La mobilisation pour des droits des femmes et les «rapports sociaux de sexe»

Rédaction A l’Encontre

A l’occasion de ce jour – le 8 mars 2012 – des droits des femmes, nous publions ci-dessous quelques bonnes feuilles – sans les notes explicatives de bas de page – d’un ouvrage de Roland Pfefferkorn, publié en ce début mars 2012. Les lectrices et lecteurs de Suisse pourront le commander – en souscription pour la somme de 10 CHF – en utilisant l’adresse: editions@page2.ch et en indiquant leur adresse postale.

Les personnes visitant le site alencontre.org depuis la France peuvent s’adresser à leur librairie habituelle (diffuseur Vilo) et, entre autres, à la librairie La brèche à Paris; son site: http://www.la-breche.com/catalog/.

La crise socio-économique, dans ses traits «européens», met en relief un aspect (parmi d’autres) d’une atteinte accentuée aux droits sociaux des femmes. En effet, les statistiques officielles publiées sur le chômage en Grande-Bretagne indiquent que le nombre de femmes au chômage est le plus élevé depuis 23 ans: 1,1 million. Cela sur un total de 2,67 millions, ce qui représente le pic le plus élevé depuis 16 ans (The Independent, 16 février 2012).

La croissance du chômage féminin depuis l’été 2011 représente deux tiers de l’augmentation du chômage. Au cours du dernier trimestre 2011, le nombre de femmes «entrées au chômage» s’élève à 33’000; celui des hommes est un petit peu supérieur à 16’000. L’explication: les coupes budgétaires brutales frappent lesdits services publics. Or, les secteurs les plus touchés sont ceux où la composition de l’emploi est majoritairement féminine. Sur les 710’000 emplois publics qui seront supprimés en Grande-Bretagne dans les 5 ans à venir, 80% sont occupés par des femmes! Comme la durée du chômage est plus accentuée pour les femmes, celles ayant travaillé précédemment dans le secteur public (ou celles devant perdre leur emploi, selon les plans gouvernementaux) vont, sous une forte contrainte, connaître un processus de «déversement» vers des secteurs de services fortement marqués par la précarisation.

Dans un pays comme la France, où le secteur public n’a pas encore subi des attaques de l’ampleur analogue à ce qui est à l’œuvre en Grande-Bretagne ou en Espagne, le chômage augmente plus chez les hommes et baisse relativement chez les femmes. Sauf que les emplois féminins sont nettement plus précarisés.

On voit, au travers de ces deux brefs exemples, que le chômage est lié à la division sexuée du travail et à l’impact – suivant les rythmes, l’évolution et les formes de la crise initiée en 2007 – de cette crise sur les secteurs économiques qui sont marqués par une composition genrée de l’emploi. Dans la phase actuelle, les politiques budgétaires – les «règles d’or» qui seront appliquées dans tous les pays européens – vont avoir des effets assez analogues à ce que l’on constate déjà en Grande-Bretagne.

Pour appréhender ce thème et bien d’autres et pouvoir les situer dans une approche cohérente d’ensemble – avec ses interrogations – le livre de Roland Pfefferkorn est un outil indispensable.

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Lorsque les savoirs et savoir-faire requis sont proches de l’univers domestique, ce qui est le cas par exemple des «emplois de proximité d’aide à la vie quotidienne» invariablement énoncés au neutre mais occupés à 99 % par des femmes, un tel travail de mise en forme est plus difficile à mettre en œuvre. Ces emplois soutenus par les politiques publiques représentent une «externalisation» du travail domestique gratuit habituellement réalisé par les femmes. Ils replacent celles qui assurent ces tâches professionnellement dans des postures «traditionnelles» de don et naturalisent les compétences nécessaires. Les «femmes de ménage», «aides à domicile», «auxiliaires de vie» ou «gardes-malade» interviennent au domicile de particuliers, notamment des personnes âgées, des malades et des handicapés. En raison des bas salaires, des exonérations de cotisations patronales et des diminutions d’impôt qu’elles valent à leurs employeurs, elles accomplissent quasi gratuitement (au regard des bénéficiaires) des travaux qui se substituent à ceux effectués gratuitement par les femmes en tant qu’épouses, filles et (ou) mères. Cela explique que la qualification de ces emplois ne soit pas reconnue, tant le travail domestique gratuit est perçu comme non qualifié et renvoyé aux «qualités» individuelles des femmes concernées. Pourtant la polyvalence découlant de la grande variété des opérations à effectuer et la difficulté à trouver du personnel compétent montrent a contrario que la question de la qualification se pose bel et bien.

