Syrie. Ghouta orientale. «Pourquoi notre sang est-il devenu insignifiant?»

Par Allan Kaval

Assiégés, bombardés par l’artillerie et par l’aviation du régime syrien, soumis à la pénurie et à la maladie, des habitants de la Ghouta orientale se tournent vers les réseaux sociaux pour rendre compte de leur calvaire. Pas plus que les convois d’aide humanitaire bloqués par le régime de Damas, les journalistes n’ont accès à l’enclave rebelle. Celle-ci est pilonnée avec une intensité redoublée depuis le 18 février et elle s’attend à subir une offensive terrestre.

En cinq jours, d’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), plus de 400 civils, dont une centaine d’enfants, ont péri. Comme lors du siège d’Alep par les forces du régime, à la fin de 2016, sur Twitter, Facebook ou YouTube, des comptes relaient les témoignages, souvent filmés, de ceux et de celles qui tentent de survivre dans cette poche où sont piégées près de 400’000 personnes, et que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a qualifiée d’«enfer sur terre».

Parmi ceux qui documentent l’horreur de la Ghouta orientale, un adolescent de 15 ans, Mohamed Najem, poste régulièrement sur son compte Twitter des vidéos prises avec un téléphone dans les ruines de son quartier. Le compte du jeune homme est publié en anglais, une langue qu’il ne maîtrise pas. Ses messages, rédigés avec l’aide d’un anglophone, lui ont permis d’acquérir une visibilité plus grande et de devenir une figure emblématique du martyre de la Ghouta quand ses séquences ont été reprises par de grands médias internationaux, tels que CNN ou la BBC.

Dans une de ses dernières vidéos, Mohamed Najem s’applique à lire phonétiquement un texte en anglais, appelant une nouvelle fois la communauté internationale à réagir et à imposer la levée du siège de la Ghouta orientale. «Pourquoi notre sang est-il devenu insignifiant?» demande l’adolescent devant un tas de gravats arrachés à un immeuble détruit par une frappe.

«Mourir dans de beaux habits»

A Douma, la localité principale de l’enclave, le photographe et militant Firas Abdullah rend compte sur sa page Facebook, par des vidéos régulières commentées en anglais, du cataclysme qui s’abat sur la ville. D’heure en heure, ses publications retracent les frappes aériennes, les lâchers de bombes barils par des hélicoptères du régime. Une manière de faire prendre au monde extérieur la mesure de la destruction systématique de l’enclave. Mais aussi d’informer ceux qui sont abonnés à sa page qu’il est toujours en vie.

Nivin Hotary, une habitante de la Ghouta orientale, publie elle aussi régulièrement sur sa page Facebook des textes plus longs où, au-delà du décompte des morts et du signalement des frappes, elle raconte le quotidien dans l’enclave assiégée. Jeudi, elle évoquait l’existence de nombreux habitants reclus dans des caves d’immeuble pour échapper aux bombardements: «Prisonniers dans les caves (…), nous ne pouvons pas dormir. Toutes les dix minutes, un missile d’artillerie explose pour assurer à ceux qui bombardent que personne ne dormira. Cela, bien sûr, c’est seulement quand les pilotes prennent leur pause (…). Prisonniers, nous passons nos jours et nos nuits dans les mêmes vêtements, ceux que nous portons pour sortir (…). C’est bien de mourir dans de beaux habits.»

Les soignants sont en première ligne, face à la douleur et à la mort, pour tenter de sauver ceux qui peuvent l’être, tout en faisant face à de graves pénuries de fournitures, d’équipements, de médicaments. Les hôpitaux sont pris pour cible par les frappes du régime, et c’est dans des conditions de plus en plus dégradées que les soignants continuent d’exercer.

Sur sa page Facebook, le médecin Housam Adnan, à Douma, publie des photographies de ceux qu’il s’évertue à soigner. Corps aux membres arrachés, patients gravement blessés, et aussi le regard épouvanté d’une petite fille, yeux trop grands pour un corps trop maigre, ravagé par la faim.

Le 21 février, il a publié, avec deux clichés insoutenables, un long poème dont les vers racontent l’horreur de la Ghouta: «Des enfants sans membres, sans yeux, sans visage. (…) L’odeur de la poudre à canon et sa couleur noire dégoûtante plane sur ces visages affamés et flétris. Les cris des enfants, les lamentations des femmes, l’oppression des hommes, l’impuissance des médecins atteignaient mon scalpel (…). Aujourd’hui, tous ceux qui nous viennent sont ces corps maigres qui ont manqué de nourriture pendant des jours, enterrés depuis avec leurs enfants sous les décombres de ces barils qui ne distinguent pas la pierre de l’homme.» (Article publié dans Le Monde daté du 25 février 2018)

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