncé son premier plan d’austérité pour faire face à la crise. Il affirma qu’entre 2010 et 2013, il ferait geler les salaires et autres revenus (pensions, allocations diverses) dans le secteur public. Il couperait aussi les primes. On ne parle pas ici des bonus des golden boys. Nous parlons des primes qui reviennent aux travailleurs, par exemple s’ils travaillent le dimanche. Il mettrait fin à toutes les embauches dans le secteur public et licencierait tous les travailleurs temporaires de ce secteur.

C’était dur, mais cela avait les traits d’un scénario «soft». Le jour suivant, les marchés internationaux – les intervenants sur ces marchés, plus exactement – ont réclamé un plan plus strict, plus dur. Durant ces jours, nous avons appris quelques termes anglais, tels que spreads, swaps et d’autres choses du même type. Plus simplement, le taux d’intérêt imposé pour les emprunts de l’Etat grec allait grimper jusqu’à près de 10% – ce qui rendait impossible le service de la dette (intérêt et principal).

Ainsi, en avril, Papandreou annonça l’accord entre le gouvernement grec et ce qu’il qualifia de troïka: l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international (FMI).

La situation s’accélérait. Il ne s’agissait plus de geler les dépenses et les salaires. Le gouvernement allait supprimer le 13e et 14e mois des salarié·e·s du secteur public, une sorte de prime qui «compense» les bas salaires mensuels. Tous les autres salaires sont réduits à hauteur de 7% à 11%. En même temps, les impôts – en particulier la TVA – seront augmentés. Cette hausse frappe plus que proportionnellement les personnes disposant de petits revenus, car la TVA touche leurs dépenses quotidiennes, comme la nourriture ou l’essence [un des plus chères d’Europe].

Des coupes importantes sont intervenues dans les dépenses sociales. Le gouvernement a déclaré: il n’y a plus d’argent pour les hôpitaux et pour l’éducation. Le jour où j’ai quitté le pays [mi-juin 2010], les journaux publiaient des petits articles disant que le gouvernement ouvrirait les hôpitaux militaires parce que les hôpitaux publics ne disposaient plus du matériel pour que leur personnel puisse accomplir ses tâches normalement. Ainsi, en Europe, au début du XXIe siècle, si une personne doit être conduite d’urgence dans un hôpital public à cause d’un infarctus, les médecins ne disposent plus du matériel adéquat pour la traiter.

Le gouvernement est aussi en train de détruire le système des retraites. L’âge donnant droit à la retraite est repoussé à 65 ans ; augmentant le nombre d’années à 40 ans pour obtenir une pension sans décote. Le gouvernement coupe de 55% le montant des retraites. Mais, la chose la plus importante est que l’Etat renonce à ses obligations de financement du système de retraite. Si le fonds de réserve dispose de l’argent pour assurer le financement des retraites, alors il l’approvisionnera ; si ce n’est pas le cas, alors bonne chance !

C’est évidemment un tournant vers la privatisation du système des retraites. En Grèce, cette contre-réforme est qualifiée de système de retraite à la Pinochet, parce que le Chili est le seul pays qui a pu opérer une telle transformation après le coup de Pinochet en septembre 1973.

Est aussi mis en place un vaste programme de privatisation. Le gouvernement va vendre à peu près tout: les ports, les chemins de fer, les banques, tout ce qui peu être vendu. Cela constitue le programme traditionnel du FMI. Mais, cette fois, il est imposé à un pays de l’Union européenne: la Grèce. Le but de ce programme consiste à réduire le déficit public par rapport au PIB et le faire passer à hauteur de 3% au cours des trois prochaines années. Le plan fonctionne aussi comme une sorte de garantie: de la sorte, l’Etat grec va assurer le service de la dette et les banques grecques opéreront des emprunts obligataires sur les marchés internationaux – avec des échéances brèves et des taux nettement plus élevés que ceux de référence, soit les taux en vigueur pour les obligations d’Etat de l’Allemagne – afin de payer la dette.


