Naturalisations. Après le vote du 1er juin

Un train peut en cacher un autre…

Dario Lopreno

Lundi 2 juin 2008, après les résultats du Non sur la proposition de l’UDC sur la procédure de naturalisation, la Neue Zürcher Zeitung évoquait le «retour de manivelle de l’état de droit» contre l’Union démocratique du centre (UDC), la BernerZeitung constatait que Christophe Blocher a désormais «dépassé son zénith», le Blick établissait un bilan des «coups reçus par Blocher», la Basler Zeitung prenait acte que«les Suisses veulent une politique fair» (équitable), Le Temps célébrait «le droit avant le soupçon», le Corriere del Ticino mettait en exergue «la politique démagogique et extrême de l’UDC en opposition avec la modération d’un pays comme la Suisse. »

Un triomphalisme mal placé

Cependant cette «victoire» aux votations du 1er juin qui, en matière de naturalisations, nous maintient dans le carcan du patriotisme xénophobe des dures lois existantes et de leur arbitraire, ne saurait être présentée comme un succès [1].

Ce même lundi 2 juin 2008, la police vaudoise, sur ordre de l’exécutif du canton de Vaud (qui ne compte qu’un membre de l’UDC jusqu’à nouvel avis et dans lequel «la gauche» n’est pas absente), parlant d’une seule voix avec l’Office fédéral des migrations (ODM), s’apprêtait à infliger une double peine à un étranger ex-requérant d’asile débouté, en l’expulsant de Suisse pour avoir été condamné à quelques reprises dans le passé.

Aujourd’hui, il est marié avec une femme ayant un permis C, ensemble ils ont eu deux enfants, l’un a quelques mois, l’autre trois ans. Et tout le monde trouve cette expulsion «normale»: il a commis des actes punissables, donc «il le mérite» selon la droite, «on ne peut rien faire pour lui» selon la gauche. Le mouvement vaudois contre les expulsions essaye, seul, de faire barrage.

A ce stade – et sans entrer en matière sur lesdites scissions de personnes ou de groupes de l’UDC ni sur les dits transferts de voix l’UDC vers d’autres forces de droite – une question se pose: la ligne politique soutenue entre autres par l’UDC et Blocher en matière d’immigration et d’étrangers a-t-elle vraiment vécu sa Bérézina ce 2 juin ?

Pour notre part, nous pensons que les rapports de force politiques en faveur de la droite (néo-)conservatrice– dont l’UDC n’est que l’une des composantes, les plus visibles, et dont Christophe Blocher n’est que l’un des porte-parole, les plus voyants – ne sauraient être estimés à l’aune des résultats d’un vote, des aléas d’un parti ou d’une personnalité.

Un détour par Widmer-Schlumpf

Revenons, en marge de ces propos, sur la conseillère fédérale Evelyne Widmer-Schlumpf, qui a porté la campagne contre l’initiative de l’UDC, son (ex-)parti, et sur son projet politique en matière d’immigration, qu’elle partage entièrement sur le fond avec les partis gouvernementaux.

Plus «blochérienne que Blocher», Widmer-Schlumpf a même combattu l’initiative en lui reprochant un aspect: elle risquait de faire naturaliser par le vote une personne qui ne le mériterait pas. Des personnes peuvent être naturalisées par les urnes, argumente-t-elle, «bien qu’elles ne remplissent pas les conditions légales, parce que certains faits ne sont pas connus» du public, tandis que les «commissions spécialisées» qui se prononcent sur la question ont «accès aux informations dont elles ont besoin pour prendre de bonnes décisions» [2].

La conseillère fédérale Widmer-Schlumpf est «celle grâce à qui Blocher a été évincé», celle qui a été élue notamment par le représentant d’Agauche toute au Conseil national (le dirigeant du POP du canton de Vaud Josef Zysiadis), celle en faveur de qui des parlementaires fédéraux socialistes ont manifesté à Berne en avril dernier. Mais elle est toujours restée aussi radicalement réactionnaire que claire [3].

Elle ne cache pas ses positions pour le durcissement du droit d’asile et pour le refus de la désertion comme motif d’asile; elle qualifie d’abus à interdire (en tant que subterfuge destiné à «se faire reconnaître la qualité de réfugié») le fait qu’un requérant d’asile critique depuis la Suisse le régime de son pays.

