Bachar el-Assad affame la Palestine à Damas

Le camp de Yarmouk, fin décembre 2013
Le camp de Yarmouk, fin décembre 2013

Par Jean-Pierre Filiu

Il y a déjà un an, je vous rapportais comment l’aviation de Bachar el-Assad bombardait le plus grand camp palestinien de Syrie, Yarmouk, au sud de Damas.

Malgré les frappes massives et les offensives répétées du régime contre ce camp de réfugiés, jamais les partisans du dictateur n’ont pu en reprendre le contrôle. La population civile, première victime des combats acharnés, est tombée de cent mille à vingt mille personnes. Vingt mille femmes et hommes pris au piège. Car Bachar el-Assad a décidé d’imposer un siège sans merci à Yarmouk pour enfin y briser la résistance.


Cinq personnes sont mortes de faim

Le camp est encerclé depuis février 2013, mais un point de passage vers le reste de la capitale syrienne, contrôlé par les forces gouvernementales, continuait d’être ouvert. Ce barrage a été scellé en juillet dernier, malgré les appels répétés de l’ONU à la levée du siège.

Le 27 décembre 2013, la nouvelle est tombée que cinq personnes étaient mortes de faim à Yarmouk. Parmi les victimes, une femme, un handicapé et un vieillard. Le camp de réfugiés étant coupé du monde, il est possible que le bilan soit plus élevé. En tout état de cause, la population épuisée va payer un très lourd tribut aux rigueurs de l’hiver, car il a neigé à Damas ces derniers jours, une catastrophe pour les réfugiés assiégés.

Le Fatah et le Hamas, trop occupés à se quereller entre Ramallah et Gaza, ne se soucient guère des réfugiés palestiniens de Syrie. Abandonnés par l’OLP comme par ses rivaux islamistes, ils sont aussi refoulés lorsqu’ils tentent d’accéder à la Jordanie voisine, soucieuse de ne pas accueillir une population palestinienne supplémentaire.

Les «réfugiés du rap», groupe né dans le camp de Yarmouk, ont récemment lancé un poignant cri de détresse.

 

Avant cette terrible année 2013, le camp de Yarmouk nourrissait un sentiment d’appartenance paradoxal chez les enfants de réfugiés nés sur place, et considérés eux aussi comme «réfugiés palestiniens» à la fois par l’ONU et par la Syrie. Le documentaire «Les chebabs de Yarmouk» suivait avec émotion le parcours d’un groupe de ces jeunes, jusqu’aux premiers mois de la révolution. Depuis, ces Palestiniens sont dispersés, ont disparu ou sont exilés.

L’arme de la faim n’est pas utilisée par le régime Assad contre les seuls Palestiniens. Une dizaine de quartiers ou de localités sont ainsi soumis à un siège impitoyable, au point d’avoir suscité une campagne internationale de protestation, à laquelle Noam Chomsky ou Jürgen Habermas ont apporté leur soutien.

 

«Affamement systématique»
«Affamement systématique»

Après l’arme chimique, celle de la faim

Cette technique de guerre totale s’est généralisée après l’échec relatif des attaques chimiques menées par le régime, le 21 août 2013, contre des banlieues de Damas contrôlées par la révolution. Certes, Bachar el-Assad non seulement n’a jamais été sanctionné pour ce crime de masse, il a même été validé comme partenaire incontournable du désarmement des armes chimiques, prescrit par un accord russo-américain et mis en œuvre par l’ONU.

Mais les attaques chimiques ont échoué à écraser les bastions de la révolution visés ce jour-là.

C’est surtout le cas à Moadamiya, cible majeure des bombardements au gaz sarin du 21 août 2013, soumise depuis lors à un siège sans merci. Les forces gouvernementales laissent parfois une échappatoire, où se précipitent des centaines de civils paniqués.

Un accord a finalement été conclu entre le régime et les insurgés, le 25 décembre. Il stipulait que le drapeau révolutionnaire céderait la place au drapeau gouvernemental à Moadamiya. Malgré cette reddition symbolique, la trêve a été rompue dès le lendemain.

Des pourparlers sont en cours, dans un hôtel de Damas, entre des représentants du régime et des parents des civils assiégés, pour restaurer un cessez-le-feu.

2013-12-design-jwd-300x3001-150x150_0Les quartiers contrôlés par la révolution à Alep, depuis juillet 2012, sont trop vastes pour être ainsi assiégés. Alors le régime y a lancé depuis le 15 décembre une vague de bombardements aux «barils», ces containers de TNT chargés de grenaille pour en maximiser l’impact dévastateur. Le bilan cumulé de ces deux semaines d’horreur dépasserait déjà les six cents victimes.

Les Syriens résistent pourtant, au-delà de l’imaginable. L’humour est une de leurs armes favorites face au tyran.

Une extraordinaire vidéo, tournée au lendemain des attaques chimiques, envisageait déjà l’indifférence internationale face à des massacres aux «barils». Et ce bulletin météo d’Alep se passe de commentaire.

 

 

On aura bientôt Bachar et les djihadistes

Et pendant ce temps, que dit le monde? Que fait la «communauté internationale»? Rien, ou plutôt moins que rien.

Moscou signe un juteux contrat d’exploitation des ressources pétrolières de la Syrie, à titre de rétribution pour le véritable pont aérien en armements russes qui a tenu les forces de Bachar el-Assad à bout de bras.

Aux Etats-Unis, les voix s’élèvent pour prôner un renversement d’alliance au profit du dictateur syrien et au nom de la lutte contre al Qaeda. Un des éminents défenseurs de cette thèse est Ryan Crocker, ancien ambassadeur américain à Bagdad, à qui Washington vient d’effectuer une livraison d’armes majeure.

Tout cela fait sens si l’on se rappelle que le régime irakien est un allié déterminé de Bachar el-Assad et que les «volontaires» irakiens sont désormais plus nombreux que les miliciens du Hezbollah à combattre aux côtés du régime syrien. A jouer Bachar contre les djihadistes, on aura Bachar et les djihadistes. La boucle est bouclée. Ou plutôt, le garrot est resserré autour des femmes et des hommes de Yarmouk, d’Alep et de toute la Syrie. (Publié sur Rue89, le 28 décembre 2013)

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