Maquette de l'EPR (2004)
Energie: surtout que rien ne change !
Benjamin Dessus et Bernard Laponche *
L’article que nous publions ci-dessous traduit les préoccupations de scientifiques sur la «crise climatique», entre autres face à la relance du nucléaire. Un des auteurs, B. Dessus, est membre du réseau Global Chance. C’est une association de scientifiques qui s’est donnée pour objectif d’utiliser la prise de conscience des menaces qui pèsent sur l’environnement global pour promouvoir les chances d’un développement mondial équilibré. Elle édite «Les cahiers de Global Chance». Ne sont pas posées, ici, les questions relevant du rapport entre le mode de production capitaliste, le pouvoir et les exigences fortes du capital mondialisé ainsi que la liaison nécessaire (comme urgente) à établir entre une réponse à ce qui est appelé la crise climatique et un changement, à la racine, des modalités de production et donc du pouvoir de ceux qui en détermine le fonctionnement «profitable». Toutefois, les points mis en relief indiquent combien le thème abordé exige des réponses qui vont bien au-delà de «l’écologie» servie par les pouvoirs politiques des pays européens. (Réd.)
Février 2007: le GIEC [1] rend public son dernier rapport sur l'évolution du climat de la planète. Il en attribue sans ambiguïté la responsabilité première à notre consommation débridée d'énergie. Il faudrait diviser les émissions de gaz à effet de serre d'un facteur 2 en 2050 au niveau mondial, d'un facteur 4 dans notre pays.
Les médias font leur une de ces préoccupations. Nicolas Hulot [2] devient le messie d'une classe politique qui affiche sa «conversion». Tout semble donc réuni pour voir enfin bouger les choses.
Eh bien non ! Il suffit que la campagne présidentielle aborde la question des économies d'électricité et de la production nucléaire pour qu'une levée de boucliers des soi-disant convertis nous ramène à la réalité: il ne faut toucher ni à l'électricité, ni au nucléaire. Qu'en est-il en réalité ? Avec près de 80 % d'électricité nucléaire, EDF (Electricité de France) fournit 17 % de l'énergie finale des Français. Le reste, ce sont d'abord les produits pétroliers (47 %), ce qui montre bien les limites de «notre indépendance énergétique». D'ailleurs, la consommation de pétrole en France par tête d'habitant n'est pas inférieure à celle de nos voisins européens.
Il ne sera donc manifestement pas possible de diviser par 4 nos émissions de CO2 en 2050 sans toucher à notre consommation d'énergie. La plupart des experts considèrent qu'il faut la diviser par 2, le reste du parcours pouvant être accompli grâce aux substitutions d'énergies et aux technologies de captation et stockage du CO2.
Mais peut-on exonérer l'électricité de cet effort d'économie sous le prétexte qu'elle serait majoritairement produite par du nucléaire et la laisser déraper et imaginer une politique hardie d'économies d'énergie qui maintiendrait une exception électrique ? La réponse est manifestement non: il est indispensable que l'effort d'économie concerne aussi l'électricité. Dans le contexte d'une volonté européenne affichée de diminution de 20 % en 2020 de la consommation d'énergie par rapport à la poursuite des tendances, on devrait au moins se fixer l'objectif d'une stabilisation de la consommation d'électricité en France au niveau actuel. Dans ce contexte, il serait logique d'examiner la place du nucléaire en 2020, à la lumière même des objectifs affichés dans la loi sur l'énergie de 2005: limitation des émissions, compétitivité, diversification des moyens de production, sécurité d'approvisionnement. Sans oublier notre engagement européen de produire 21 % de notre électricité dès 2010 avec des renouvelables.
On voit bien alors que la politique de relance du nucléaire, en particulier avec l'EPR [nucléaire dit de nouvelle génération: European Pressurized Reactor, qui selon EDF devrait entré en service en 2012), est à la fois inutile, contre-productive et dangereuse.
Inutile parce que le nucléaire occupe encore pour longtemps une part trop forte dans notre bilan électrique au titre de la compétitivité économique, de la sécurité d'approvisionnement et de la diversification énergétique, de la réduction des risques spécifiques associés (accidents majeurs, prolifération, déchets nucléaires).
Contre-productive parce que son contenu en emplois est très inférieur à celui des programmes d'économies d'énergie et d'énergies renouvelables, comme nous le montrent aujourd'hui les programmes allemand et espagnol et parce qu'il renforce la concentration déjà abusive des moyens de production d'électricité.
Dangereuse parce que ce dérapage renforcerait la vulnérabilité de notre système électrique aux accidents génériques et aux agressions extérieures, nous rendrait encore plus captifs des importations d'uranium, sans empêcher l'augmentation de la contribution du système électrique aux émissions de CO2, du fait du renforcement des besoins de pointe, dont une part croissante reposerait sur les énergies fossiles.
Plutôt que de tourner en dérision toute inflexion de leur politique, comme ils viennent de le faire à propos des propositions de réduction progressive de la part du nucléaire, la majorité [gouvernementale], l'administration et les producteurs seraient bien avisés d'analyser avec plus de sérieux les propositions qui émergent dans la campagne présidentielle. Elles n'ont finalement pour but que de rendre possible l'atteinte à terme des objectifs ambitieux que la majorité continue d'afficher, sans la moindre chance d'y parvenir.
* Benjamin Dessus est président de l'association Global Chance. Bernard Laponche est expert international en politiques énergétiques. Article publié dans le journal économique Les Echos du 21 février 2007.
1. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat d'économistes. Voir sur ce site l’entretien avec Edouard Bard «La menace d'un changement climatique dangereux se confirme». 2 février 2007. (NdR)
2. Nicolas Hulot: vedette médiatique en France, animateur de l’émission Ushuaïa Nature sur la chaîne Tf1 – châine appartenant au bétonneur transnational Bouygues (Bouygues Construction, Bouygues Immobilier et Colas) qui opère aussi dans la téléphonie) - qui a poussé les «grands» candidats aux élections présidentielles française à signer en engagement dit écologique et a «menacé», durant un certain temps, de se présenter comme candidat aux présidentielles. (NdR)
(22 février 2007)
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