Partisane assidue de la double peine, elle défend l’expulsion des «étrangers délinquants multirécidivistes» et, partisane des punitions néoconservatrices claniques, elle est favorable à l’expulsion des parents de mineurs étrangers délinquants «s’ils négligent leurs enfants ou si des conditions posées par l’école ou les autorités tutélaires ne sont pas respectées».

Elle défend l’affinement des statistiques de la criminalité en Suisse, en désignant non seulement les Suisses et les étrangers, comme cela ne se fait pas encore systématiquement, déplore-t-elle, mais en divisant explicitement la partie «étrangers»: en étrangers résidants, touristes et requérants d’asile [4].

Elle s’exprime pour l’approfondissement des investigations «durant la période de naturalisation». Elle défend l’importance de l’immigration choisie –pour les animaux on nomme cela la sélection – qui «répond aux besoins de notre économie». Elle ponctue son discours par les mots «cela implique que nos lois et nos valeurs soient respectées», reprenant ici la substantifique moelle de la publication de l’UDC sur la question [5].

Et elle explique le sens de ces propos: elle veut lier davantage l’aptitude au travail et l’apprentissage de la langue non seulement à l’obtention d’un permis de travail, mais aussi à une éventuelle expulsion du pays en cas d’échec.

Concernant un autre type d’étrangers, elle défend – depuis 1999 en tant que responsable des finances du canton des Grisons et, depuis 2001, en tant que présidente de la Conférence des directeurs cantonaux des finances – la concurrence fiscale entre les cantons et la faiblesse de la charge fiscale, pour rendre accueillante la place financière pour les grosses fortunes [6] Et, cela en syntonie avec le conseiller d’Etat écologiste genevois David Hiller et la majorité de gauche de l’exécutif genevois. La conseillère fédérale veut que les autorités redoublent d’efforts pour attirer davantage de capitaux étrangers, ce qui ne peut évidemment se faire qu’en abaissant la mal nommée «charge» fiscale.

Face à ces questions essentielles, la conseillère fédérale se déclare consciente que, grâce au fédéralisme, la population «peut exercer une influence notable sur son investissement direct. Elle peut par exemple approuver ou refuser la construction d’une piscine. Cela peut sembler anodin d’un point de vue politique, mais ce pouvoir compte pour beaucoup dans la qualité de vie» [7] (sic!).

C’est là un vrai cheval de bataille des droites et des gauches institutionnelles: valoriser la pseudo-politique de pseudo-proximité (qu’elle soit de quartier, communale, de district ou cantonale), pendant que les secteurs décisifs de la classe dominante et leurs armées de porte-serviettes règlent les questions essentielles à travers leurs propres organes de pouvoir (conseils d’administrations de grandes entreprises, centres d’intérêts spécifiques, comme les structures décisives des organisations internationales patronales ou intergouvernementales, les clubs discrets de grands actionnaires transnationaux représentés par les quelques grandes banques d’affaires, etc. )

Les résultats du vote

Les résultats du vote sur l’initiative sur les naturalisations, acceptée par 36% des voix (63, 8% lui ont dit Non) avec une participation relativement bonne pour la Suisse, à 45% [8], sont connus et loin derrière nous. Abstraction faite des mesures de contraintes votées en 1994 [9], ces 36% représentent à peine moins que la moyenne des résultats en faveur de la vingtaine d’initiatives ou de référendums xénophobes (immigration et asile)votés depuis les années 1960. Ce n’est donc en tout cas pas une Bérézina pour les xénophobes.

En regardant la carte des résultats par commune [10], on constate un certain clivage entre, d’une part, la Suisse française, les trois grandes agglomérations de Suisse alémanique et les Grisons (refus supérieur à60%) et, d’autre part, le reste du pays (refus inférieur à 60%, à l’exception de Schwytz qui accepte l’initiative). Faisons deux remarques au sujet de cette partition. D’une part, la dite barrière linguistique ne représente pas ici une barrière politique. D’autre part, le taux – fort ou faible suivant le cas –d’étrangers par canton, district ou commune n’explique pas les résultats du vote, contrairement aux deux poncifs opposés qui postulent que là où il y a«trop» d’étrangers les citoyens se lassent ou bien que là où se trouvent beaucoup d’étrangers les citoyens deviennent plus ouverts.

