Suisse. Moins que le minimum syndical

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Vasco Pedrina, Paul Rechsteiner et Serge Gaillard avant d’être au service de Widmer-Schlumpf

Par Rédaction A l’Encontre

Parions que dans la gauche officielle politique et syndicale les commentaires, qui se veulent analyses, seront nombreux sur la défaite, le 18 mai 2014, de l’initiative en faveur de l’instauration d’un salaire minimum légal de 4000 francs par mois, sur 12 mois. Rappelons que – comme nous l’avons déjà souligné dans un article sur ce site en date du 30 avril  – dans de nombreuses branches les salarié.e.s touchent un 13e salaire. Dès lors, pour nombre d’entre eux, 4000 francs divisés par 13 donnent arithmétiquement 3692 francs.

• Le résultat de la votation est numériquement le suivant: 2’208’728 non, 687’347 oui, soit respectivement 76,26% et 23,74% à l’échelle nationale, avec une participation sur ce thème de 55,55%. Une participation de celles et ceux qui disposent d’un droit de vote, autrement dit ceux qui étaient censés être protégés par le parapluie orné d’une croix suisse qu’avait largement affiché l’Union syndicale suisse (USS) sur les murs des villes suisses. Une expression d’un type de chauvinisme qui marque historiquement, avec des hauts et des bas, le mouvement syndical et la gauche institutionnelle.

Un travailleur syndicaliste nous confiait dimanche : «On ne peut nous demander tous les jours d’être sages dans les entreprises, de ne pas élever trop la voix, de faire silence, de considérer le patronat comme un partenaire, et nous demander, le jour du vote, d’être un tigre à l’offensive.» Et il continuait : «Cela d’autant plus quand le silence pèse comme une chape de plomb sur une colère et des frustrations et/ou des craintes. Mon expérience le démontre : le patron n’a pas hésité pas à me licencier, légalement, car la protection des élus du personnel n’existe pas. Ce qui confirme d’ailleurs une lettre ouverte aux autorités fédérales publiée dans Le Courrier du samedi 17 mai 2014, écrite par des juristes.»

Dans l’explication de ce syndicaliste, que nous appellerons Hans, réside l’essentiel à discuter suite à un vote qui enregistre les effets cumulatifs d’une politique de «paix du travail», de «partenariat social», soit d’une acceptation, sans mise en question sur le lieu de travail et sur le terrain social, des entrepreneurs face aux «entrepris», c’est-à-dire la très large majorité des salarié·e·s.

Evidemment – certains l’ont déjà fait – seront invoqués, comme origines de la déroute, les millions dépensés par les diverses associations patronales et autres officines de presse et de propagande. Le fait ne peut être nié, mais la «raclée» renvoie, pour l’essentiel, à la dégradation du «pouvoir de négociation« des syndicats dans les entreprises et la société en général, pour utiliser un euphémisme.

Une dégradation liée à un ensemble de mécanismes institutionnels naturalisant un prétendu dialogue social au point que de très nombreux salariés sont convaincus que le droit de grève n’existe pas ou que le salaire relève du secret comme le titrait, avec une ironie acerbe, le dernier numéro de la HandelsZeitung du 16 mai 2014.

• Les résultats de la votation du 18 mai enregistrent, en quelque sorte, la fin d’un cycle d’initiatives commencé le mercredi 8 juillet 1998. Alors, les deux coprésidents de l’USS, Vasco Pedrina et Christiane Brunner, lançaient cinq initiatives qui, selon ce couple momentanément à la mode, formaient «un ensemble cohérent» qui doit offrir aux Suisses un avenir «plus juste». L’USS revendiquait une réduction du temps de travail, une imposition des gains en capital, l’assurance obligatoire en cas de perte de gain, le financement social de l’assurance maladie et le droit des jeunes à une place d’apprentissage. Le bouquet s’est assez vite fané. L’hebdomadaire Domaine public, en date du 27 août 1999, remarquait sur un ton défensif: «La décision de l’USS de payer les supplétifs engagés pour faire aboutir son bouquet d’initiatives “pour une Suisse sociale” a fait jaser.» L’engagement de «supplétifs» n’était que la reconnaissance, de fait, du délitement précoce du projet de Vasco Pedrina consistant à construire «un réseau militant» sur les lieux de travail. Plus de quinze ans après, la «gerbe» de Vasco Pedrina et de Paul Rechsteiner, le social-démocrate de Saint-Gall, sert au mieux à décorer une tombe. Funèbre.