Le quatrième point que je voudrais mettre en relief est le suivant: la résistance populaire à cette offensive. Après l’annonce des plans d’austérité, les médias discutaient pour pronostiquer la suite: les gens vont-ils rester chez eux et ne pas protester ? Le débat était ouvert. C’est naturel. Une attaque d’une telle envergure vous tombe dessus. Et avant même que vous puissiez la comprendre, une seconde déboule sur vous. Dans un tel contexte, il n’est pas aisé d’affirmer que vous pouvez y faire face, que vous pouvez y résister.

Par exemple, je viens de recevoir la nouvelle, aujourd’hui, que les employeurs peuvent couper le salaire de moitié si vous êtes absent du travail. Cela implique la possibilité de licenciements moins chers et plus aisés. Et cette loi ne sera pas présentée devant parlement. Elle a été décidée dans les cercles les plus élevés d’UE et la seule chose nécessaire après un accord formel avec l’UE est la signature, au bas du document, du ministre grec des Finances.

Nous nous trouvons dans une situation nouvelle. La question de la démocratie surgit ici avec clarté. Qui décide ? Ces experts – que personne ne connaît, que personne n’a élus et que personne ne peut contrôler – qui prennent des décisions très importantes pour la vie de millions de travailleurs et travailleuses.

Que s’est-il passé ? Le 5 mai 2010, nous avons eu une grève générale. Elle était très importante. Personne n’a travaillé ce jour-là. En même temps, des manifestations ont eu lieu dans toutes les villes de Grèce. Et à Athènes, plus de 150'000 personnes sont descendues dans la rue.

Ce n’est pas seulement une question de quantité. Vous pouviez sentir que c’était une manifestation tout à fait significative. C’était la première fois que les slogans révolutionnaires de la gauche étaient repris par des secteurs importants de travailleurs et de travailleuses. Ils étaient très fâchés. Durant trois heures, la police – qui défendait le bâtiment du parlement avec des gaz lacrymogènes et des gaz asphyxiants – ne s’affrontait pas seulement aux «anarchistes», aux forces de la gauche radicale, mais à des chauffeurs de bus, des infirmières, des enseignants, des médecins, des employé·e·s et évidemment aussi aux divers tronçons de la gauche. Durant trois heures, au centre d’Athènes, il y eut un vrai affrontement, traduisant la colère de la population.

Aujourd’hui j’avais une discussion [aux Etats-Unis] avec des membres de IWW [Industrial Workers of the World] et j’ai entendu des questions de camarades concernant les relations entre les actions dans les entreprises, sur les lieux de travail et la perspective politique. Lors du 5 mai, nous avons beaucoup appris à ce sujet.

Une banque – la seule banque qui était ouverte au centre d’Athènes, la banque Marfin – a été incendiée. Quelques jeunes anarchistes – plus exactement ledit Black bloc, ultra-violent et a-politique – avaient lancé des cocktails molotov à l’intérieur. Le propriétaire de la banque avait enfermé les employé·e·s dans la banque. Ainsi, ils ne pouvaient pas faire grève et pas rejoindre la manifestation de masse. Mais, ils ne pouvaient aussi pas se sauver face à l’incendie. Trois ont péri dans le feu. Ce fut un événement très grave.

Immédiatement, les médias, le gouvernement et tous les partis politiques – à l’exception de la coalition dont nous (DEA) faisons partie, SYRIZA, qui s’est placée en dehors de ce débat – a initié un débat sur ce type de violence. Ils posèrent la question suivante, publiquement: si ce type d’action continue où cela nous mènera-t-il ? Peut-être que cela se terminera par une dictature, ce qui sonne de manière particulière en Grèce. Le gouvernement et les médias en firent un thème politique dominant, multipliant les accusations contre toute la gauche radicale.

Toutefois, médias et forces politiques dominantes, ainsi que des secteurs des appareils syndicaux ne purent pas contrôler la population avec de tels moyens plus de deux semaines. En effet, le 20 mai 2010, une nouvelle grève générale était convoquée, sous la pression. Elle fut plus suivie que la précédente. Personne ne travaillait. La manifestation fut néanmoins un peu plus petite que le 5 mai. Mais elle était suffisamment massive pour administrer la preuve que le choc qui fit suite au décès des employés de Marfin – et la vaste campagne médiatique et gouvernementale qui s’ensuivit – n’avait pas paralysé la population salariée.