A l’avenir la procédure en vigueur en Suisse sur les naturalisations – issue de l’initiative parlementaire déposée par le radical Thomas Pfisterer – soutenue par la majorité du Parlement, y compris par les «socialistes», sera aussi longue, lourde, oppressive, intrusive et inquisitrice que par le passé. Sauf qu’en cas de refus(par vote, par décision de conseil ou de commission) le refus devra être motivé et donc être soumis à recours.

Par ailleurs le groupe du PSS(Parti socialiste suisse) du Conseil national a lancé une motion [11] pour que l’on inscrive dans la loi des «standards minimaux de naturalisation clairs, notamment en matière de connaissances linguistiques, de respect del’égalité homme-femme et de bonne réputation». Ce qui ne doit pas déplaire au ban et à l’arrière-ban de la droite helvétique.

Les tristes chantiers en cours

Premièrement, en mars 2008 a été déposée, avec 211’000 signatures valables, l’initiative de l’UDC en faveur de la double peine nommée «Pour le renvoi des étrangers criminels».

Elle demande l’annulation du droit de séjourner en Suisse, l’expulsion et l’interdiction de territoire de 5à 15 ans pour les étrangers condamnés «pour meurtre, viol ou tout autre délit sexuel grave, pour un acte de violence (… ), le brigandage, la traite d’êtres humains, le trafic de drogue ou l’effraction; ou s’ils ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale».

Pire encore, l’initiative prévoit que cette liste peut être complétée par le législateur [12]. Cette initiative à large spectre, lancée dans un pays où l’aide sociale et les assurances sociales, au rabais, touchent proportionnellement beaucoup plus les étrangers que les non-étrangers, a de quoi faire peur à des centaines de milliers de salarié·e·s étrangers ou suisses vivant avec des étrangers.

Mais elle a aussi de quoi faire peur à des centaines de milliers de Suisses qui, dans le cadre des «assurances sociales», commencent à se faire infliger des pénalités pour irrégularités, encore plus dures que celles en vigueur dans le passé, sous prétexte notamment d’égalité de traitement avec les autres: les étrangers)…

Deuxièmement, l’initiative del’UDC «Contre la construction de minarets», lancée en mai 2007, est en cours de récolte de signatures, jusqu’à fin novembre.

Son texte est aussi radical que clair: «La construction de minarets est interdite», point c’est tout [13] ! Un soutien indirect mais de poids est venu de l’Eglise catholique, par la voix de l’évêque auxiliaire de Lausanne, Genève et Fribourg. Ce dernier, tout en affirmant accorder peu d’importance à la construction ou non de minarets, a réclamé des autorités suisses qu’elles surveillent étroitement les mosquées, lieu de culte pouvant abriter «bibliothèque, bureau de l’imam, cafétéria, salles d’enseignement, magasins voire boucherie», lieu «très souvent politisé, [où] des enseignements anti-Occident, voire terroristes, peuvent y être dispensés» [14]. Des dizaines de milliers de salariés musulmans et des dizaines de milliers de Suisses directement liés à ceux-ci sont sous pression.

Troisièmement, cet été (début juillet 2008) expire le délai référendaire sur la Loi fédérale sur l’usage de la contrainte [15]. Sans revenir ici les innombrables abus pratiqués régulièrement contre les étrangers sous expulsion, disons que cette loi établit une base légale, plus solide que par le passé, pour un nombre important de traitements et de procédures liberticides. Elle légalise aussi une nouvelle forme de torture, stricto sensu.

En effet, outre l’usage désarmes à feu, matraques, bâtons, fouilles et examens corporels intimes, etc. , elle banalise l’usage des pistolets Taser à électrochocs, des munitions à expansion, des liens pour entraver la personne, pour la ligoter sur une civière ou l’attacher sur un fauteuil roulant, des calmants (évidemment administrés uniquement «pour des raisons médicales») etc.

Le peu de garanties individuelles qu’elle offre à la victime (aptitude au transport, information et préparation préalables, sécurité, besoins personnels) peuvent faire l’objet de dérogations et il est permis à la police d’agir en la matière sans mandat formel en cas d’urgence. Il n’a fallu qu’un peu plus d’un an de navette du projet de loi entre les deux chambres du Parlement fédéral, ainsi qu’une intervention très rassurante de Widmer-Schlumpf, pour que la majorité du Conseil des Etats surmonte sa mauvaise conscience et se rallie au Conseil national pour décider que de prendre une décharge de 50’000 volts [16] est somme toute quelque chose d’acceptable.