• Dans les trois dernières semaines avant l’échéance du 18 mai 2014, les porte-parole de l’USS engageaient déjà un tournant. Ils commençaient à insister sur l’importance du «partenariat social»,  une des thématiques utilisées par la droite et le patronat contre l’initiative. Ils énuméraient – et continuent à le faire – tous les secteurs où les conventions collectives sont soit inexistantes, soit couvrant un nombre réduit de salariés pour indiquer combien le «partenariat social», et des CTT, dont le contenu ne concurrence pas le Code des obligations, avait un avenir… suisse.

Ils n’insistaient pas trop sur le fait que nombre d’entre elles ne mentionnent pas de salaire minimum ou un salaire minimum inférieur aux 4000 francs x 12 mois de l’initiative, comme l’illustre la CCT du secteur du travail intérimaire, une des plus importantes quantitativement en Suisse. Ce faisant, ils décrivaient les déserts syndicaux, qu’ils prétendaient reverdir il y a quelque 15 ans: que ce soit dans le commerce de détail, les transports privés, les EMS, les employés de la chimie et de la pharma, les salariés du textile et de l’habillement, de l’alimentation, y compris des salariés du secteur des machines, de l’électro-mécanique, etc.

Si les déserts syndicaux ne sont pas reverdis, les appareils syndicaux connaissent, néanmoins, très concrètement, que la gestion paritaire desdites conventions collectives est une source financière qu’ils ne peuvent négliger pour leur salaire plus que minimum et leur verte retraite.

• En réalité, la force de l’offensive patronale aurait dû susciter chez un secteur minoritaire de syndicalistes un bilan réaliste que, depuis 1991 au moins, le patronat et les Führer de l’économie – pour reprendre la formule du World Economic Forum – n’ont qu’une seule perspective: avoir à leur disposition des appareils syndicaux subalternes et donc pratiquement fictifs. Un tel réalisme constituerait le point de départ de ce que pourrait être une lente et longue reconstruction d’un syndicalisme de combat, reposant sur un «besoin de syndicalisme» ressenti par des secteurs salariés. Cette reconnaissance implique une tâche humble et peu visible, et non pas une prétendue activité syndicale mesurée aux apparitions médiatiques, à la participation à quelques tables rondes et autres clichés télévisuels. Avant de nouer un bouquet, un recyclage en botanique élémentaire est nécessaire.

• Dans cette campagne, on a eu droit à un spectacle particulier. Une partie de la gauche dite radicale s’était déjà profilée en proposant des initiatives cantonales ne contenant pas de salaire minimum, mais seulement le principe de ce dernier: par exemple, solidaritéS à Neuchâtel l’avait mis en avant; un salaire différencié par région et par branche, constitua la proposition «réaliste» de solidaritéS dans le canton de Vaud. Une question élémentaire n’était même pas soulevée: est-ce que la rente AVS, dans un canton, est différente selon les régions?

Sur les brisées de cette orientation, cette fraction de la gauche radicale s’est engouffrée comme supplétif dit de gauche de l’initiative de l’USS sans mettre en question la notion de «salaire juste», qui décorait les affiches, sans expliciter ce qui est à l’origine du rapport social qu’est le capital : l’exploitation.

En fait, une initiative, comme celle présentée dans le canton de Neuchâtel, constitue ce que la feuille de chou conservatrice L’Agefi considère comme raisonnable : il aurait fallu se contenter, au maximum, «du principe d’un minimum légal, le gouvernement et le parlement se chargeant ensuite d’établir périodiquement son niveau» (19 mai 2014). A vouloir peu, on récolte moins que moins: le canton de Neuchâtel a recueilli 19’549 votes pour l’initiative sur le salaire minimum de l’USS et 41’761 contre.

• Une initiative pour un salaire minimum, par définition difficile dans le contexte actuel – d’autant plus qu’aucun doute ne pouvait exister sur la campagne que mèneraient le patronat et la droite –, devait être le couronnement de batailles sociales sur le salaire et le temps de travail, deux éléments clés des rapports entre salarié·e·s et employeurs. Une bataille menée avec constance pour accumuler des forces, permettre une expression directe de salariés.

Une initiative portant sur cette question ne pouvait être et ne peut être un substitut à une activité syndicale squelettique sur le lieu de travail. Autrement dit, un syndicalisme fondamentalement de service qui se trouve aujourd’hui concurrencé, y compris, par le Touring Club Suisse (TCS) qui propose aux salarié·e·s des assurances juridiques plus efficaces que celles des syndicats.

Le début d’une contre-offensive syndicale est donc repoussé à… après-demain. Le «partenariat social» placé sous la houlette des dominants restera la règle: le «partenaire» patronal dictera sa loi à ses acolytes cooptés – de manière différenciée, certes – des appareils syndicaux. Les «dures négociation» – dans le dos des salarié·e·s – seront médiatisées comme un théâtre d’ombres chinoises. (Rédaction A l’Encontre)

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