Là où les qualifications, les compétences, la formation, les savoir-faire, les connaissances des hommes sont reconnus et rémunérés collectivement, les qualifications, les compétences, les savoir-faire et les connaissances des femmes sont naturalisés et individualisés, considérés comme propres à la personne, et non comme acquis ou conquis. Ces «qualités» sont recherchées et mises en valeur par les employeurs parce qu’elles ne bénéficient pas de reconnaissance sociale et sont rémunérées à un niveau inférieur à celles des hommes. Les femmes qui savent coudre et faire la cuisine ou élever les enfants ne sont pas reconnues comme qualifiées. Leurs compétences, pourtant exploitées dans l’industrie électronique, les cuisines industrielles, le ménage dans les écoles ou chez des particuliers, le travail d’aide-soignante, d’aide à la vie quotidienne ou d’agent hospitalier, ne sont pas rétribuées. Elles continuent à être perçues comme dépourvues de qualification. Pourtant un des acquis importants des analyses déjà anciennes de Pierre Naville, comme des analyses féministes plus récentes, montre que la qualification n’a rien de substantielle. Elle est le résultat de ce qui se joue en permanence dans les rapports sociaux: aussi bien le rapport de classe que le rapport de sexe. Et c’est bien dans l’articulation entre ces deux rapports sociaux que les qualifications se définissent. En ce sens la qualification et son prix (le salaire) est un des enjeux principaux de la «dialectique croisée de ces deux rapports sociaux». Et la prise en compte de la dimension sexuée de l’enjeu est de ce point de vue essentielle.

Le développement de la problématique de la division sexuelle du travail dans la sphère professionnelle comme dans la sphère domestique a eu pour conséquence, sur le plan théorique et épistémologique, de faire éclater des clivages apparaissant finalement peu opératoires, comme ceux entre production et reproduction, ou entre système productif et structure familiale. Elle fait éclater des catégories construites exclusivement à partir de la prise en compte d’une population masculine considérée comme norme ou référent universel (des catégories comme celles de travail, de qualification, de mouvement social, de temps social, de plein emploi, etc.). Le concept de division sexuelle du travail impose en particulier la nécessité de repenser le concept de travail de façon plus anthropologique et d’aller voir comment dans la société se répartissent les travaux d’hommes et de femmes. Enfin, comme la séparation des hommes et des femmes et la hiérarchie entre les sexes se retrouvent un peu partout, différentes chercheuses ont tenté de conceptualiser ces rapports sociaux spécifiques qui séparent et hiérarchisent systématiquement le groupe des hommes et des femmes: les rapports sociaux de sexe. Cette conceptualisation s’est progressivement imposée en France au cours des années 1980 dans les recherches menées en sociologie. Dans d’autres disciplines ce sont d’autres concepts qui dominent: en histoire, c’était l’histoire des femmes, en anthropologie, le sexe social, en littérature, le masculin-féminin, en philosophie ou en psychologie, la différence des sexes. Ces terminologies différentes étaient aussi le reflet d’options théoriques différentes. L’extension de l’usage du concept de rapports sociaux de sexe se heurtait surtout à la diffusion internationale du concept de genre. Comme nous l’avons montré dans le chapitre 3, celui-ci a fini par s’imposer en France comme un concept fédérateur interdisciplinaire, chacune des disciplines conservant cependant parallèlement son concept spécifique.

 

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