Trois remarques s’imposent ici, qui démontrent où en est le rapport de forces politique en matière de politique des étrangers… et de non-étrangers…

D’une part, les considérations sur l’aspect (non-)létal du Taser bazardent le fait que, «de juin 2001 à septembre 2007, Amnesty international a enregistré plus de 290décès aux Etats-Unis et au Canada» [17], suite à l’utilisation de ce véritable instrument de torture, ce qui ne semble pas préoccuper plus que ça la majorité parlementaire. D’autre part, il n’est pas inutile de rappeler que la Loi en question a été notamment demandée, en son temps – et nous ne discutons pas ici de l’opportunité de cette demande – parles organisations des droits de l’homme, afin d’empêcher des interventions trop musclées pouvant causer la mort de l’expulsé, comme cela s’est produit en 1999à Zurich et en 2001 en Valais. Or l’Etat policier helvétique a saisi la demande au vol… pour produire cette Loi liberticide et qui banalise la torture.

Enfin, la majorité des médias (par niaiserie?), comme les autorités fédérales (par subterfuge ?) et les partis de droite (par malhonnêteté?) ont habitué le public à parler du Taser et des mesures de contraintes par rapport aux clandestins ou aux ex-requérants d’asile en voie d’expulsion, générant ainsi l’idée que cela ne «nous» concerne pas.

Ce faisant nombre de personnes ont perdu de vue que ce ne sont pas uniquement ces deux catégories qui sont concernées, mais aussi des étrangers résidant régulièrement en Suisse ou des Suisses «armés»… de passeport à croix blanche.

Car la loi s’applique non seulement «à toute autorité amenée à faire usage de la contrainte policière dans les domaines du droit d’asile et du droit des étrangers», mais aussi «à toute autorité effectuant des transports de personnes soumises à une mesure restreignant leur liberté ordonnée par une autorité fédérale», ainsi qu’aux «services privés qui exécutent des tâches pour le compte de ces autorités» [18]. Une fois de plus, les sans-papiers et les requérants d’asile sont non seulement traités de manière indigne, mais en outre ils servent à s’attaquer aux Suisses et aux étrangers en général.

Quatrièmement, début juin, soit six mois avant la date arrêtée officiellement – et grâce à l’étroite collaboration entre les néo-ex-conseillers fédéraux UDC, les conseillers fédéraux socialistes, radicaux et démocrates-chrétiens [19] – la Suisse vient d’entrer de plain-pied, dans les deux puissants systèmes de flicage, celui des habitants de l’Union européenne (Schengen) et celui des requérants d’asile (Dublin). Désormais les polices de Suisse seront connectées à Eurodac (fichier d’empreintes digitales de requérants d’asile et d’illégaux)et au Système d’information Schengen (SIS) récemment étendu au fichage biométrique, contenant des fiches sur plus de 12 millions d’objets et au moins un million de personnes voire beaucoup plus.

L’Union européenne (UE), qui a estimé que l’indépendance des préposés à la protection des données n’est pas suffisante en Suisse, a intégré la Suisse au SIS «à l’unanimité et sans discussions» [20]. La gauche socialiste et les syndicats n’en ont pas fait grand cas. Connaissant le passé de la police fédérale en matière de fichage à large spectre, le mariage entre Schengen et la Suisse a de quoi inquiéter tout un chacun.

Cinquièmement, plusieurs développements helvétiques, outre la mise en place du Système d’information central sur la migration (SYMIC) [21] s’articulent autour de l’accord de Schengen [22]. Ils concernent notamment l’approfondissement des relations avec Europol, la police européenne qui reste en grande partie hors contrôle parlementaire [23], ainsi que l’introduction et la généralisation du fichage biométrique de tous par les passeports. Ils concernent aussi l’uniformisation des procédures de surveillance et de filtrage aux frontières de la forteresse-UE (n’oublions pas que les frontières aériennes de l’UE sont aussi en Suisse) et l’intégration de la Suisse à FRONTEX (agence européenne pour les frontières extérieures et pour l’organisation des expulsions), à RABIT (corps de gardes frontière multinationaux, pour l’intervention rapide aux frontières de l’UE), à «l’initiative suédoise» (introduisant entre autres une norme spéciale permettant «l’échange spontané d’informations» entre les polices de l’Union européenne) et au Fonds pour financer les gardes frontière des pays frontaliers. Il est clair que la pression est mise ici contre les quelque 200’000 sans-papiers et contre leurs proches détenant des papiers.

