Economie
Les salarié·e·s “coûtent" et les charges "pèsent"... alignons les salaires
sur les plus bas du "marché du travail" en voie de mondialisation...
Les charges sociales
Alain Bihr
Nous publions une nouvelle contribution d'Alain Bihr * sur la «novlangue du néo-libéralisme». Le travail sur le vocabulaire effectué par la droite et les sociaux-libéraux se diffuse dans les rangs de ladite gauche, au point d'emprisonner sa réflexion. (réd).
On ne compte plus les éditoriaux de journalistes inféodés aux intérêts actuels du patronat qui s’en prennent au poids supposé excessif des charges sociales, voire pour les plus radicaux d’entre eux au principe même de ces dernières. Ils relaient la longue plainte des chefs d’entreprise que ces charges sont supposées écraser et exigent à cors et à cris leur allégement voire leur suppression pure et simple. Et ils servent de discours d’accompagnement et de justification à la liste désormais longue des mesures prises, au cours de ces dernières années, pour les réduire effectivement, occasionnant du même coup des coupes sombres dans les prestations sociales qu’elles financent. De toutes parts donc, haro sur les charges sociales !
Ces attaques convergentes accusent unanimement les charges sociales d’être à la racine de quelques-uns des principaux maux qui minent notre société. Le sous-emploi, d’une part, car ces charges excessives, enchérissant le «coût du travail», dissuaderaient voire empêcheraient les entrepreneurs d’embaucher. L’irresponsabilité et l’oisiveté des assurés sociaux, d’autre part, abusant des prestations sociales (d’assurance-maladie par exemple) ou préférant en vivre chichement (tels les Rmistes et les chômeurs indemnisés) plutôt que d’exercer un emploi. Enfin, bien évidemment, les administrations chargées de gérer ce mécanisme redistributif, repères de «fainéants» ou d’«incapables» vivant aux crochets de forces vives de l’économie.
Pour saisir la pleine signification de ces attaques ainsi que leur enjeu, un détour théorique s’impose. Il faut commencer par en revenir au principe même du rapport salarial et de son présupposé majeur, la transformation de la force de travail en marchandise pour rappeler quelques spécificités de cette marchandise. Ce faisant, je risque de donner l’impression de m’éloigner de mon sujet, comme chaque fois qu’il est nécessaire de procéder à un détour. Je demanderai donc au lecteur de faire preuve d’une certaine patience.
Les spécificités de la force de travail comme marchandise
Tout travail salarié – et l’immense majorité du travail social prend aujourd’hui une forme salariée – qu’il soit ou non dominé et exploité de manière capitaliste, suppose que la force de travail soit transformée en une marchandise. Cette transformation présuppose elle-même que les travailleurs ne soient pas (ou plus) en mesure d’utiliser directement cette force de travail, en produisant un bien ou un service qu’ils pourraient consommer eux-mêmes ou qu’ils pourraient mettre en vente pour se procurer d’autres biens ou services. Ils ne le peuvent pas (ou plus) parce qu’ils sont tout simplement dépourvus de tout moyen de production propre. Ce sont des producteurs (potentiels) expropriés de tous moyens de production, leur seule propriété économique restant précisément leur force de travail. Dès lors, le seul usage qu’ils puissent faire de cette dernière est de la mettre en vente, en espérant que quelqu’un trouve un intérêt quelconque à la leur acheter.
Comme toute marchandise, la force de travail possède une valeur d’usage (une utilité) et une valeur d’échange (qui s’exprime sous forme de prix, d’une quantité déterminée de monnaie). Sa valeur d’usage, c’est sa capacité de fournir un travail en général ou tel genre de travail bien particulier, pour lequel elle a acquis des facultés spécifiques (un savoir-faire, une dextérité, une expérience, une technique, un savoir spécialisé, etc.)
Quant à sa valeur d’échange, elle est déterminée en principe, comme celle de toute marchandise, par la quantité moyenne de travail social nécessaire à sa production. C’est là que commencent les difficultés. Car que peut bien signifier une pareille expression dans le cas de la force de travail, autrement dit pour ce qui concerne l’ensemble des facultés ou capacités, incorporées par les hommes en général, par tel groupe d’hommes en particulier, voire par tel homme bien singulier, et qui les (le) rendent aptes à produire un travail en général, à occuper un emploi particulier, à effectuer une opération singulière ? Autrement dit, comment définir et mesurer la quantité moyenne de travail social nécessaire à la production d’une force de travail en général ou telle force de travail bien particulière ? C’est là une question que pose inévitablement le rapport salarial et qu’il lui faut non moins nécessairement résoudre, puisqu’il repose précisément sur la transformation de la force de travail en marchandise.
Différents éléments entrent en fait dans la composition de la force de travail et, partant, dans la mesure de sa valeur. En allant des plus simples au plus complexes à analyser, on peut ainsi distinguer:
- En premier lieu, tous les éléments (tous les biens et services) nécessaires à l’entretien quotidien du travailleur lui-même, qui lui permette de reconstituer quotidiennement sa force de travail et de poursuivre par conséquent son effort productif tout le long de sa vie active. Ces biens et services doivent être en qualité et quantité nécessaires pour permettre au travailleur de satisfaire l’intégralité des besoins qui lui permettent non seulement de rester en vie mais de déployer les facultés et capacités qui constituent sa force de
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