La résistance continua. Au cours des derniers jours, se sont développées des actions quotidiennes dans les hôpitaux, les écoles et dans les médias contre les licenciements et pour des augmentations de salaires. Donc si vous avez des projets de faire du tourisme en Grèce cette année, oubliez-les. Mais si vous voulez venir pour d’autres raisons vous serez très bien reçus.

Ces grèves et manifestations ont fait la démonstration du potentiel qui existe dans la société afin de rejeter cette politique d’austérité brutale et ceux qui la mènent: le gouvernement, l’UE et le FMI. Mais nous devons en administrer la preuve, de manière concrète.


Le cinquième point que je voudrais traiter concerne la gauche. Nous savons que la résistance à une politique d’austérité de cette sorte implique des grèves et des batailles politiques. Êt la seule arme dont les travailleurs et les travailleuses ont pour mener ce genre de lutte au plan politique sont les forces que l’on qualifie de gauche. Et, la gauche en Grèce ne dispose ni de la force, ni est à la hauteur des défis et des attaques menées par la coalition des institutions et des forces sociales dominantes que j’ai mentionnées. C’est un problème qui concerne toute l’Europe, car une situation analogue existe dans tous les pays européens.

La force dominante en Grèce [à gauche du PASOK gouvernemental] est le Parti communiste (KKE). Il a deux caractéristiques. Il est extrêmement sectaire. Même lors de la grève et manifestation du 20 mai 2010, il a refusé de participer au cortège ensemble avec les autres forces. La grande manifestation, réunissant les syndicats, SYRIZA et d’autres forces de la gauche radicale, s’est rendue au centre d’Athènes, devant le parlement. Ce qui ne s’était plus fait depuis des années en Grèce. Par contre, le Parti communiste ne s’est pas rendu au centre d’Athènes ; il s’est dirigé vers une place à la périphérie (une place pour touristes), afin de ne pas se mélanger aux autres forces.

En général, le sectarisme est souvent une erreur gauchiste. Dans ce cas, cette attitude relève d’une orientation droitière. Dans toute l’Europe, les gens savent que l’unité d’action constitue une précondition pour renforcer et stimuler la résistance. Si vous n’êtes pas, dans de telles circonstances, pour une unité dans l’action, vous ne participez pas au combat.

En même temps, le PC est très conservateur. Dans des moments cruciaux pour le système, le Parti communiste est rattrapé par son histoire et ce qu’il a fait dans le passé. Ainsi, lors de la révolte étudiante de 2008, le PC (KKE) s’est aligné sur les partis bourgeois contre la jeunesse en affirmant: «Dans notre révolution, pas un verre ne sera brisé.» De telles révolutions n’existent pas.

En fait, l’extrême-droite a demandé au gouvernement de confier le ministère de l’Intérieur (police) au Parti communiste en affirmant que c’était le seul parti qui pouvait contrôler de tels processus de révolte. Je sais que cela est difficile à croire et à accepter, mais c’est simplement des faits que je rapporte, et de la manière la plus honnête et sobre.

SYRIZA est une coalition formée avec un parti important issu de la gauche historique grecque, du nom de Synaspismos, une organisation avec une orientation que les plus âgés d’entre vous se rappellent comme ayant été qualifiée «d’eurocommuniste».

Nous exerçons une pression très forte sur cette formation. Elle est devenue un peu plus radicale, étant donné la situation. Mais, elle est très accommodante en direction de l’Union européenne et elle est marquée par le «réalisme». Même dans les circonstances dramatiques présentes, Synaspismos cherche une alternative réaliste pour trouver comment les banques pourraient fonctionner, comment on pourrait payer la dette, comment le système de retraite pourrait être transféré dans de meilleures conditions. Ce qui est ridicule dans une telle situation. Vous ne pouvez pas changer un détail dans un programme complet de contre-réformes, d’attaque contre les salarié·e·s. Vous ne pouvez que le rejeter.