Sixièmement, cette intégration en profondeur à Schengen repose sur la démultiplication des «accords de réadmission et des conventions selon article 4a OERE» [24]. Il s’agit des accords signés avec des Etats tiers, destinés à renvoyer le plus rapidement possible des illégaux, des requérants d’asile déboutés ou en situation de non-entrée en matière. Mais il s’agit aussi de renvoyer des ressortissants de l’UE (notamment les Roms, sujets de tous les racismes et exclusivismes ayant cours en Europe et en Helvétie) ne correspondant pas aux critères de la «libre circulation des personnes», qu’il ne faudrait tout de même pas prendre pour une liberté de circuler !

Septièmement, nous devons mentionner les diverses dispositions fédérales sur l’intégration [25], largement appuyées par les gauches gouvernementales, totalement centrées sur une pure et simple assimilation de la personne – et en aucun cas sur une intégration, réciproque par définition – aux «valeurs» dominantes du lieu helvétique où elle se trouve. Et cela indépendamment du fait qu’aucun Suisse ni étranger n’est à même de correspondre réellement à ces «valeurs» : avez-vous essayé de passer les examens d’instruction civique et d’intégration que doivent passer les candidats à la naturalisation dans la majorité des communes, déchanter l’hymne national suisse, d’être bon élève, bon salarié, bon citoyen, bon habitant, d’avoir la certitude de ne jamais être à l’aide sociale, etc. ?

A ces mesures d’assimilation, les autorités fédérales, ajoutent l’accélération des procédures pénales contre les mineurs étrangers, ainsi que le refus de raccourcir les délais – interminables – de naturalisation, à la grande satisfaction de l’UDC [26]. Le dispositif qui commence à être mis en place en matière d’intégration a de quoi faire trembler de peur tous les étrangers du pays (officiellement plus de20% de la population) et, du même coup, autant de Suisses qui leur sont liés.

Huitièmement – et sur ce point nous renvoyons sur le fond au dernier numéro de La brèche [27] – en 2009 l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) sera reconduit et étendu à la Bulgarie et à la Roumanie. Rappelons ici que l’ALCP est reconduit et étendu par les autorités fédérales avec l’appui de tous les partis gouvernementaux, y compris avec le soutien – modulé par un balbutiement de mauvaise humeur sur les rachitiques mesures d’accompagnement – du Parti socialiste et de ses syndicats [28]. L’UDC, vraisemblablement dans la majorité de sa direction, approuve la reconduction de l’ALCP, mais avec trois réserves tactiques face à son extension à la Bulgarie et à la Roumanie. D’une part, dans sa logique hyper-(néo-)conservatrice, elle ne veut pas de mesures d’accompagnement supplémentaires à l’extension de l’accord, indépendamment du fait que les mesures existantes sont minimalistes, et elle ne semble pas touchée par celles, insignifiantes, proposées dans les domaines de la formation et du perfectionnement. Faisant bloc avec l’UDC, l’association patronale Economiesuisse affirme que «de nouvelles mesures d’accompagnement non seulement seraient inutiles, mais elles détérioreraient les conditions-cadre» [29].

D’autre part, l’UDC veut que les autorités suisses – notamment la conseillère fédérale Calmy-Rey – avancent beaucoup plus vite en matière de reconnaissance de la souveraineté fiscale de la Suisse par l’UE (défense de la place financière, de ses fonctions de gestion de fortune sous secret et de refuge pour l’évasion de capitaux) et obtiennent de l’UE, en contrepartie à l’extension de l’ALCP, «la reconnaissance écrite, contraignante et irrévocable de la souveraineté fiscale» [30].

En accord, avec l’UDC, la conseillère fédérale «socialiste» Calmy-Rey n’a de cesse de défendre la place financière suisse et le secret bancaire, comme lors de ses dernières montées au créneau le printemps dernier [31].

Voici où nous en sommes à l’heure actuelle en matière de politique des étrangers en Suisse. Si après cela, il y en a encore qui croient dans la fable de la Bérézina subie le1er juin 2008, par l’idéologie de l’UDC ou par le (néo-)conservatisme, maniant leurs armes de division massive des salariés de Suisse, c’est que nous avons de réelles divergences d’analyse.

