Suisse. Merck Serono: pour une solution concrète

Nous reproduisons ici le document «propositif» diffusé par le MPS/BFS (Mouvement pour le socialisme) et le site alencontre.org à l’occasion de la manifestation de solidarité avec les salarié·e·s de Merck Serono, à Genève, le samedi 9 juin 2012. (Rédaction A l’Encontre)

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Soyons clairs: lorsqu’on manque un premier train, on risque de rater la correspondance. Ce dicton est valable pour Merck Serono. En décembre 2010, le premier train était déjà parti. Il en cachait un autre.

Décembre 2010, les sirènes sonnaient déjà

Pourquoi décembre 2010? Parce que le départ précipité, à cette date, d’Elmar Schnee et de Roberto Gradnik était le signal clair d’une vaste restructuration du groupe Merck KGaA. Elle allait conduire, inévitablement, à la fermeture de Merck Serono Genève. Pour ceux qui étudient les restructurations d’entreprises [1], le départ de hauts responsables et l’arrivée d’hommes à poigne – en l’occurrence Stefan Oschmann – sont toujours l’indication d’un grand changement. Il était aisé à anticiper.

D’autant plus que les deux partants étaient, chacun à sa façon, liés à un échec: celui de l’homologation du Cladribine par les instances européennes et américaines. Et cela déjà après des années coûteuses de développement, en dérive, sous le règne de Serono, alors propriété de l’actuel navigateur Ernesto Bertarelli.

Le 9 mai 2011, le Financial Times Deutschland écrivait avec précision que le départ des deux directeurs était directement lié à un vaste plan de restructuration du groupe Merck KGaA. A cela s’ajoutait la condamnation de Merck Serono aux Etats-Unis pour avoir «récompensé» les médecins prescrivant le Rebif (contre la sclérose en plaques). Aux Etats-Unis, sur ce médicament, Merck Serono faisait face à la firme américaine Biogen, un leader mondial des biotechnologies (issu de la fusion, en 2003, de Biogen Inc. et Idec Pharmaceuticals Corporation). Biogen vendait le produit concurrent du Rebif: l’Avonex. Sur le marché américain, la concurrence est rude et les procès sont mortels. Celui qui passera de vie à trépas se nomme Fereydoun Firouz. Il était le responsable du marché américain pour Merck Serono.

Pour les responsables syndicaux d’Unia – qui organisent laborieusement, cela ne peut leur être dénié, les salarié·e·s du secteur de la chimie-pharmacie à Genève – un autre signal rouge s’allumait. Il aurait dû attirer leur attention et celle des autorités cantonales et fédérales. Celles-ci se réveillent ou font semblant de se réveiller en avril 2012. Début 2011, la firme Kepler Capital Markets publiait un rapport précis sur le «programme de contraction des coûts» de Merck KGaA. Pour appliquer ce programme, il fallait un «job killer». Il avait pour nom Stefan Oschmann: vétérinaire de formation et employé à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Il venait de Merck & Co., Etats-Unis. Il a été choisi pour cette tâche par la famille Merck, propriétaire à hauteur de 70% du capital de la transnationale. Sa direction est aux mains de deux «chefs»: Jon Baumhauer et Frank Stangenberg-Haverkamp.

Schnee et ses explications biaisées

Ce bref rappel historique a deux fonctions.

Il tombe sous le sens qu’il fallait réagir, interroger les plans de la direction au plus tard dès le début de 2011. D’autant plus que, dès 2009, le projet d’agrandissement de l’usine de Corsier-sur-Vevey commençait être mis en question. Cela traduisait une crise de surproduction du groupe dans certains segments. Les difficultés d’homologation de l’anticancéreux Erbitux pour le marché suisse avaient des répercussions sur le lancement de ce médicament dans quelque 40 pays émergents, «éloignés» de la récession des pays développés de 2008-2010.

La politique traditionnelle du groupe familial Merck KGaA en termes de part – à hauteur de 20% – du chiffre d’affaires pour la R&D allait être mise en question. Elmar Schnee, en 2008, alors président de Merck Serono, expliquait la situation de «son» groupe à partir de trois facteurs: • les dites innovations trop lentement avalisées par les agences d’homologation de médicaments (FDA aux Etats-Unis, EMEA en Europe); • les exigences plus strictes en termes de prix imposées aux transnationales de la pharma par les autorités des systèmes de santé; • les attaques par des firmes spécialisées dans la production de génériques (parfois bras droit d’une Novartis ou d’une AstraZeneca) contre la protection assurée par les brevets (ce qui comprime le retour sur investissement dans le dernier tiers de la phase de vente du médicament protégé par des brevets).

Ces trois facteurs existent. Mais ils ne constituent pas la cause profonde du changement de stratégie du groupe Merck KGaA, impliquant suppression de postes de travail et coupes de secteurs de recherche et de production.

Droit dans le mur de Darmstadt? NON!

Sans clarté sur le moteur de la stratégie actuelle du groupe Merck KGaA, les deux projets mis au point par des salarié·e·s très compétents en réponse au projet «Fit for 2018» – «Fit for 2018», contre-proposition 1 et contre-proposition 2 – se heurteront à un mur de béton, construit à Darmstadt.