A l’intérieur de SYRIZA, il y a une tendance de masse de gauche. Et nous faisons tout – avec d’autres forces – pour que SYRIZA soit dans la situation: a) d’organiser les luttes ; b) de prendre des positions politiques qui ne sacrifient pas la situation des travailleurs et travailleuses au nom du maintien de l’euro.

Cela implique: pas de sacrifice au nom du paiement de la dette ; pas de paiement de la dette ; pas d’acceptation de la discipline imposée par l’UE et pas de soumission au Pacte de stabilité de l’UE qui exige des coupes anti-sociales dans le budget.


Le sixième point que je veux aborder concerne la dimension européenne du processus en cours. Tout d’abord, la crise. Le même programme d’austérité est déjà mis en avant au Portugal, en Irlande, en Italie, en Grèce, en Espagne, dans les PIIGS comme le disent les grands médias «anglo-saxons». En même temps, un tournant est en train de s’opérer en France, de même qu’au Royaume-Uni. En réalité, en Allemagne, la classe ouvrière fait face à une offensive analogue, conduite par le gouvernement de coalition d’Angela Merkel. Suivant les pays, la classe ouvrière est dans une meilleure position et la bourgeoisie plus forte, donc les rythmes sont différents, mais sur le fond c’est la même offensive qui se développe.

J’ai déjà indiqué quel type de programme social et économique se trouve au centre de cette attaque anti-ouvrière. Je tiens à souligner de nouveau que cela pose un problème urgent et important d’ordre démocratique. Les décisions concernant tous ces pays sont prises au sommet de l’UE, avec l’ECOFIN (les ministres des finances des différents gouvernements). Il y a quelques semaines, à Bruxelles, l’UE a décidé de la création d’un fonds de 750 millions d’euros – environ 1 milliard de dollars – qui sera abondé par les gouvernements européens, afin de sauver les banques d’une faillite suite à un défaut possible d’un gouvernement (qui ne pourrait plus assurer le service de sa dette souveraine).

Quelque 30% de cet argent ira directement vers les banques ; hors du contrôle des gouvernements, des parlements et de toutes les institutions que nous connaissons. En échange, tous les budgets des Etats membres de l’UE ne seront pas présentés d’abord devant les parlements de ces pays, mais prioritairement devant la Commission de l’UE. Elle disposera du droit de les modifier (s’ils ne correspondent pas aux objectifs fixés).

L’établissement d’un budget par les parlements élus représentait une première étape du passage d’un régime féodal oligarchique vers un régime démocratique. Nous nous dirigeons dans une direction inverse.

La résistance a une dimension européenne. Il y a eu des grèves et des mobilisations en Hongrie, en Roumanie, en Espagne, en France.

Peut-on émettre un pronostic ? Puis-je vous prédire ce qui va se passer. La réponse est NON, en toute honnêteté. Ce que je puis affirmer: la situation en Europe change. Des batailles importantes se profilent devant nous ; elles sont d’une dimension historique. Le potentiel pour gagner existe. Imaginez ce que les classes ouvrières desdits PIIGS ont fait dans le passé. La situation est certes fort différente, mais un potentiel et une mémoire existent. Nous faisons face à une situation nouvelle en Grèce, en Europe et dans le monde. A nous d’en tirer les conclusions. (Traduction A l’Encontre)

Addendum (14 juillet 2010)

La grève générale du 9 juillet 2010 fut un succès. Et les mobilisations dans les principales villes du pays furent d’une grande ampleur, même si inférieure en nombre à celle du 5 mai 2010. Avec l’acceptation par le parlement, le 8 juillet 2010, de la réforme de la sécurité sociale et du Code du travail, une première étape prend fin. Cette étape se conclut avec la 7e grève générale depuis que le gouvernement du PASOK a été élu en octobre 2009 et la 6e au cours de l’année 2010.

Entre, les diverses journées de grèves générales, divers secteurs se sont mobilisés et ont engagé des arrêts de travail. En particulier dans le secteur public: chemin de fer, bus, dockers, travailleurs et travailleuses des hôpitaux. Leurs grèves étaient très suivies et combatives.