 

[1] L’émission de Temps présent (08/05/08/, « Les nouveaux faiseurs de Suisse », montre non seulement combien la procédure de naturalisation suisse est faite de rigidités et combien la réalité (l’émission) dépasse la fiction (« Les faiseurs de Suisse »), , mais aussi à quel point les communes usent et abusent de la législation pour la durcir au gré de leurs oeillères anti-balkaniques, anti-musulmans, anti-africains, anti-basanés, anti-marginaux, anti-pauvres, etc.  La NeueZürcher Zeitung (Heidi Gmür, Wie man Schweizer macht, 18/05/08) donne également des exemples très concrets de cet arbitraire xénophobe légal pratiqué trois ans après que le Tribunal fédéral ait remis en cause la procédure de naturalisation par les urnes (en 2003).

[2] Conférence de presse du Conseil fédéral sur l’initiative populaire Pour des naturalisations démocratiques, tenue par la conseillère fédérale Widmer-Schlumpf, le 24 avril 2008 au Centre de presse du Palais fédéral, disponible sur le site Internet du DFJP.

[3] Vous pouvez la lire à ce sujet dans ses propres discours, notamment « La sécurité et le droit pour une Suisse forte », conférence de presse du11/04/08, disponible sur le site Internet du DFJP.

[4] Conseil national, session d’été 2008, 09. 06. 08 (14h30), Heure des questions, question Wobmann Walter (08. 5199), Statistique criminelle, réponse de la conseillère fédérale Evelyne Widmer-Schlumpf.

[5] UDC, Nos règles sont valables pour tous. Document stratégique sur la politique d’asile et des étrangers, Berne, mars 2006; par ces mots la conseillère fédérale néo-ex-UDC reformule la position que l’UDC exprime ainsi: « Celles et ceux qui sont hôtes de la Suisse doivent respecter l’ordre légal suisse, nos us et nos coutumes ou quitter le pays » (document UDC cité, p. 3).

[6] Il ne suffit pas, pour Widmer-Schlumpf, que la Suisse soit « au 3e rang européen des pays les plus attrayants, fiscalement parlant, pour les entreprises, juste derrière Chypre et l’Irlande » (Cf. « Un fédéralisme dynamique un avantage compétitif pour les individus comme pour les entreprises », allocution d’Evelyne Widmer-Schlumpf à la Conférence nationale sur le fédéralisme, Baden, 28/03/08, disponible sur le site Internet du DFJP).

[7] « Un fédéralisme dynamique un avantage compétitif pour les individus comme pour les entreprises », allocution citée.

[8] Votations du 1er juin 2008. Résultats finaux officiels provisoires, sur le site de la Confédération http: //www. admin. ch/ch/f/pore/va/20080601/det532. html

[9] Avec le vote référendaire de décembre 1994 sur la loi fédérale liberticide sur les mesures de contrainte en matière de droit des étrangers (du 18 mars 1994), il s’agissait de supprimer les garanties démocratiques minimales de la personne étrangère en voie d’expulsion face à l’emprisonnement arbitraire. Cette loi a été plébiscitée non seulement par toute la droite, mis à part l’opposition notable des libéraux et des associations de juristes et d’avocats, mais aussi par l’écrasante majorité des votants (favorables à 73% !), sans oublier que pas un seul canton n’a voté majoritairement contre.

[10] L’échec qui déboussole l’UDC, Le Temps, quotidien, Genève, 02/06/08, carte des résultats par commune.

[11] Groupe socialiste du Conseil national, motion 08. 3312, Harmonisation des standards de naturalisation, 11/06/08.

[12] Initiative populaire fédérale « Pour le renvoi des étrangers criminels(initiative sur le renvoi) », communiqué de la Chancellerie fédérale, 7 mars 2008.

[13] Initiative populaire fédérale « Contre la construction de minarets », communiqué de la Chancellerie fédérale, 1 juin 2008.

[14] Conférence des évêques suisses, Minarets, oui ou non ? Communiqué de Mgr Pierre Bürcher, évêque auxiliaire de Lausanne, Genève et Fribourg, président du Groupe de travail «Islam» de la Conférence des évêques suisses, Lausanne, 2 mai2007 et Interview de l’évêque auxiliaire Pierre Bürcher, Swissinfo, 20 mai 2007, L’évêque qui veut un contrôle plus étroit des mosquées.