Toutes les propositions de «gains d’efficacité» venant des salarié·e·s de Merck Serono Genève sont évidemment bien pensées. Mais elles impliquent une collaboration rénovée du hub de Genève avec le hub de Darmstadt et avec les deux autres hubs de Boston et Beijing. Et cela dans le cadre du groupe Merck KGaA. Ce que la direction concentrée de la transnationale sise à Darmstadt refusera. Au mieux, elle y puisera quelques idées d’«efficacité accrue» pour augmenter ses marges sur d’autres sites et pour les utiliser dans d’autres petites opérations, comme à Aubonne (Vaud). Les propositions d’«accroissement d’efficacité», certes bien argumentées, impliquent aussi des coupes dans les emplois, des mises à la retraite «anticipée», des baisses de salaire. Tout cela risque bien de diviser le personnel, demain, dans le cas d’une très hypothétique acceptation par Merck KGaA.

La stratégie actuelle du groupe Merck KGaA va dans le sens suivant.

• Pour ce qui est des biotechnologies, il veut opérer au travers de regroupements d’entreprises biotechnologiques; comme il le fait en Israël avec la construction d’un «incubator» (regroupement d’entreprises de biotech) à Yavneh, près de son centre de R&D Inter-Lab (Times of Israel, 17 avril 2012).

• Le groupe passe des accords, par exemple avec le producteur de génériques indien Dr. Reddy’s Laboratories Ldt, pour la production de biogénériques, qui peuvent être vendus sur des marchés régulés, mais très rentables (Etats-Unis, Europe, Japon). Le projet d’Aubonne est une micro-copie de production de biosimilaires (biogénériques). Comme le souligne le Wall Street Journal du 6 juin 2012, le programme de Merck Serono vise à couper les frais de marketing, d’administration. Il implique des accords du type de celui avec la compagnie indienne. Cela afin de partager, comme le dit Stefan Oschmann, «know-how, risks and rewards» (le savoir-faire, les risques et les rémunérations).

• Les développements dans la biopharmacie exigent de longs délais et des dépenses dans la R&D à hauteur de 20 à 25% du chiffre d’affaires. La stratégie actuelle de Merck KGaA implique une réduction de cette part pour assurer un retour sur investissement plus rapide. Il faut en tirer une conclusion: il n’y a pas d’avenir en restant dans le cadre de Merck KGaA.

Pour un centre indépendant de Merck KGaA

La contre-proposition la plus concrète pourrait être la suivante. Comme souligné dans les contre-propositions des deux groupes de travail, il existe de nombreuses synergies entre l’EPFL, les HUG (Genève), le CHUV (Lausanne) et d’autres acteurs. Un acteur devrait servir de modèle: l’ISREC (Institut suisse de recherche expérimentale sur le cancer), à Lausanne.

Il pourrait être, de manière crédible, le point de départ d’une autre orientation.

Cette orientation alternative se fonde sur un fait têtu: Merck KGaA ne changera pas. Ses plans impliquent la fermeture de Merck Serono et la «capture» d’une petite couche de salariés chercheurs sélectionnés, qui seront mis dans l’avion pour Boston, Pékin ou Darmstadt.

Elle doit s’appuyer sur l’exercice d’une vraie pression sociale et politique sur les autorités cantonales et fédérales, afin d’assurer un bon niveau de financement d’un centre indépendant, utilisant soit le site de Genève, soit un nouveau bâtiment (l’atrium actuel n’est pas forcément nécessaire à la défense des emplois et de la recherche).

Le statut de ce centre indépendant peut être celui d’une fondation, comme l’est l’ISREC. Pour exemple, le capital de cette Fondation (fonds libres) est de 33’900’000 et le capital réservé (fonds à affectation limitée) de 10’703’000. L’ISREC agit dans la recherche translationnelle, c’est-à-dire favorisant le transfert de connaissances et la collaboration entre recherche fondamentale et recherche clinique. L’ISREC est placé sous la surveillance de la Confédération et inscrit au Registre du commerce du canton de Vaud. Cette fondation est régie par les dispositions des articles 80 et suivants du Code civil.

Voilà une structure qui indique un chemin à prendre pour les salarié·e·s, les chercheurs et chercheuses de Merck Serono Genève. L’investissement financier et politique, coordonné, de différents acteurs de Vaud et Genève ainsi que de la Confédération pourrait être qualitativement supérieur à celui de l’ISREC.

Il est temps que les têtes casquetées d’Unia y réfléchissent. Il est temps que les autorités manifestent leur intérêt. La mobilisation, le savoir-faire et les connaissances concentrés dans les propositions des salarié·e·s (groupes 1 et 2) sont une assurance pour qu’un tel projet puisse prendre forme. Ainsi, les diktats familiaux venant de Darmstadt ne détermineront plus le futur de la vie de centaines de personnes. (8 juin 2012)

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[1] Voir pour exemple Rachel Beaujolin-Bellet et Géraldine Schmidt, Les restructurations d’entreprises, Editions La Découverte, 2012.

 

Pour tout contact avec notre groupe de recherche, écrire à l’adresse suivante: redaction@alencontre.org

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