Chine: grève à l’usine de LG Nanjing

En date du 27 décembre 2011, China Labour Watch diffusait, en anglais, le communiqué publié ci-dessous, ayant trait à la grève dans une usine propriété du groupe sud-coréen LG. L’entretien que nous reproduisons, à la suite, avec le porte-parole du China Labour Bulletin permet aussi d’appréhender quelques aspects des «luttes sociales» à l’œuvre en Chine au cours de la dernière période. (Rédaction A l’Encontre)

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Le 26 décembre, 8000 travailleurs chinois se sont mis en grève à Nanjing dans une usine de la firme sud-coréenne LG Display. Selon les travailleurs dont les propos sont cités sur des sites chinois, cette grève a été motivée par la discrimination inhérente au système de primes de fin d’année. En effet, les travailleurs chinois ne reçoivent à titre de prime de fin d’année que la somme équivalant à un mois de salaire, alors que cette prime pour des travailleurs coréens se monte à l’équivalent de six mois de salaire.

La grève se poursuit malgré les menaces de la direction qui avertit qu’elle bouclera entièrement l’usine et intentera des procès aux dirigeants de la grève. Aujourd’hui, la direction de l’usine a proposé de doubler la prime de fin d’année pour les travailleurs chinois afin qu’elle atteigne une somme équivalant à deux mois de salaire. Cette offre a été immédiatement rejetée par les travailleurs qui exigent que le système de prime de fin d’année soit modifié de manière à introduire une égalité absolue dans les traitements des travailleurs chinois et coréens.

La grève a commencé le 26 décembre lorsque les travailleurs ont quitté leurs postes de travail et se sont assemblés sur le terrain de sport du complexe industriel. Au début, seuls les travailleurs du bâtiment numéro quatre ont participé au rassemblement, mais ils ont bientôt été rejoints par les travailleurs des autres ateliers de l’usine. Un peu plus tard les protestataires sont parvenus à bloquer complètement les 80 différentes chaînes de montage.

Une vidéo postée par les travailleurs grévistes sur le site vidéo chinois 56.com montre comment les choses se sont déroulées. Plus tard, dans la journée, des représentants de l’usine ont tenté de négocier avec les travailleurs en grève dans la cafétéria de l’usine. Les représentants de la direction ont expliqué qu’ils espéraient pouvoir entrer en matière sur les doléances des travailleurs et leurs revendications, mais à condition que les grévistes reprennent d’abord normalement leur travail «de manière ordonnée».

Les travailleurs – qui avaient déjà exprimé clairement leur désir de recevoir une compensation pour leur travail équivalente à celle que recevaient leurs homologues coréens – ont eu le sentiment qu’il n’y avait aucun projet de satisfaire leurs revendications. Ils ont dès lors quitté la cafétéria en masse. Le travailleur qui a mis en ligne la vidéo a écrit: «A la fin de la grève, ils ne pourront plus se contenter de répondre poliment à nos revendications inébranlables. Unis nous sommes forts, et nous persévérerons jusqu’à ce que nous obtenions une victoire

En quittant la cafétéria, les travailleurs ont bousculé des tables et des chaises et renversé l’arbre de Noël. A part cela, les protestataires ont été en grande partie pacifiques. Les seules exceptions se sont produites pendant les conflits avec la police qui ont entraîné quelques affrontements. Néanmoins on n’a pas rapporté de blessures en rapport avec la grève.

Selon les travailleurs, l’usine a été le théâtre de plusieurs grèves moins importantes par le passé à cause des mauvais traitements subis par les salariés au cours des années. L’usine a des exigences démesurées à l’égard de ses ouvriers, les obligeant à travailler jusqu’à douze heures par jour. Beaucoup de travailleurs n’arrivent pas à supporter la pression de ces longues heures de travail et sont obligés de démissionner. Malgré le fait que les ouvriers travaillent jusqu’à 290 heures par mois, leur salaire mensuel ne dépasse jamais 2700 RMB (approximativement 430 dollars, ou 409 CHF). Enfin, la nourriture de la cafétéria est fade et peu nutritive.

Des travailleurs des usines appartenant à LG et implantées dans la province de Guandong ont rapporté, sur des sites chinois, qu’ils ont également été soumis au même traitement injuste que leurs collègues de Nanjing. Même s’il n’y a pas eu de manifestations jusqu’à maintenant, les ouvriers de la région de Guangdong sont tout à fait conscients de la situation à Nanjing et s’interrogent sur ce qui va se passer. [La grève a pris fin, le 29 décembre, après trois jours. Il semble qu’ils ont obtenu une prime équivalant à deux mois de salaire.]