[15] Loi fédérale sur l’usage de la contrainte et des mesures policières dans les domaines relevant de la compétence de la Confédération (Loi sur l’usage de lacontrai. nte, LUsC).

[16] Ils’agit d’une décharge de 50’000 Volts, de quelques milliampères suivant le modèle, transmises par plus de 80 impulsions en 5 secondes, tirée par un pistolet de la marque Taser. C’est notamment le faible ampérage de la décharge qui permet à la majorité parlementaire qui a fait aboutir le projet de Loi, d’affirmer que l’utilisation de cette arme est non létale, envers et contre un très grand nombre de dénonciations dans les pays où elle est déjà utilisée.

[17] Amnesty international, Amnesty International’s concerns about Taser®1 use: Statement to the U. S. Justice Department inquiry into deaths in custody, Londres, octobre 2007.

[18] Loi fédérale sur l’usage de la contrainte, art. 1.

[19] Département fédéral de justice et police, Système d’information Schengen: le Conseil fédéral approuve l’entrée en vigueur des ordonnances, Berne, communiqué du 07/05/08. Selon le quotidien Le Temps, il semble que les flics suisses bavent d’envie devant le SIS (Denis Masmejan, Suisse: la banque de données de Schengen, l’outil qu’envient les policiers suisses, quotidien Le Temps, Genève, 17/05/2005).

[20] ATS, La Suisse sera connectée au réseau policier SIS, quotidien Le Temps, Genève, 06/06/08.

[21] Office fédéral des migrations, Nouvelle banque de données et système de gestion des étrangers et étrangères en Suisse mis en service, Berne, communiqué du04/03/2008. Le SYMIC est censé officiellement ne rien créer de nouveau. Toutefois, en connectant 23 bases de données ou portions de bases de données différentes, à travers la mise en commun des registres AUPER2/nationalité etAUPER2/asile, ainsi que du RCE-3/étrangers et en créant des formes de connexion »conviviale, une structure plus lisible, une utilisation facile, une technologie moderne et des possibilités de développement », SYMIC est en réalité profondément novateur en termes de capacité de flicage et élargit les possibilités d’entrées, de recherche et de traitement des informations, contrairement à ce qu’affirme le DFJP, sans que personne ne le lui reproche, même pas la gauche au Parlement.

[22] Office fédéral de la justice et Bureau de l’intégration /DFAE/DE, Schengen/Dublin: développements, Berne, février 2008 et mêmes auteurs, même date, Développements de l’acquis de Schengen, Berne.

[23] Que ce soit le Parlement européen, les Parlements nationaux, le Conseil d’administration d’Europol, la Cour de justice européenne, l’Autorité européenne de contrôle commune des autorités de contrôle nationales chargées de la protection des données personnelles, aucune institution n’a encore de contrôle sérieux sur Europol, comme l’indiquent les débats de la Réunion de la délégation du Sénat français pour l’Union européenne du 28 mai 2008 (disponibles sur le site Internet du Sénat français, http: //www. senat. fr/europe/r28052008. html).

[24] Vue d’ensemble des accords de réadmission et des conventions selon article 4a OERE (Ordonnance surl’exécution du renvoi et de l’expulsion d’étrangers du 11 août 1999; état des accords au 01/01/2008).

[25] La politique suisse dite d’intégration, Dario Lopreno, juin 2007 et Bilatérales. Le trompe-l’œil des «contrôles», La Brèche, n° 3 2008, Lausanne.

[26] UDC, Halte à la naturalisation d’étrangers mal intégrés, Berne, 09/03/07 et UDC, L’intégration est la condition essentielle, Berne, 22/08/07.

[27] La libre multiplication des statuts et permis. Principes gouvernant la reconduction et l’élargissement de l’ALCP, mensuel La Brèche, mai 2008.

[28] Union syndicale suisse, Assemblée des délégués du 16/06/08, Pas de référendum sur la libre circulation des personnes et, concernant le parti socialiste suisse, Cf. Libre circulation des personnes, votes finaux du Conseil national et du Conseil des Etats)

[29] Economiesuisse, Libre circulation des personnes: une nécessité pour l’économie, dossier politique, 23 mai 2008.

[30] UDC, L’UDC s’oppose aux manipulations antidémocratiques concernant la libre circulation des personnes, Zurich, 19 avril 2008.

[31] Cf. Service de presse et d’information de l’ambassade de France en Suisse, Revue de presse (Suisse) du 08/03/08 au 10/03/08.

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