Le 13 juillet, très souvent, les employés des municipalités et des entités régionales du pays, ont engagé un mouvement de grève. Ils ont occupé des bâtiments municipaux. Le 12 juillet, ceux et celles du système de sécurité sociale avaient fait de même. Et le 15 juillet, une manifestation est prévue de la part des travailleurs du secteur public devant le parlement, après des arrêts de travail.

Les derniers sondages indiquent que les partis de la droite et le PASOK – c’est-à-dire, les partis gouvernementaux traditionnels – obtiennent les résultats les plus bas de leur histoire: 90% des personnes interrogées rejettent leur politique.

Certes, on peut penser que la prochaine étape sera marquée par de nouvelles mobilisations. Néanmoins, de nombreuses questions restent en suspens. Pourquoi les dernières grèves n’ont-elles pas atteint le niveau de celle du 5 mai 2010 ? Une des premières réponses à cette question: la façon dont les appareils bureaucratiques ont «organisé» la bataille. Ils ne maintiennent pas la pression. Ils laissent un espace de temps fort long entre chaque mobilisation. Ils appellent à la grève générale, mais ils n’organisent pas les travailleurs et travailleuses sur les lieux de travail. On peut y ajouter: l’orientation sectaire des syndicalistes liés au Parti communiste (KKE), avec leur secteur syndical (PAME). Le PC organise, à chaque fois, «sa» manifestation à côté des manifestations unitaires, pour ne pas dire à des kilomètres de distance.

Mais la difficulté essentielle réside dans ceci: s’engager dans une grève est de plus en plus lié, pour les salarié·e·s, à des interrogations sur les perspectives. Et, ici, pèse de son poids le manque d’une réponse socio-économique alternative assez largement partagée et à la hauteur des enjeux ; l’absence ou l’insuffisance manifeste d’une perspective politique alternative face aux attaques de la classe dominante, avec ses partis gouvernementaux. Sur ce terrain, la gauche n’a pas réussi à se hisser au niveau exigé par la situation. Plus exactement, elle n’a pas (encore) réussi à produire une expression politique et semi-organisationnelle qui puisse donner une sorte de cadre aux forces engagées dans ce qui est une guerre de classes ; un cadre qui donne plus de cohérence et de forces réunies – à l’image d’un tuyau canalisant la vapeur et lui donnant plus de force d’impact – faisant écho à la rage sociale, qui existe, mais qui est aussi hésitante, interrogative.

Dans les mois à venir, la classe ouvrière, les salarié·e·s vont ressentir dans leur vie quotidienne les effets de la politique économique et sociale réactionnaire. Cette politique va accentuer la crise sociale. L’armée de réserve de chômeurs et chômeuses va se gonfler. Cette situation va certainement ouvrir une nouvelle étape dans l’affrontement avec le gouvernement et la troïka (la BCE, l’UE et le FMI). Car, viendra l’heure, dès septembre 2010, de l’entrée en vigueur des lois qui ont été adoptées, plus exactement imposées.

Pour la mi-septembre s’organise déjà la réception des représentants de la «troïka» à Athènes ; une délégation qui viendra pour examiner la «bonne application» des mesures imposées. Et pour le 29 septembre 2010 se prépare la participation à la journée européenne de mobilisation contre les programmes d’austérité. Ces simples échéances – et ce qu’elles représentent en termes de rapports de force, d’avancée ou de recul, ou de piétinement – indiquent les défis très concrets auxquels le prolétariat grec doit faire face, et, avec lui, les prolétariats – au sens de l’ensemble des salarié·e·s contraints de vendre leur force de travail – de l’Europe entière. (Traduction et édition A l’Encontre)

* Antonis Davenellos est journaliste, dirigeant du syndicat des journalistes et l’un des principaux animateurs de DEA (la Gauche ouvrière internationaliste). Il a fait cet exposé à l’occasion de la tenue de Socialism 2010, «université d’été» organisée chaque année par l’ISO (International Socialist Organization) à Chicago et à San Francisco. L’addendum a été écrit sur la base de notes de Sotiris Martalis de la direction de DEA et syndicaliste reconnu du secteur des enseignants. Il sera présent lors des rencontres d’été (27-29 août 2010) organisées par La Brèche, Debatte, Solidarieta et le site A l’Encontre.

(26 juillet 2010)

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