L’usine de Nanjing fabrique des LCD, des téléviseurs, des téléviseurs LED et des écrans d’ordinateur pour LG Display Corporation, une filiale du groupe LG. Le groupe LG est un conglomérat (chaebol) fabriquant, entre autres, du matériel électronique. Il a été fondé en 1947 en Corée du Sud. En 2011, il avait un chiffre d’affaires de 48,24 milliards de dollars et était le deuxième conglomérat en taille en Corée du Sud, après Samsung. (Traduction A l’Encontre)

 

Un reportage de NTDTV


«Ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts»

Plus de 10’000 ouvriers se sont mis en grève depuis la fin novembre 2011 dans le Guangdong, où sont basées la majorité des usines travaillant pour l’export. «Les mouvements sociaux vont augmenter car un nombre croissant d’ouvriers en usines, et dans d’autres secteurs comme les transports, n’arrivent plus à joindre les deux bouts», estime Geoffrey Crothall, porte-parole de China Labour Bulletin, une ONG basée à Hongkong, qui défend les droits des travailleurs chinois.

Quel est l’impact du ralentissement de l’économie chinoise?

Pendant la crise de 2008, vingt millions d’ouvriers migrants sont rentrés chez eux faute de travail, mais il serait surprenant, cette fois-ci, que les choses aillent aussi mal. Certaines entreprises ferment, mais d’autres continuent d’embaucher. La différence est que, naguère, les ouvriers se laissaient faire. Là, ce n’est plus le cas. Leur pouvoir de négociation s’est accru en raison d’une pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans un nombre croissant de secteurs. De plus, ils n’hésitent plus à réclamer leurs droits et s’organisent de mieux en mieux.

D’où proviennent ces pénuries de main-d’œuvre?

La principale raison est démographique. Il y a de moins en moins de jeunes sur le marché du travail, or les entreprises n’embauchent que les moins de 30 ans.

Combien y a-t-il de grèves en Chine?

On recense environ 30’000 grèves et arrêts de travail par an, mais on en attend davantage, car les entreprises en difficulté suppriment les heures supplémentaires, sans lesquelles les ouvriers ne gagnent pas assez pour vivre. D’autres protestent contre le transfert de leur usine dans des régions meilleur marché, car les patrons en profitent pour leur faire signer des contrats moins «avantageux».

Combien gagnent les ouvriers?

Au cœur de la zone industrielle chinoise, dans le Guangdong, un ouvrier gagne entre 1200 et 1400 yuans mensuels (140 à 165 euros; soit entre 171 et 201 CHF) et 2000 yuans (235 euros, soit 287 CHF) avec les heures supplémentaires – soit dix heures par jour et six jours par semaine.

Comment les ouvriers s’organisent-ils puisque les syndicats libres sont interdits?

Avec les microblogs et les téléphones mobiles, souvent en très peu de temps. Quelques volontaires suffisent à lancer un mouvement de milliers d’employés, car tous font face aux mêmes problèmes.

Comment se terminent les grèves?

Généralement par un accord a minima entre la direction et les délégués des grévistes. Bien qu’ils ne soient pas officiellement reconnus [des syndicats contrôlés par le Parti], ces derniers s’asseyent souvent à la table des négociations. Mais ces délégués sont parfois harcelés ou contraints à la démission. Il arrive aussi que le gouvernement local agisse en médiateur. Cet été, nombre d’ouvriers ont remporté de grandes victoires, avec des augmentations de salaire de 50%, mais ce genre de concessions n’est plus envisageable en raison du ralentissement économique.

Existe-t-il des fédérations syndicales clandestines?

Tant que la mobilisation ouvrière se fait usine par usine, les autorités ne s’en inquiètent pas trop. Mais si des fédérations clandestines se constituaient, elles seraient immédiatement réprimées.

Pourtant, désormais, les autorités répriment rarement les grèves…

Elles emprisonnent quand des violences éclatent. Sinon, c’est rare, car il y a trop de grèves, et les prisons seraient pleines. En revanche, elles imposent un black-out médiatique.

Pékin vient d’annoncer un renforcement de sa «gestion sociale». A quoi peut-on s’attendre?

Le gouvernement chinois va sans doute accroître la surveillance afin de mieux prévenir les grèves et les conflits sociaux. La police a jusqu’alors échoué de ce point de vue, et il n’y a pas de raison de penser qu’elle réussira cette fois. Les autorités n’ont pas encore compris que pour réduire les conflits du travail, il est nécessaire d’établir un système de communication entre les employés et la direction des entreprises, et cela n’est possible qu’au travers de syndicats représentatifs qui défendent réellement les intérêts des ouvriers. Tant qu’un tel mécanisme n’existe pas, il y aura de plus en plus de conflits du travail.

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Cette entretien a été effectué par Philippe Grangereau pour le quotidien français Libération, mis en ligne le lundi 26 décembre 2011.

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